Sputnik France, 20.08.2020 Le Président burundais Évariste Ndayishimiye a opposé une fin de non-recevoir à la main tendue du Président rwandais Paul Kagame qui désire tourner la page des années de brouille entre leurs pays, signe que la normalisation des relations entre Kigali et Bujumbura devra encore attendre. Analyse pour Sputnik du chercheur et journaliste Patrick Mbeko.
C’est dans un discours prononcé dans la commune de Busoni (nord-est), région frontalière du Rwanda, et repris sur le compte Twitter de la présidence burundaise que le numéro un du Burundi, le général Évariste Ndayishimiye, a réagi à la main que lui a tendue son homologue rwandais Paul Kagame qui, quelques semaines plus tôt, avait plaidé pour une normalisation des relations entre le Rwanda et le Burundi, après des années de tension entre les deux pays. Dans ce discours, Évariste Ndayishimiye a opposé une fin de non-recevoir claire et nette à Kagame qu’il accuse d’être «hypocrite», sans le citer. «Nous voulons avoir de bonnes relations avec tous les pays voisins ou les pays lointains qui accueillent des réfugiés burundais. Mais nous n’allons pas avoir de bonnes relations avec un pays qui use de malice, un pays hypocrite, qui prétend vouloir renouer de bonnes relations avec le Burundi alors qu’il met en même temps une grosse épine sous notre pied pour qu’on se blesse dessus.» La réponse du Président burundais laisse penser que la brouille entre le Rwanda et le Burundi ne va pas se résorber de sitôt. Elle met en évidence la méfiance profonde que nourrissent les autorités burundaises envers leur voisin depuis quelques années maintenant. Une chose est certaine en tout cas, c’est que la manœuvre du Rwanda à l’égard du Burundi est loin d’être désintéressée... Une tentative de rapprochement bien calculée La tentative de rapprochement amorcée par le Rwanda ne répond pas seulement à un désir de normalisation des relations avec son voisin burundais. Elle s’inscrit aussi dans une dynamique politique bien précise : Kigali cherche à avoir des alliés dans une sous-région où il est assez isolé, en plus d’être à couteaux tirés avec certains États. C’est notamment le cas avec l’Ouganda. Les rapports entre Kampala et Kigali se sont considérablement détériorés ces dernières années. Les Présidents Yoweri Museveni et Paul Kagame se sont rencontrés quatre fois en six mois pour décrisper la situation tout en s’accusant régulièrement d’espionnage et de déstabilisation. Il en a été de même avec le Burundi sous le Président Pierre Nkurunziza décédé le 8 juin dernier, à Karuzi, à la suite d’un arrêt cardiaque. En conflit avec son voisin du nord, le Rwanda n’entend donc pas envenimer les relations déjà très tendues avec son voisin de l’ouest. L’arrivée au pouvoir du général Évariste Ndayishimiye, considéré comme un modéré, a sûrement constitué aux yeux de Kagame une aubaine à saisir. Deux jours après la validation par la Cour constitutionnelle de la victoire de Ndayishimiye à la présidentielle du 20 mai dernier, Kigali a adressé ses félicitations au Président élu, exprimant sa volonté de voir ses relations rétablies avec le Burundi. Seulement voilà : le nouveau maître du pays ne semble pas vouloir s’écarter, du moins pour le moment, de la ligne de conduite tracée par son prédécesseur tant que le Rwanda continuera à héberger sur son territoire des membres de groupes qui lui sont hostiles. En fait, il est ici question de confiance et l’élite au pouvoir au Burundi voue une méfiance profonde à l’égard du régime de Kigali. Les raisons profondes d’une méfiance Officiellement, la crise entre Kigali et Bujumbura remonte à 2015, lorsque le Rwanda a décidé d’accueillir sur son territoire un groupe d’officiers burundais qui avait contribué au coup d’État manqué contre le Président Pierre Nkurunziza le 13 mai 2015, alors que ce dernier participait à un sommet régional à Dar es-Salaam en Tanzanie. À l’époque, Bujumbura avait non seulement reproché à Kigali d’avoir accueilli sur son territoire des putschistes, mais il lui avait aussi fait grief de soutenir des groupes armés qui déstabilisaient le Burundi. Des affirmations que le Rwanda avait vigoureusement démenties, accusant à son tour le Burundi d’abriter des membres des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), ce que Bujumbura de son côté avait également contesté. Depuis, les deux pays s’imputent mutuellement des tentatives de déstabilisation. S’il est vrai que les événements de 2015 ont porté un coup dur aux relations rwando-burundaises, il n’en reste pas moins qu’ils n’expliquent pas tout. En fait, il faut remonter un peu plus de vingt-cinq ans en arrière pour comprendre la posture des autorités burundaises à l’égard du Rwanda aujourd’hui. Un peu d’histoire… Tout commence en juin 1993. Le Burundi organise ses premières élections pluralistes