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Melchior NDADAYE, Héros de la Démocratie & Prince Louis RWAGASORE, Héros de l’Indépendance

Feu Cyriaque SABINDEMYI, premier président de l'ARIB asbl


 

Umusambi (grue couronnée)

Sites touristiques

La Source du Nil : Petite pyramide à la fois indicative et commémorative, au sommet du mont Gikizi, à 2.145 mètres d'altitude. C'est au pied de cette montagne que surgit, d'abord frêle et timide, la source la plus méridionale du Nil, découverte en 1934 par l'explorateur allemand Burckhard Waldecker.

Pyramide "Source du Nil"

 

Au sud-est du Burundi, dans la province de Rutana, commune de Mpinga-Kayove, sur  la colline de Shanga, se trouvent les chutes et la grotte de Karera. Karera est constituée de quatre chutes d’eau qui sont d’une hauteur variant entre 30 et 60 mètres.

Les chutes de Karera

 

La Faille de Nyakazu, située en province de Rutana dans le Sud-Est du Burundi. L'histoire de cette faille débute en 1914, au début de la Première Guerre mondiale, Nyakazu était un poste militaire allemand construit pour contrôler toute la partie orientale du pays. Le plateau de Nkoma sur lequel il a été édifié aurait été, dit-on, entaillé par les bottes des soldats allemands en fuite devant les forces belges.

La "Faille des Allemands"

 

La "Pierre Stanley et Livingstone" à Mugere où l'explorateur Stanley rencontra le célèbre savant Livingstone le 25 novembre 1871.

Pierre 'Stanley-Livingstone

Info pratique

Rose Ntwenga : « Témoignage de juillet, août, septembre 1972 à Bujumbura » Convertir en PDF Version imprimable Suggérer par mail
Opinion

@rib News, 14/06/2009

Témoignage de juillet, août, septembre 1972 à Bujumbura.

TRANSMISSION DE MEMOIRE ET CONTRIBUTION A LA COMMISSION VERITE

Rose Ntwenga, Montpellier, le 14 juin 2009

Au mois d’août 1972, mes frères, ma sœur et moi, avions été accueillis par  Paul Morisho et son épouse, Mama Anipha, au quartier 3 de l’Ocaf.  Nous nous y étions bien sentis. J’avais l’impression de découvrir que cette famille m’était connue. Le couple connaissait Léocadie[1], ma tutrice.

J’avais du mal à me repérer.

Et, nous nous étions mis à parler des disparus

Mais, avant les disparus, il ne fallait pas aborder l’origine et les circonstances de l’impact de balle visible dans l’un des murs de la maison.

C’était une balle perdue  de la matinée du 30 avril 1972.

C’était l’histoire de ceux qui étaient partis.

Ils n’étaient pas revenus.

A ce moment du récit, plus personne ne riait. Le silence accompagnait leur disparition.

Quand ils n’étaient pas revenus, on avait pas su quoi demander, ni quoi faire.

Se taire.

Dans  la plupart  des cas, personne n’avait pleuré.

C’était interdit.

On pouvait rire de tout, sauf, de ceux qui étaient montés dans le camion sans protester.

Si.

On se moquait, de celui qui, au début du mois de mai 72, avait contribué à l’aide de son papier, aux arrestations.

Il avait consigné des noms et des noms.

Il avait déployé un zèle incroyable dans l’espoir d’échapper aux arrestations.

Quand le camion avait été rempli, le monsieur tout maigre pour qui il avait travaillé, lui avait fait signe de monter à son tour.

Le dernier inscrit lui avait tendu le bras.

Parmi les autres dans le camion, il avait ri de son vain effort.

Cela se passait à Kamenge, du côté du Terminus.

On devait oublier.

« On », l’indéfini.

 Alors que nous l’avions envahie presque aussi nombreux que sa famille, Mama Anipha prenait le temps de faire notre éducation.

Apprendre à gérer l’argent pour assurer les trois repas quotidiens, savoir faire le ménage, la cuisine, le partage et la disposition des repas des filles, d’un côté, puis, de ceux des garçons et des adultes de l’autre côté, tout un savoir vivre à intégrer harmonieusement.

Pour Mama Anipha,

J’ai choisi le pagne « Maji ya Océan » en pensant à elle.

- Shukurani-

Au cours de la semaine, nous n’apercevions Paul Morisho qu’au repas de midi. En dehors de son travail de mécanicien, le championnat de football était sa principale occupation. Les membres et autres personnes satellites au club évoquaient avec nostalgie le temps de la gloire du Tout Puissant Englebert. Leur club avait gagné le championnat cinq années consécutives dans les années soixante.

