@rib News, 14/10/2009 L’assassinat du Prince Louis Rwagasore le 13 octobre 1961 et ses conséquences Transmission de Mémoire et Contribution à la Commission Vérité. Par Rose Ntwenga, le 14 octobre 2009 Le meurtre du Prince Louis Rwagasore, dans la soirée du 13 octobre 1961 constitue la première transgression violente connue du Burundi moderne naissant, quelques mois avant son passage à l’indépendance le 1er juillet 1962. Des acteurs politiques de l’époque ont pris la décision de pousser le pays dans l’engrenage d’une violence préméditée et constamment alimentée. Tenter d’y mettre fin implique de se pencher sur les vraies raisons et les conséquences de l’acte déclencheur de la première vague qui a visé, au-delà de la seule vie du Prince Louis Rwagasore, plusieurs autres personnes dont les Hutu des années 60, jusqu’à leur quasi-anéantissement par le génocide de mai et juin 1972.
Cette étape constitue un élément majeur pour le travail de la Commission Vérité et le mécanisme de justice transitionnelle. Quelqu’un s’est-il soucié de connaître les réactions et les avis des « Hutu des années 60 », certains de l’entourage direct du Prince Louis Rwagasore et de Pierre Ngendandumwe, ardents militants de l’Union pour le progrès national (Uprona). Parmi eux, je nomme Zacharie Ntiryica dont je suis l’une des dépositaires depuis la disparition de son fils Gilbert en 1974. Il est indispensable aujourd’hui de se départir des jugements très dépréciatifs, portés sur leur parcours comme sur les intentions qui leur ont été prêtées. Dans le présent témoignage, je relate mes souvenirs au matin du 14 octobre 1961. En effet, Venant Ntwenga, mon père avait été coopté au Parti Démocratique Chrétien (PDC). Mon père n’apprend la nouvelle qu’à la radio alors que les principaux auteurs du délit sont tous issus du parti qu’il venait fraîchement de rallier. Kinindo, le matin du 14 octobre 1961 En octobre 61, ma famille habitait le quartier de Kinindo dans la villa de fonction due à son rang de directeur de l’Office des Cités Africaines, l’Ocaf. Chaque matin, le petit déjeuner se déroulait sous la surveillance de ma mère. Comme chaque matin, j’avais la moue dégoûtée devant ma tasse de lait. Je détestais la crème de lait. - Tu dois manger avant d’aller à l’école. C’est le médecin qui l’a dit, répétait assidûment ma mère. Elle avait haussé le ton. Je me demandais comment éviter cette corvée. Tout à coup, ma mère avait été distraite par le journal de 7 heures du matin. La radio annonçait que le Prince est quelque chose, … quelque chose, qui lui était arrivé, hier soir. Tout en ne relâchant pas la pression sur moi, elle avait appelé mon père. - Viens vite écouter, lui avait-elle dit, avec dans la voix, l’émoi causé par la gravité d’un incident. Comme si ma mère savait, la même phrase avec le prince au milieu, avait été répétée. Comme si de l’autre côté, on s’attendait à ce qu’elle réagisse ainsi. Malgré sa retenue, mon attention avait noté l’air inquiet de ma mère. Mon père avait réagit vivement. Il avait eu un geste de recul de celui qui esquive un coup de poing. - C’est quoi cette histoire ? Je vais aller demander…, avait-t-il dit en secouant la tête. Il finissait de s’habiller en toute vitesse. Il s’était précipité vers sa voiture. Un démarrage en trombe, puis, il était parti. Ma mère, l’œil toujours rivé sur moi, avait ordonné de boire. J’avais tenté de surmonter mon dégoût de la crème de lait. Chaque matin, j’expliquais mon envie de vomir à la vue cette chose informe. La réponse invariable était de ne plus faire de gamineries. Puis, le bus avait klaxonné. Sauvée ! Le bus de ramassage scolaire, un petit modèle à douze places de la société de transport du Burundi (S.T.B), s’arrêtait devant la villa de fonction. La voisine, une grande fille blanche venait attendre avec moi. Nous l’avions pris. Lorsque le chauffeur avait voulu rejoindre l’avenue de Rumonge, elle était déjà bloquée par des militaires. Il avait fait un demi-tour nerveux et s’était engagé vers un autre accès en direction de la même avenue. A cet endroit, les gendarmes commençaient seulement à poser les barrières. Des militaires étaient visibles dans des jeeps. Quelques autres personnes en uniforme debout tout au long du chemin. J’étais allée à l’école Stella Matutina, comme d’habitude. Des membres du Club des Bâtisseurs, se concertent autour de Zacharie Ntiryica, en cette journée du 14 octobre 1961. Ils avaient échangé leurs points de vue sur l’évènement impensable et entrevoyaient des conséquences difficiles face à la gravité de la situation. Mon père Venant Ntwenga était présent. Cependant, la quasi-totalité d’entre eux ont disparu brutalement dans les circonstances violentes du génocide de mai et juin 1972. Ainsi, ce sont des gardiens de la mémoire et les différents dépositaires qui sont en mesure de témoigner aujourd’hui, en apportant diverses indications écrites et certaines relevant des « archives » de la tradition orale, du déroulement de la rencontre. L’entraide et l’esprit de solidarité inter clanique chez les Bâtisseurs a permis la viabilité du fil conducteur (même de façon approximative) de la trace de leur existence. Pour mon père, la décision de déménager s’impose. Peu après l’annonce sur le Prince à la radio, mon père avait parlé de déménagement. La villa de fonction était très confortable, mais rien ne valait sa propre habitation. Il avait confié cette observation à notre voisin, le cuisinier congoman. Les locataires rwandais de la maison du quartier 5 de l’Ocaf seraient prévenus. Ils auraient le temps de trouver ailleurs où se loger. Le cuisinier congoman et sa famille étaient installés dans les annexes de notre voisin blanc. !!! Enfin, pour mieux comprendre, il est utile de lire l’éclairage complémentaire consigné par les Nations Unies. Je vous en propose quelques extraits du document 16. Rapport de l’Organisation des Nations Unies sur l’assassinat du Prince Rwagasore, 26.1.62. Rose Ntwenga Montpellier, le 14 octobre 2009 |