@rib News, 14/06/2011 11 juin 1995, pour le repos de l’âme d’Hector et compagnons Chaque année, en marge de la célébration des martyrs de la démocratie, les familles à jamais inconsolables se souviennent du massacre de Kibimba. Un monument a été dédié à ces innocents tués en réponse aux forfaits commis par les spadassins relevant d’une armée dite nationale. C’est un exemple à suivre pour l’essaim de victimes apparemment de seconde zone. Il serait naïf de croire que depuis 1972, les orphelins et les veuves des suppliciés aient escamoté le devoir de mémoire. Justement l’année 1972 mérite qu’on y revienne sans relâche. Car elle a déchiré le tissu social burundais. Elle a institué le droit pour les gens au pouvoir de chérir les exactions, de confisquer les cadavres et les deuils, d’exhiber les meurtres crapuleux à la face du monde à travers les corps sans vie jetés dans les rivières ou abandonnés sur le carreau. La démocratie burundaise rime-t-elle ave cynisme ou humiliation ? Qui commémore s’arrête et s’interroge.
Depuis 1972, les Burundais savent qu’au milieu d’eux des monstres portent des peaux d’agneau, mangent, forniquent, rient et se donnent en spectacle dans des bondieuseries comme s’ils avaient réussi quelque incarnation humaine. Le Burundi demeure ainsi dans le collimateur des tueurs à gages, des ogres et des psychopathes aux apparences trompeuses. Le pays serait devenu un nid d’opportunistes et d’esprits malveillants qui diabolisent les hommes consciencieux et intègres. La lâcheté s’enracine quand des esprits éclairés vous disent « Nta guhandwa kururimi ikirenge kiriho » ! Nous évitons d’affirmer que la Nation burundaise est l’image d’un troupeau craintif qui préfère être l’otage complaisant des élites sans scrupules. Pour cela pourtant, elle paie un lourd tribut à la guerre qui naît dans les cœurs des opprimés, des laissés-pour-compte. C’était du moins le message que voulaient transmettre les organisateurs de la messe de commémoration du massacre des étudiants hutus au campus Mutanga. Dans la paroisse dite de l’abbé Ntabona, un groupe non négligeable des Burundais s’est retrouvé hier dans la soirée pour prier. En offrant le corps et le sang du Christ, ils ont présenté devant Dieu les âmes des étudiants tués au campus de Mutanga en 1995. Ils ont supplié le bon Dieu de faire en sorte que ces sacrifices profitent à l’éclosion d’une Nation véridique. Hélas, bien des rescapés dudit massacre, tout en étant régulièrement invités, ont brillé par l’absence. Tout le contraire du professeur Venant Bamboneyeho dont la présence n’est pas passée inaperçue. Pire encore, dans les intentions de messe, on pouvait remarquer que bien des noms des suppliciés se sont déjà perdus. D’une centaine d’étudiants zigouillés, on n’a entendu que cinq à six noms évoqués. C’est très triste. C’est dramatique. Qu’à cela ne tienne, il nous suffit de revisiter les livres de Jean Marie Sindayigaya « Burundi : quatre décennies de crimes contre l’humanité » et d’Alain Nyamitwe « J'ai échappé au massacre de juin 1995 au campus » pour rallumer ces flammes qui semblent s’éteindre à jamais des cervelles du groupe d’organisation. D’autres témoignages méritent d’être mis par écrit même si les Burundais ingurgitent l’alcool plus qu’ils ne lisent ! Comme à toute commémoration, il y a eu des moments forts après la messe. L’évocation du meurtre d’Hector. Les meneurs sont connus. Ils occupent de bonnes places au soleil des anciens rebelles. C’est rageant. Est-ce au nom de la présomption d’innocence ? Est-ce un arrangement entre tueurs impénitents ? Le Burundi serait maudit, condamné à un cercle vicieux de massacres à répétition sur fond de clientélisme, de cupidité, d’insolence, de refus du partage et de vanité. Retour sur le martyre d’Hector. Comme en 1972, les tueurs avaient élaboré une liste d’étudiants hutus présentés comme dangereux. Mais Hector a été doublement tué. Orphelin d’un père assassiné en 1972, Hector rappelait à sa mère d’origine rwandaise que les morts ne sont jamais morts. La marâtre qui s’était remariée et avait eu des enfants du second lit, ne faisait que dresser les demis frères d’Hector contre leur aîné. La vie d’Hector était en danger aussi longtemps qu’il gardait un œil sur l’héritage de son père à