et démocratiques et un jeune politicien hutu, Melchior Ndadaye (40 ans), est élu Président de la République, mettant fin à des décennies de régimes autoritaires à parti unique dominés par la minorité tutsie du parti Uprona (Union pour le progrès national). Moins de cinq mois plus tard, des officiers tutsis de l’armée burundaise –composée et contrôlée essentiellement par les Tutsis– assassinaient Ndadaye, plongeant le Burundi dans une interminable guerre civile qui fera près de 300.000 morts. La rébellion hutue des FDD (Force de défense de la démocratie), qui a vu le jour dans la foulée de la guerre civile, va compter dans ses rangs plusieurs caciques de l’actuel régime burundais, dont Pierre Nkurunziza et le chef de l’État Évariste Ndayishimiye. Au sortir de la guerre civile, les FDD, qui se sont muées en parti politique pour devenir le Conseil national pour la défense de la démocratie-Forces de défense de la démocratie (CNDD-FDD), remportent les élections législatives et présidentielles. Pendant plusieurs années, le pouvoir burundais va entretenir de bonnes relations avec le Rwanda tout en se montrant tout de même méfiant à bas bruit à l’égard de son voisin. Et pour cause: le Rwanda, sous le leadership du Front patriotique rwandais (FPR) de Paul Kagame, a pris part à la plupart des événements dramatiques auxquels le Burundi avait été confronté les deux dernières décennies: en 1993, le FPR, alors groupe rebelle, avait soutenu l’armée burundaise dans son coup d’État contre Ndadaye et en 1994, il aurait abattu l’avion dans lequel se trouvaient les Présidents Juvénal Habyarimana du Rwanda et Cyprien Ntaryamira du Burundi, tous Hutus. Cet attentat avait non seulement plongé le Rwanda dans une spirale de violence, mais il avait aussi et surtout déstabilisé davantage le Burundi. Pendant la guerre civile burundaise, le FPR, désormais au pouvoir, avait attisé encore les braises en soutenant les adversaires des FDD, notamment l’état-major de l’armée burundaise constituée, on l’a dit, essentiellement de Tutsis. Si, au sortir de la guerre civile burundaise, le Rwanda et le Burundi ont privilégié des rapports de bon voisinage et une meilleure coopération, il n’en demeure pas moins que dans l’esprit de l’élite au pouvoir à Bujumbura, cette normalisation des relations n’a pas effacé le poids de l’histoire et du passé. La crise, qui a éclaté en 2015 entre les deux pays sur fond de tensions politiques au Burundi, tire son origine directe du soutien apporté par le Burundi à la Tanzanie, en 2013. À l’époque, les troupes tanzaniennes étaient affectées à la Brigade d’intervention spéciale des Nations unies chargée de traquer les groupes armés à l’est de la RDC, le plus important à ce moment-là étant la «rébellion» du M23, armée et soutenue par le Rwanda. C’est alors que sont apparus les premiers signes d’une fracture entre le «grand frère» rwandais et le «petit frère» burundais. Car pour le Rwanda, le rapprochement avec le Burundi au sortir de la guerre civile burundaise répondait à un objectif précis: Kigali, dont les relations avec l’Ouganda battaient de l’aile, entendait faire du «petit frère» burundais un allié sûr et docile dans la région. Dans cette perspective, le soutien apporté par Bujumbura à la Tanzanie, dont les troupes traquaient impitoyablement les supplétifs du Rwanda au Congo, en l’occurrence le M23, ne pouvait être apprécié. Furieux, Paul Kagame a préféré ruminer sa colère en silence plutôt que d’attaquer de front son voisin avec lequel il entretenait de bonnes relations. Il profitera des tensions politiques au Burundi pour s’immiscer dans les affaires internes de ce pays, en reprochant au numéro un burundais de l’époque, Pierre Nkurunziza, de vouloir briguer un troisième mandat sans l’approbation de sa population. Les rapports entre Kigali et Bujumbura se sont envenimées davantage après le coup d’État manqué de mai 2015 contre le Président Nkurunziza. Ce dernier a accusé à maintes reprises le Rwanda d’être à l’origine de la crise que traverse le Burundi depuis 2015 et de vouloir le déstabiliser. Des allégations qui ont été corroborées tant par les experts de l’ONU que par les États-Unis. En décembre 2015, l’ONG américaine «Refugees International» a publié un rapport dans lequel elle a accusé le Rwanda d’enrôler des réfugiés burundais dans des groupes armés dans le but de déstabiliser le Burundi, à en croire les autorités burundaises. Tout ceci est encore frais dans l’esprit des dirigeants burundais et expliquerait pourquoi le Président Évariste Ndayishimiye n’entend pas renouer avec le Rwanda tant que certains litiges ne seront pas soldés. Il l’a d’ailleurs fait savoir dans son message subliminal adressé à Paul Kagame lors du discours prononcé dans la commune de Busoni. Par Patrick Mbeko
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