@rib News, 07/10/2021 Par J-P Mbona On en avait connaissance et coutume à Jérusalem, pour les compatriotes de celui après qui cette ère du poisson finissant a été nommée. Loin de la rive méditerranéenne, sur celle du Lac Tanganyika, des pleurs et des lamentations commanderaient d'en ériger un. Le Mur. Pas celui de JP Sartre, mais bien un vrai, de briques et brocs et blocs fait. Serait-il élevé peut-être à Mugera (mu mana za ...) ? Pourquoi pas et tant qu'à faire, après tout c'est près du nouveau kirimba, entendez, non le palais Ntare pour lequel les gentils Chinois bâtisseurs et donateurs n'ont pas prévu de roues pour qu'il soit movible vers Gitega !
Décentralisation pour décentralisation, faut bien intégrer une donne communautaire, hautement unificatrice. Faudrait donc l'ériger mais bien là-bas au tout centre du pays, pour que ce soit un haut lieu, j'ai maqué de dire un lieu saint, tout près du saint des saints, afin de raccourcir les distances aux Burundais venant des quatre coins du pays et qui, apparemment, ont découvert un nouveau mode de règlement des tourments : la lamentation ! Audio, vidéo, en public, en privé... Qui à son église au culte du dimanche matin où de premier ministre on peut virer en prêcheur; qui lors d'un rallye de prière devant un parterre du parti au pouvoir; le premier ministre et son président, presque dans un jeu de renvoi d'ascenseur ou d'une balle de ping-pong, voient des ennemis partout. Contre eux. Dans leur église comme dans les institutions du pays. Partout. Il y a quelques jours, le même président "pleurnichait" face à ses sujets agents du système judiciaire devant leur faillite cuisante de dire le droit et rendre justice aux justiciables. Justement ces derniers, non contents d'essuyer échecs et désillusions non seulement devant les mêmes instances judiciaires, mais partout ailleurs où ils quêtent justice, ont compris que pour mieux frapper les esprits, il faut adopter la méthode des chefs : se "lamenter" publiquement. Ouvertement. Par média ou socio-medias interposés. Par audio et autre vidéo envoyés à qui mieux mieux. Ces derniers peuvent emplir la toile des réseaux sociaux, tel un virus contagieux, plus épidémique que le corona. Et ça fait bouger les chaises dans la République. Un administrateur ici, un gouverneur là, une magistrate ailleurs, etc. Et l'on s'interroge. L'on se rappelle cette parole du préambule de la DUDH reprise sous forme de motto par Neva : ... "Considérant qu’il est essentiel que les droits de l’homme soient protégés par un régime de droit pour que l’homme ne soit pas contraint, en suprême recours, à la révolte contre la tyrannie et l’oppression." Neva même pourrait ajouter et pour la circonstance : "... pour que les cris SOS des citoyens, ne trouvant oreille attentive nulle part, ne soient jetés, en désespoir de cause, contre des murs de lamentation invisibles ..." Nous vivons dangereusement une époque à la fois formidable par le progrès technique atteint par l'humanité, notamment en matière de technologie de communication, mais également dangereuse et ébouriffante par l'effroi lié au voyeurisme, à la porosité de nos vies et la hantise de l'intrusion que permet celle-ci. Tenez. Hier seulement, le lundi 3 octobre 2021, durant quelques heures à peine, le sieur M. E. Zuckerberg, cofondateur et PDG de Facebook doit s'être frotté les mains. Non qu'il soit capable de fermer le compte Instagram ou Twitter du très puissant président Trump (ça on en a l'habitude), mais surtout qu'il soit nanti d'un tel redoutable pouvoir susceptible de mettre en émoi, en insécurité, en instance de psychose générale et garder en insomnie des centaines de millions de citoyens à travers le monde. Et ce concomitamment. Simplement par un petit bug dans les plateformes WhatsApp ! Au même moment, loin de la Silicon Valley (ou "vallée du silicium" en français) juchée dans la baie de San Francisco, une pauvre femme burundaise, en larmes dans la vallée de l'Imbo logeant le beau et profond lac Tanganyika, une femme, probablement une parmi mille et une, n'en peut plus d'étouffer et de taire un calvaire qui la mine depuis des années, dit-elle, au sein de son foyer conjugal. La dame a décidé de laver le linge sale sur la pierre molle des réseaux sociaux, sale calvaire infligé par son propre époux. Et de justifier son SOS lancé comme un caillou dans l'air des médias anonymes : les différents recours auprès des gens de loi et instances de justice ou de sécurisé (police), voire des institutions étatiques se sont heurtés à une fin de non-recevoir. Et tel un couperet, sa sortie fait mouche, car un courrier lancé par le ministre de l'intérieur parvient à faire limoger son "tortionnaire" de mari et par ailleurs gouverneur de province. Limogé par un simple audio de quelques minutes, partagé, fort heureusement pour elle, avant la rupture momentanée de WhatsApp (du même group FB). On croit rêver ! L'histoire ne dit pas si ce dernier a été jugé et trouvé coupable (dans ce pays certains principes, comme la présomption d'innocence, semblent relever d'un autre temps, le temps jadis). Et je ne vous cache pas le mien de rêve, que toutes les femmes et tous les hommes du Burundi dans pareil cas ouvrent grande leurs bouches, non pour s'adonner à une délation généralisée, mais pour au moins parler. Crier. Dire. Se lamenter, car c'est à la mode. Mettre des mots sur leurs atrocités qu'inhibe la pudibonderie hypocrite de la "culture" du silence. Envoyer par jour mille et un audio au président Neva. En attendant, la gent masculine en prend quand même un sacré coup dur ! Et pour cause. Ce qui est choquant dans l'affaire n'est pas tant et seulement le fait en soi de la violence conjugale d'une telle ampleur, si elle est avérée (car sauf ceux qui seraient dans le secret, on a de la plaignante que les allégations versées dans l'espace public), mais sa durée dans le temps et la nature des faits ou détails décrits, si du moins il faut toujours en croire les dires de la victime. La justice devrait rapidement démêler le vrai du faux. Par ailleurs, ce fait (je n'ose qualifier de divers), pointe un grave problème de fond. A y regarder de près, tout au Burundi semble s'apprécier à l'aune de la gouvernance globale de déni de justice et de déliquescence de l'Etat de droit. Comment en effet, pourrait-on isoler et respecter un certain droit des gens à se choisir une forme de vie conjugale (cohabitation, union libre, célibat, monoparentalité, mariage légal, etc.) si les autres droits, à commencer par le plus important d'entre eux, le droit à la vie semblent voués aux gémonies ... burundaises ? Les violences faites aux femmes ou dites basées sur le genre (VBG ou GBV en anglais), celles faites aux enfants (de tous âges), les viols rapportés au quotidien un peu partout y compris des incestes, les grossesses des ados etc. semblent relever des choses "normales". Banalisées. Et c'est grave ! Qui aujourd'hui s'émeut encore de voir une adolescente ou un adolescent quitter l'école prématurément à 12 ou 13 ans sinon avant pour aller non pas travailler mais être asservi pour des "peanuts", parfois chez une parenté, qui comme bonne, qui comme "boy" ? Tout le monde s'en accommode comme si ces jeunes n'avaient pas de droits élémentaires. Alors n'imaginez même pas ce que cachent les enclos (ingo) des quartiers et des collines. En approfondissant un rien, le cri de la femme reprise en référence semble s'inscrire dans une sorte de discrimination générale touchant tous les Burundais indistinctement, vis à vis du pouvoir, mais dont les victimes les plus affectées se recrutent dans les franges les plus vulnérables de la société. Les femmes, les enfants, les personnes âgées, les non-incorporés au parti au pouvoir, etc. Tous sont fragiles sous cet angle. Singulièrement concernant la catégorie féminine, certaines survivances des logiques culturelles et traditions diverses semblent avoir encore de vieux jours devant elles. Par exemple, qui se souvient qu'en matière d'héritage, notamment relatif au foncier, la fille et la femme sont des citoyennes certes égales, mais que le système relègue en ... seconde zone ? Même les bruyants grands défenseurs des droits humains (ici plutôt de ... l'homme) semblent se taire dans toutes les langues. Un silence assourdissant. Silence, on partage, suggèrent-ils ! Le cri de la femme du gouverneur évoque tout ça à la fois. Peut-être se serait-elle retrouvée avec plus d'autonomie financière qu'elle n'aurait pas enduré autant de souffrance et pour si longtemps sans agir autrement. Les chiffres ont largement évolué ces dernières décennies, mais je serais curieux de savoir quelles proportions Filles / Garçons sont observées équitablement sur les bancs des lycées et des facs et instituts, tous confondus ! Pourtant les provisions légales sont légion afin de gommer les inégalités et émanciper la gent féminine longtemps laissée pour quantité négligeable. Telle qu'évoquée plus haut, l'absence d'une loi particulière et claire et précise devant mettre fin à l'exclusion des femmes quant à l'héritage familial au même titre que ses frères (aujourd'hui seule la coutume semble primer au lieu de lois modernes) semble en être le parangon. L'autonomisation des femmes est visiblement hésitante; peut-être à cause de la peur chez les hommes de voir leurs conjointes s'émanciper (et donc choisir de divorcer le cas échéant) ; la peur des représailles des hommes, autant d'entraves qui semblent encore constituer des ingrédients de la société burundaise actuelle. Le résultat des courses : probablement d'autres audios/vidéos en perspective ! Ce ne serait pas vouloir choquer que de considérer que ce n'est pas du tout un paroxysme ou une certaine incompréhension que la violence vienne