Libération, 4 novembre 2024 L’opposant Duma Boko, à la tête d’une coalition de gauche, a très largement devancé le parti au pouvoir depuis l’indépendance. Le président sortant l’a immédiatement félicité pour sa victoire. L’Afrique donne parfois des leçons de démocratie. Ce fut le cas de l’élection générale du mardi 30 octobre au Botswana. Le candidat de l’opposition Duma Boko a remporté le scrutin haut la main, à la surprise générale.
Son adversaire, le président sortant Mokgweetsi Masisi, a reconnu sa défaite avant même l’annonce officielle des résultats par la commission électorale, appelant son adversaire pour le féliciter et lui souhaiter bonne chance. «Nous sommes tout à fait heureux de nous retirer pour devenir une opposition loyale qui demande des comptes au gouvernement», a annoncé le dirigeant de 63 ans, avec élégance. A l’annonce des résultats, Duma Boko s’est lui-même dit «choqué» par son score et par «l’intensité avec laquelle les gens ont participé au vote». La participation a été de plus de 80 % dans ce pays d’Afrique australe largement désertique, grand comme la France mais comptant seulement 2,6 millions d’habitants, dont un million inscrit sur les listes électorales. «C’est avec beaucoup d’humilité que je leur promets de faire de mon mieux», a réagi posément Duma Boko. Quelques heures plus tard, le président élu prêtait serment, au cours d’une courte cérémonie remarquée pour sa modestie. «Tremblement de terre» Cette alternance pacifique, tout en simplicité, est pourtant un moment d’histoire pour le Botswana. La presse la qualifie de «tremblement de terre politique». C’est la première fois que Botswana Democratic Party (BDP) perd le pouvoir, qu’il détenait depuis 1966, année de l’indépendance du pays. «Nous avons tout faux aux yeux du peuple», a reconnu Mokgeweetsi Masisi. Son parti s’est effondré dans des proportions que personne n’avait anticipées, passant de 38 à 4 sièges au Parlement. Dans le système politique botswanais, les députés élisent le président de la République. La majorité est fixée à 31 sièges. Sur les 61 sièges en jeu lors du scrutin, la coalition de gauche portée par Duma Boko, Umbrella for Democratic Change (UDC), en a raflé 36. C’est également la première fois que le Botswana aura à sa tête un président né après la rupture avec le colonisateur britannique. Duma Boko, 54 ans, est un avocat spécialisé dans la défense des droits humains, diplômé de l’université nationale en 1993, puis titulaire d’un master de droit à Harvard en 1995. «Le politicien qui a réalisé l’impensable», l’a décrit la BBC après sa victoire. Ce n’est pourtant pas un nouveau venu en politique. Engagé dans l’opposition depuis ses 21 ans, Boko s’était déjà présenté à deux reprises à la présidentielle. Réputé sérieux et non corrompu, il a mené une campagne efficace. Son style respectueux et modéré, tout en affichant sa proximité avec la population, a notamment séduit les jeunes électeurs. Il leur a promis des efforts en matière de lutte contre le chômage, alors que 38 % des jeunes sont sans emploi. Vent de changement régional La morosité du marché mondial du diamant depuis 2022 freine toute l’économie du Botswana, deuxième producteur au monde derrière la Russie. La montée en puissance commerciale des diamants synthétiques – produits en laboratoire – a contribué à faire chuter les cours de la pierre précieuse. Or, le Botswana est extrêmement dépendant du secteur du diamant, qui représente 80 % de ses exportations et près d’un quart de son PIB. Lors de son discours d’investiture, Duma Boko s’est engagé à diversifier l’économie. Il a également annoncé l’instauration d’un salaire minimum, fixé à 4 000 pulas (275 euros). La réalisation de toutes ses promesses sera scrutée de près : les Botswanais ont prouvé le 30 octobre qu’ils n’hésiteront plus à sanctionner les insuffisances et les errements de leurs dirigeants. Un vent de changement souffle sur toute l’Afrique australe. Les oppositions ont triomphé au Malawi (en 2020) et en Zambie (2 021), tandis que le Congrès national africain (ANC) de Nelson Mandela a perdu sa majorité absolue au Parlement en juin, pour la première fois depuis la fin de l’apartheid. Le Mozambique a également voté le 9 octobre : la victoire annoncée du Frelimo, le tout-puissant parti au pouvoir depuis un demi-siècle, est actuellement contestée dans les rues, sur fond de fraude électorale massive. Les manifestations des opposants sont violemment réprimées. Loin, très loin cette fois, du modèle démocratique botswanais. |