Puis, Rwanda Sport s’était formé avec l’arrivée des exilés rwandais. La nouvelle formation les avait détrônés. C’était une ambiance de préparation de match, de rendez-vous de sortie après le match, d’allusions aux séances de spiritisme et de maraboutage, du soin accordé aux maillots des joueurs, des conciliabules pour exfiltrer de leurs clubs, les meilleurs joueurs adverses… 

Mama Anipha  se plaignait que le club accapare toutes les attentions de son mari.

Elle rappelait que nous devrions aller rendre visite à Madame Valentin Sebusa.

- Ce dernier était un des amis de votre père, soulignait-elle.

Valentin Sebusa, le géomètre, avait terminé sa vie à la station d’essence du quartier 3 de l’Ocaf l’après-midi du 30 avril 1972.

Les officiers de la police judiciaire (O.P.J.) lui avaient ordonné de s’arrêter. Ils lui avaient crié des ordres qu’il n’avait pas pris pour son compte. Ces injonctions ne le concernaient certainement pas. Au volant de sa voiture, Valentin Sebusa avait sorti sa tête pour demander de quoi il s’agissait.

La jeep militaire et la voiture banalisée des officiers de police lui avaient barré la route. Les officiers étaient descendus de leur véhicule et s’étaient mis à sa hauteur. Ensuite, les militaires s’étaient acharnés sur sa tête.

Je n’écoutais pas la suite.

Nous passions certains après-midi à nous remémorer les circonstances dans lesquelles avaient disparu bon nombre de gens de notre connaissance.

« La terre ne se nourrit pas que de végétaux »[2]

M. Busabusa[3], le commerçant prospère du secteur A de Kamenge, avait été allongé sur le ventre dans la cour centrale de la prison de Mpimba. Il avait déjà subi la première séance de bastonnade.

Les tortionnaires lui avaient demandé ce qu’il possédait.

Allongé sur le dos, c’était la séance des coups de bâtons sur le ventre[4].

Il s’était mis à énumérer ses biens.

« - Non ! Nous voulons de l’argent liquide. »

Les coups de bâtons avaient repris. Dans ce laps de temps, les tortionnaires lui promettaient de le libérer. Que possédait-il au juste ? M.Busabusa, avait dit que sa deuxième femme Marciana[5], l’institutrice, n’avait pas connaissance des quatre cent mille francs mis de côté.

Il avait indiqué où les trouver sans passer par elle.

La réponse était arrivée.

« - Non seulement, nous irons prendre l’argent, mais auparavant, nous allons te tuer. »

La Terre …

Mertus, Martin, le dribleur, la gloire du football burundais avait été arrêté. Il habitait la partie non cadastrée de Kamenge, celle qui jouxte les secteurs A et C. Conduit à la prison de Mpimba pour interrogatoire, il  pensait vite lever les équivoques sur les accusations  de complicité de participation au coup d’état. A la place, il s’était retrouvé dans la cour pour la séance de bastonnade. Mertus avait déjà subi sa série de coups de bâtons, pour « avouer ».  L’un des geôliers l’avait reconnu.

- C’est Mertus,  c’est le célèbre footballeur. C’est lui, le meilleur !

Arrêtez, aurait-t-il dit. Il n’a rien à dire. Il n’est pas politicien.

Le geôlier avait décidé de le faire relâcher. Mais, celui qui présidait la séance de bastonnade s’était opposé.

- Il faut le tuer. De toutes les façons, dans l’état où sont ses jambes, il ne pourra plus s’en servir.

La Terre …

Le Commandant Martin Ndayahoze[6] et plusieurs personnes considérées comme « politiciens » avaient été rassemblés pour une séance spéciale.

On  leur avait fait « avouer » : « - Nous avons fomenté un coup d’état. » Ils avaient été exécutés par balle comme le veut la loi.

La Terre …

Venant NtwengaVénansi[7], mon père, se trouvait dans une des cellules avec d’autres infortunés, victimes des rafles. Une semaine plus tôt, il avait eu un accident de voiture avec sa Renault d’occasion sur l’avenue du peuple Murundi, non loin du Centre de formation artisanale (C.F.A). Le conducteur en face conduisait  tous feux éteints. 

L’accident avait été assez grave pour que mon frère Valère et lui soient évacués séparément. A cause de son genou blessé, il se déplaçait à l’aide d’une canne.

Celui qui nous avait relaté l’histoire de ces derniers instants avait dit : 

« - Votre père ne portait pas de traces, ni coups, ni blessures récentes,  ni balles. »

Comme tous les autres détenus, il avait été convoyé à la séance de bastonnade. Dans la cour de la prison, un des ses anciens employés, François, était présent. Il avait tenté de plaider pour son ancien patron. 

Le préposé au  ramassage  des corps de cette cellule avait dit, que la veille, quelqu’un avait porté un médicament à mon père.

En toute vraisemblance, quelque chose à boire.

