RT France, 20 févr. 2017 Crise au Burundi : une intervention militaire des pays d'Afrique de l'Est est-elle possible ? Pour mettre fin à la crise au Burundi, les pays de la région devraient-il prendre exemple sur la résolution de la crise gambienne ? Pour le spécialiste de l'Afrique centrale Bob Kabamba (photo), une intervention militaire aurait des conséquences tragiques. RT France : Après quatre jours de négociations infructueuses en Tanzanie, le médiateur Benjamin Mkapa veut convoquer d’urgence un sommet des Etats d’Afrique de l’Est sur la crise burundaise. Ont-il un poids assez fort pour permettre de trouver une solution à cette crise politique qui dure depuis près de deux ans ?
Bob Kabamba (B. K.) : Cette décision du médiateur est avant tout un constat d'échec. Les discussions entre le pouvoir burundais et l'opposition - déclinée en plusieurs catégories entre ceux reconnus par Bujumbura et ceux qui ne le sont pas - n'ont pas eu lieu. Face à ce constat d'échec, il ressort que Benjamin Mkapa a besoin de faire pression sur le régime du Burundi en réclamant effectivement ce sommet des chefs d'Etat qui est le seul organe de la communauté des Etats de l'Afrique de l'Est capable de pouvoir prendre des mesures coercitives vis-a-vis d'un de ses membres. Je crois que c'est une façon d'accentuer la pression sur le régime de Pierre Nkurunziza. RT France : Peut-on imaginer que ce sommet entérine une intervention militaire commune, comme on a pu le voir avec la CEDEAO en Gambie qui a poussé Yahyah Jammeh à quitter la présidence ? B. K. : Je ne pense pas que ce scénario puisse être reproduit ici. Le contexte est différent. Il y a déjà eu l'élection présidentielle. Les chefs d'Etat de la région ont pris cela comme un fait acquis, car le Burundi n'a pas été exclu de la communauté des pays d'Afrique de l'Est. Le pays a fait l'objet de sanctions au niveau international mais il n'a pas été exclu par les chefs d'Etat des autres pays membres. L'autre point de différence, reste qu'une grande partie du noyau dur du régime appartient à l'armée. Une intervention militaire sur le sol burundais serait perçue comme un acte d'agression. Ce noyau dur a d'ailleurs beaucoup à perdre avec un départ de Pierre Nkurunziza, notamment en termes de privilèges liés aux fonctions qu'occupent ses membres. Il y aurait alors une tentation de dynamique jusqu’au-boutiste plutôt qu'une capitulation face à une armée étrangère. Il faut rappeler d'ailleurs que plusieurs pays de la région ont d'ores et déjà refusé cette option. Le Rwanda, notamment, a exclu l'hypothèse d'envoyer ses troupes au Burundi. Ce choix est profondément lié aux relations particulières entre ces deux pays qui étaient des alliés et qui profèrent des menaces de guerre l'un contre l'autre. Si le Rwanda intervenait militairement, même au sein d'une coalition, cela serait perçu au Burundi comme un acte de provocation. Il pourrait aboutir au massacre des populations tutsies du Burundi, perçues comme des alliés naturels du gouvernement rwandais. Pour toutes ces raisons, je ne pense pas qu'une intervention militaire puisse permettre d'obtenir le même résultat qu'en Gambie. Il y a une sorte d'acceptation du fait qu'il ira jusqu'au bout de son mandat RT France : Avec ou sans ce sommet des Etats de l'Afrique de l'Est, le départ de Pierre Nkurunziza ne vous semble pas d'actualité ? B. K. : Le débat n'est plus le départ de Pierre Nkurunziza, il est désormais tourné vers la transition. Le but est d'aboutir par le dialogue au retour de l'ensemble des forces politiques sur le territoire burundais, de sorte que la vie politique burundaise puisse continuer et que les prochaines élections de 2020 puissent se passer dans les meilleures conditions. Et surtout, que les 400 000 réfugiés qui vivent hors du pays puissent revenir. A la lecture des communiqués des différents pays et forces politiques, on a l'impression que le deuil a été fait sur un possible départ de Pierre Nkurunziza. Il y a une sorte d'acceptation du fait qu'il ira jusqu'au bout de son mandat. L'enjeu maintenant est plutôt de réfléchir aux élections de 2020. De nombreux points à l'ordre du jour des négociations étaient tournés vers cette direction. Comme par exemple celui de ne pas modifier la Constitution. Si les pays de la région décident de bloquer l'économie burundaise cela porterait un coup dur au régime RT France : Vous parlez de l'élection de 2020. Le Conseil des ministres a adopté un projet de décret qui permettrait de créer une commission qui d'ici 6 à 8 mois, engageant un amendement constitutionnel. Est-ce un mauvais signal ? B. K. : Tout à fait. Ce serait un signal négatif important, notamment vis-à-vis des points qui ont déjà été avalisés par les différentes délégations lors de discussions indirectes. C'est l'un des problèmes majeurs. Il n'y a pas encore eu de négociations directes entre les différents belligérants. Benjamin Mkapa rencontre un à un les protagonistes et harmonise avec eux les différents points d'accords. Là aussi, au cas par cas. Il n'a pas encore réussi à organiser une plénière comme on peut les voir dans d'autres formes de négociations. Mais dans ces discussions, il a semblé y avoir une unanimité pour accepter qu'il n'y ait pas de nouvelles modifications de la Constitution. Les forces du gouvernement et celles de l'opposition semblaient être d'accord sur ce point. Si le régime de Bujumbura revient sur une dynamique de révision constitutionnelle, cela détruit les principes acquis par Benjamin Mkapa. Le sommet des dirigeants des pays d'Afrique de l'Est demandera certainement au président burundais de s'engager directement à ne pas le faire. Il y a une arme dont les pays de la région disposent et qui a déjà été utilisée : un embargo et un blocus économiques. Le Burundi est un pays enclavé qui vit aux dépens des pays limitrophes. Soit la Tanzanie et, dans une moindre mesure, la République démocratique du Congo [RDC]. Ce sont les principaux partenaires régionaux du pays. Tout l'approvisionnement du Burundi passe par eux. Si les pays de la région décident de bloquer l'économie burundaise, cela porterait un coup dur au régime. Je ne pense pas que le président Pierre Nkurunziza souhaiterait aller jusqu'à ce point. Le pays se retrouverait asphyxié et cela rendrait la situation bien plus difficile qu'elle ne l'est déjà actuellement. La population serait amenée à descendre à nouveau dans la rue avec les conséquences que l'on pourrait imaginer. Bob Kabamba est professeur de sciences politique à l'Université de Liège en Belgique et directeur de la Cellule d’appui politologique Afrique-Caraïbes (CAPAC-Ulg). Spécialiste de l'Afrique centrale, il est l'auteur de plusieurs ouvrages dont La Dynamique de l’Afrique des Grands Lacs (L’Harmattan).
|