Ngagara. Et l’occasion en or s’est présentée à ses ennemis jurés en cette date du 10 juin 1995 sur le terrain du Collège du Saint Esprit. Un étudiant dont nous taisons le nom portait alors ostensiblement un pistolet. Il a donné le signal de l’exécution d’Hector comme à un marathon des jeux olympiques. A genoux devant ses bourreaux, les mains sur la tête, Hector a reçu une rafale dans la poitrine. Il s’est écroulé dans la poussière devant d’anciens camarades d’Université, en liesse. Le ministre de la Sécurité publique d’alors est arrivé trop tard pour Hector et trois autres martyrs. Mais le garde du corps du ministre a refusé cette fatalité. Il a pointé son fusil sur les étudiants qui dansaient autour du cadavre d’Hector. Il n’a pas hésité et a ouvert le feu. Il y eu d’autres morts. Un deuil que les Hutus dénigrent, à tort. Le témoin parle de quatre étudiants de l’ethnie tutsie. La souffrance n’a pas d’ethnie. De même que l’injustice. Il y a des noms et des visages. Les faits sont têtus. On regrette que parmi les morts, il n’y ait aucun meneur. On voulait le nez de Cléopâtre sur ce premier lieu du massacre. Mais en sentant le danger, les meneurs avaient filé à l’anglaise vers le campus Mutanga. Il y avait des conciliabules au sommet de l’association des étudiants (A.S.R). Les ténors de l’époque sont connus. Avec qui pactisent-ils aujourd’hui ? C’est toujours le même étudiant qui portait le pistolet qui arrive le premier au grand campus. Celui-là même qui, un jour, avait promis d’arracher les mauvaises herbes du campus, en parlant des étudiants rapatriés dans l’hystérie de la victoire de Melchior Ndadaye ! Autour du meneur, les étudiants s’amassent. Il passe sous silence le martyre d’Hector et compagnons pour dire qu’un béret vert hutu vient d’encadrer ses compères pour décimer les Tutsis au collège du Saint Esprit. Il donne le signal de la chasse aux Hutus. La nouvelle de la mission patriotique tombe dans les oreilles des étudiants qui rentraient du Collège du Saint Esprit. Sur le pont Ntahangwa, un étudiant hutu connu sous le sobriquet de Pocquelin rentre du bar Chez Jumbo de Mutanga Nord. Il est cueilli comme un fruit sauvage par une bande d’étudiants enragés. Il est lapidé jusqu’à ce que mort s’en suive. Une longue nuit commence pour les étudiants à envoyer à l’abattoir comme des moutons. Toute la nuit, il y eu des explosions de grenades pour forcer les portes des chambres au Tropicana et au Grand Home ; il y eu des fusillades et des coups de baïonnettes dans les ventres des étudiants sans défense. Les cadavres sont jetés rapidement dans des sacs plastiques noirs et transitent par Nyakabiga vers quelque charnier. Même modus operandi qu’en 1972. Le matin, seul les amas de sang et le sac des chambres témoignent de l’ampleur du massacre. Les amis et parents alertés ne récupèrent qu’une dizaine de cadavres. Et le silence retombe sur le campus, de même que depuis 1972, le pays se vautre dans un manteau de deuil. Depuis peu fort heureusement, la glace se brise et les survivants reviennent sur les faits, sur cette Shoah. On le doit certes aux combattants qui ont contraint les putschistes à faire profil bas. Mais leur bilan reste mitigé. Que le chantier de la justice transitionnelle tarde à démarrer, nous sommes convaincus que l’heure du devoir de mémoire a sonné. Comme l’écrivait si bien Jean Marie Ndagijimana dans « Bujumbura mon amour » : « Le sacrifice consenti par ces héros est un mur contre lequel viendra désormais se fracasser le mensonge d’Etat consistant à transformer les victimes en bourreaux. » C’est aux rescapés de sortir de la torpeur, d’arracher la parole. Le devoir de mémoire et l’amour de la vérité se moquent des calculs mesquins des gens du régime qui semblent avoir accordé l’absolution à des monstres allergiques à l’acte de contrition. La messe s’est terminée en se promettant d’étaler bientôt les noms des meneurs du massacre sur la place publique. Une invite aux âmes blessées à participer nombreuses à ce genre de manifestations. C’est une des voies pour guérir de la lâcheté. On prie, on pleure et on marche la tête haute vers son prochain. Sachons prier pour vaincre les démons qui nous tendent les pièges de la haine et de l’insolence. Un membre de l'Association Girubuntu |