d'une aussi haute autorité. L'immoralité et la sauvagerie dérivent-elles d'une certaine hiérarchie ? Le mal est partout, aussi longtemps qu'à la force de la loi se substituera la loi de la force ou de la jungle, comme les décrirait George Orwell, l'auteur de "Animal farm" ou la très bien connue fable de La Fontaine. En attendant le vote des bêtes sauvages, rendre justice et corriger les tares est une urgence. Redonner la liberté aux citoyens, de façon égale, mêmement. Mais notre bien zélé ministre Ndakugarika alias G. Ndirakobuca devrait y réfléchir à deux fois avant d'appliquer des traitements inégaux dans sa tentative de moralisation de la vie sociale nationale burundaise. Du reste, ladite moralisation ne semble pas relever d'une affaire de décrets ou d'ordonnance ou d'avis administratifs. Son référent n'est pas non plus la conception de la morale ou de la famille propre au seul parti régnant, sans doute nimbée du halo confus de religiosité, à l'instar de celle de feu le président-pasteur de l'église d'en haut. La référence ne doit-elle pas plutôt être toujours la loi ? Rien que la loi. Celle fondamentale d'abord, puisqu'elle est au-dessus de toutes les autres; ensuite toutes celles organisant la vie sociale, notamment les déterminants de la fondation du socle sociétal qu'on nomme "famille". Mais également les protocoles internationaux que le Burundi a ratifiés, devenant ainsi des lois. Seulement, ne faut-il pas beaucoup de bonne volonté pour appliquer toute cette panoplie de lois, justement ? Car la loi sur un parchemin ou dans un document chichement conservé ne sert à rien. Depuis que l'homo sapiens sapiens a quitté savanes et plaines, c'est la loi qui le différencie des créatures qui y sont restées. La règle du savoir vivre ensemble. Y renoncer c'est forcément prendre le chemin de retour dans la jungle. La philosophie derrière tous ces documents fondamentaux va dans le sens du respect de la vie privée des gens et de leurs libertés fondamentales. Y compris les dirigeants, car tous les citoyens sont égaux devant la loi; les avantages et autres immunités que confère la fonction à son porteur ne sont que l'exception. Exception momentanée, temporaire. Quand comprendra-t-on que le statut marital ou non est un choix individuel ? La violation des obligations de même nom également. Elle est sanctionnée par la même loi, quand celle-ci est strictement appliquée. Dans un pays "normal". S'ingérer dans la vie privée des gens au Burundi a été un fait banalisé depuis plusieurs décennies; preuve que la gestion du Burundi est une grande soupe ou la loi se confond avec les humeurs des gens qui gouvernent. Il semble y avoir une forte corrélation dans la république entre liberté d'union, union légales, et liberté tout court! Comment en effet pourrais-t-on prétendre à la liberté d'opinion, d'union, quand on n'a pas celle de vivre, d'exister en tant qu'être : on ne nait pas citoyen, on le devient en vivant. Mais naître et vivre au Burundi est presque devenu illégal du moment qu'on ne nait de la belle naissance, qu'on n'obéit pas au diktat et à la religion du parti-Etat. Ca nous ramène loin dans le temps quand on avait même inventé un nouveau terme désignant les nouveau-nés : "umujerebe" (de JRB, Jeunesse Révolutionnaire Rwagasore, substitut de la défunte JRR). Décidément quelque chose va mal dans le pays de Fumbije et Ntwero: reculer au lieu d'avancer. Pour clore cette lamentation, osons rêver : que le genre d'audio et vidéos qui circulent en ce moment sur la toile et contenant lamentations des chefs et de leurs sujets cessent et que le mur de lamentation évoqué plus ne voie jamais le jour; mais plutôt qu'un sursaut ultime vienne rappeler à toutes et tous que seule la juste et équitable application de la loi est un bon début pour assurer le minimum de décence pour tous. L'idéal de l'égalité des genres que vise le combat féministe sera porté par les hommes ou ne sera pas ! Des hommes de bonne volonté. Il en faut au Burundi. Par ailleurs, c'est une affaire, non de lois, mais de changement de paradigme mental. Osons aussi une comparaison, et donc un clin d'œil à toutes celles et tous ceux qui sont au pied du mur dans le pays des hommes-qui-voient-de loin, un pays érigé comme une prison à ciel ouvert, une enceinte faite de murs. Partout. Y compris dans les foyers, dans les ménages. Plutôt qu'un mur des lamentations, visible ou imaginaire, devant ou contre lequel il faut lancer quantité d'audio/vidéo et crier "A présent, c'est fini, je suis muré, moi, partout" comme dirait un certain Mathieu, personnage sartrien de Les Chemins de la Liberté, ne convient-il pas plutôt d'adopter l'attitude d'un certain Pierre, un autre personnage sartrien de La Chambre et continuer à croire que "les murs ça se traverse" ? "Percer" serait le terme approprié.
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