@rib News, 19/03/2013 Quelques interrogations sur l’atelier sur les enseignements des élections de 2010 tenu à Bujumbura du 11 au 13 mars 2013 Par Albanel Simpemuka Introduction. Le Bureau des Nations Unies au Burundi (BNUB), à travers le Représentant spécial du Secrétaire Général, a pris l’initiative d’inviter les leaders politiques burundais, particulièrement les présidents des partis politiques, à un atelier sur les enseignements des élections de 2010. La plupart ont honoré de leur présence cette invitation ou se sont fait représenter. L’organisation de cet atelier montre que l’ONU est consciente que la situation de blocage actuelle peut déraper dangereusement, et qu’un autre fiasco électoral en 2015 ouvrirait la boîte de Pandore. Mais elle n’a pas pris le risque de provoquer une confrontation directe sur les questions qui fâchent. D’où cette étrange façon de parler des élections de 2010 sans vraiment laisser à l’opposition l’opportunité d’en parler. L’observateur de la scène politique burundaise ne peut donc manquer de se poser un certain nombre de questions.
Questions de forme 1. En invitant les chefs des partis politiques, le Représentant spécial a proposé le thème général, (les enseignements des élections de 2010) les thèmes des ateliers quotidiens, ainsi que la durée des ateliers (3 jours). Ici, des questions se posent : Pourquoi a-t-il jugé inutile de recueillir au préalable les avis des partis sur ces questions ? Est-ce parce que les Nations unies sont parfaitement au fait des problèmes burundais et qu’il était sûr d’interpréter exactement leurs préoccupations ? Dans ce cas, n’était-il pas plus élégant de les laisser pointer eux-mêmes leurs soucis ? Dans le cas contraire, n’a-t-il pas pris le risque d’une erreur de diagnostic ? 2. Quand on regarde l’ordre du jour du premier jour, la cérémonie d’ouverture mise à part, on constate que la discussion plénière devait prendre deux (2) heures, sur 6 heures 45 minutes de temps de parole, et que le Ministre de l’intérieur et le président de la CENI, avaient droit respectivement à une demi-heure et une heure de temps de parole. Etait-ce une répartition équitable de l’espace du discours et du droit à la parole ? Pourquoi l’opposition n’est pas associée dans cette prise de parole ? 3. Le deuxième jour, étaient prévus six exposés suivis de discussion plénière sur des thèmes comme : La période pré-électorale, Des élections inclusives, Dialogue, Déroulement du vote, et Sensibilisation du public. Quand et comment avait-on convenu de qui feraient ces exposés ? Qui, fût-il un grand expert, et au non de quels principes, s’est arrogé le droit de décider à la place des Burundais ? 4. Le troisième et dernier jour était consacré à la mise au point d’une « Feuille de route vers 2015 ». Quel est le statut juridique de cette feuille de route? Au titre du Mécanisme de suivi, il est écrit : « …demander au Gouvernement d’organiser dans les meilleurs délais, des ateliers de suivi et d’élaborer un chronogramme pour la mise en œuvre des recommandations en étroite collaboration avec les institutions nationales compétentes, les partis et acteurs politiques burundais, les Nations Unies, ainsi que les partenaires internationaux. » Mais, y a-t-il vraiment quelque chose de fini dont il faut suivre la mise en œuvre ? Etait-ce prudent de s’en remettre au bon vouloir du gouvernement pour ces initiatives décisives ? Qu’adviendra-t-il si celui-ci traîne les pieds ou fait montre de mauvaise foi ? 5. Pourquoi n’a-t-il pas été possible de formaliser un agenda complet actant tous les thèmes et préoccupations essentiels des uns et des autres, que chaque parti irait étudier ; ainsi qu’un calendrier de rencontres en vue de discussions et d’accords arbitrés ? 6. Concernant la création d’un environnement apaisé, pourquoi le gouvernement ne s’est pas gêné de bloquer les militants du MSD venus accueillir leur leader qui rentrai d’exil ? Pourquoi n’a-t-il pas hésité à faire tuer et blesser des croyants rassemblés sur une colline, qui ne troublaient pas l’ordre public et que, le cas échéant, on aurait pu disperser avec des moyens moins extrêmes ? Des questions de fond sur les conclusions de l’atelier 7. Les éléments de la Feuille de route comprennent des principes généraux et des recommandations. Au niveau des principes généraux, on a des généralités sur le dialogue, les élections, l’environnement sécuritaire et politique, la confiance mutuelle (la méfiance n’est-elle pas politiquement légitime ?), le rejet de la violence en démocratie… Le quatrième principe dispose : « Les partis, acteurs et coalitions politiques doivent être libres de mener leurs activités dans le respect du cadre légal en vigueur » Question : Et si ce cadre légal est inique, liberticide ? Et s’il est interprété abusivement ? 8. Au titre des recommandations, le code électoral, la constitution sont proposés à une révision consensuelle. Concernant la CENI, CEPI, CECI, il est recommandé de garantir l’indépendance, l’impartialité et l’autonomie financière de la première et de « convenir de la représentation inclusive des partis politiques au niveau des CEPI et des CECI. » Comment garantir l’indépendance et l’impartialité de la CENI ? La constitution de la République du Burundi dispose : Article 89 : « Une commission électorale nationale indépendante, garantit la liberté, l’impartialité et l’indépendance du processus électoral. » Et l’article 90 : « La commission est composée de cinq personnalités indépendantes. Ses membres sont nommés par décret après avoir été préalablement approuvés séparément par l’Assemblée nationale et le Sénat à la majorité de trois quarts. » Pour garantir cette indépendance et cette impartialité, et vu la couleur politique actuelle des deux chambres du parlement, sera-t-il possible de réviser la constitution dans le but de rendre la CENI aussi inclusive que ses démembrements provinciaux et communaux ? 9. La recommandation numéro 20 suggère de « Mettre en place des organes de gestion des contentieux électoraux autres que la CENI avec des règles et procédures simples et claires. » Cela veut dire que la CENI serait dessaisie de son pouvoir d’arbitrage et de décision en matière de contentieux électoral et que les dispositions suivantes de l’article 91 de la constitution, relatives à ses attributions : « …e) Entendre les plaintes concernant le respect des règles électorales et y donner suite. Les décisions de la Commission sont sans appel ;f) Veiller, en appliquant des règles appropriées, à ce que les campagnes électorales ne se déroulent de manière à inciter à la violence ethnique ou de toute autre manière contraire à la présente Constitution ;g) Assurer le respect des dispositions de la présente Constitution relatives à la multiethnicité et au genre et connaître des contestations à cet égard », seraient transférées à ces organes. Dès lors, quelles juridictions seront habilitées à entendre et aplanir les contentieux électoraux ? Comment les constituer de façon équilibrée et rassurante pour tous ? 10. La rubrique Environnement propice formule des vœux de participation inclusive au processus électoral, de dialogue entre parties prenantes, de fusion ou de réunification des partis politiques, de fin de l’impunité, d’ « assurer que la jeunesse affiliée aux partis politiques contribue de manière constructive à un environnement propice aux élections », d’ « Etablir un environnement sécuritaire qui protège tous les acteurs politiques ». Comment arriver, avec ces vœux, à faire fusionner des ailes politiques rivales, dont les unes sont issues de congrès illégaux initiés dans le cadre de la politique dite de Nyakurisation ? Suffira-t-il d’un souhait pour ramener à la raison les milices Imbonerakure et les rendre constructives, ou bien faudrait-il des mesures strictes de démilitarisation ? Conclusion. Sans doute, en initiant cet atelier, le BNUB a fait un geste qui indique une direction, même si elle aurait pu consulter, sans frilosité, les principaux concernés sur les articulations de l’ordre du jour. Sans doute aussi les résultats de cette rencontre sont-ils un pas dans le bon sens. Cependant, l’hypothèque vient du fait que l’initiative en a été confiée au gouvernement, qui fait partie du problème. Le BNUB devrait garder la clé de l’impulsion, non pour décider à la place des Burundais, mais pour fluidifier les contacts et amortir les effets des calculs politiciens. De plus, les problèmes politiques étant entremêlés, se focaliser sur le code électoral et la constitution, sans relire la loi communale, la loi sur les partis politiques, la loi sur les partis politiques d’opposition et même le code de procédure pénale, la loi sur la presse, les instruments juridiques sur la lutte anticorruption, serait un cautère sur une jambe de bois. C’est donc conscient de cela qu’il faut lire la recommandation 15, qui invite à « Procéder de manière inclusive à la préparation de la révision et l’harmonisation du cadre juridique régissant les élections et la vie politique nationale » « Seul est libre celui qui veut libérer tout ce qui l’entoure » (Fichte) |