Venant Ntwenga

- Bâtisseur-

Photo prise le 2 juin 1968 à Kamenge par Samson (exilé rwandais, Bwiza, IVème avenue. Il a fui en 1972 vers la Tanzanie.)

Le lendemain, il était assis, sans vie, un papier dans la main. Un « monsieur » avait demandé à garder le papier[8]. Il avait dit que « Vénansi avait dénoncé tous les autres comploteurs comme lui dans le coup d’état. ».

J’avais demandé dans quelle langue avait été écrit le papier. En français ? Combien de noms ?

Il ne se souvenait pas très bien, mais un prénom, Bernard, enfin, un prénom chrétien.

Ce Bernard avait pris le papier. Il  avait dit :

« - C’est la preuve. »

A plusieurs reprises, les adolescents avec qui nous avions bavardé cet été 1972, me répétaient sans cesse :

« - Ton père n’était pas blessé. »

Les récits des autres parents me devenaient de plus en plus insupportables. On décrivait la torture « Commande »[9], les pieds et les mains liées dans le dos à l’aide d’une cordelette en raphia.

La Terre …      

Le lendemain de mon retour du Lycée d’Ijenda le 1er ou le 2 juillet 72, disparaissait, Pattern[10], le père de Goretti Nduwimana.

J’avais écouté le message.

L’arrestation avait eu lieu à son domicile sans encombre. Il était entré dans la jeep calmement préparé à faire le trajet jusqu’à la prison de Mpimba. A peine à cent mètres de son domicile c’est-à-dire à la hauteur du marché de Ruvire, un coup de feu avait retenti.

La balle était pour lui.

Honorata et moi, avions soupiré.

Pour nous, Goretti avait eu « de la chance ». Elle avait vu son père au moins une journée.

Nous étions convaincues qu’il lui avait certainement dit quelque chose, … Comment faire…

Autour de nous, c’était devenu de plus en plus incompréhensible.

La Terre… 

Pour éviter une possible arrestation lors des filtrages aux barrières, Daniel Mpfanuguhora[11] et quelques collègues s’étaient cotisés avec la contribution du directeur de la Banque de Crédit de Bujumbura, pour la location d’un bus, afin de parcourir sans encombre le trajet aller-retour quotidien vers la banque. Mesurant environ un mètre soixante cinq pour la plupart d’entre eux, ils ne pouvaient plus échapper longtemps à l’œil scrutateur des assassins des jeunesses révolutionnaires Rwagasore (JRR). En effet, le critère de taille très moyenne était à lui seul suffisant pour être arrêté en pleine rue et par moments être même sommairement exécuté.

A cette étape du génocide en juin 1972, les transports en commun n’étaient pas encore l’objet de contrôle.

L’idée d’avoir contourné les arrestations, s’installait peu à peu.  C’est alors que M. Samuel Nduwingoma[12] avait eu un besoin de liquidités. Quand il s’était approché du guichet de la Banque de crédit pour un retrait, il se serait exclamé:

« - Nous avons cru avoir délogé partout, tous les spécimens d’animaux sauvages*[13] …voilà que je me retrouve dans leur repaire ! »

Il avait demandé à l’un des employés de la banque (B.C.B.) de lui prêter un téléphone.

Un camion militaire était aussitôt arrivé. Je ne sais sur quels critères le capitaine Samuel  Nduwingoma avait  fait le tri.

Daniel était du voyage. 

Les vautours rôdaient…

Chez Mama Anipha, nous étions des enfants heureux.

Dans le brouhaha des nombreux enfants de tous âges, elle avait le temps de respecter les exigences de la foi musulmane. Nous jouions avec certains des voisins. Nous avions continué notre échange de bandes dessinées. Plein d’enfants se croisaient dans le salon de Paul Morisho et Mama Anipha.

Notre présence dans cette famille était à un moment donné de la conversation des visiteurs, un centre de curiosité. Les différents jeunes et moins jeunes évoquaient ce qui nous arrivait. Parfois, quelques uns d’entre eux étaient  venus avec l’intention de se moquer ouvertement.

Alertée par l’ampleur et la multitude de visiteurs, Mama Anipha avait attiré notre attention sur un adulte dont nous étions l’unique intérêt.

J’étais incapable de situer cette personne.

Il paraît que l’individu nous questionnait abruptement.  L’insolite de la situation était que, la fratrie Ntwenga, les concernés en premier lieu, se retrouvaient les seuls à ne pas percevoir son attention malveillante. Après descriptions, Valère avait pu situer la ressemblance. Dans l’un des volumes de Bécassine, une galerie de personnages en bas de page ; sur un visage apparaissait un nez particulier.

- Oui. Nous l’avions reconnu, tout de suite. C’est Bernard !

Nous étions habitués aux amis de Joséphine[14], la mère de Félix Junior. Ils parlaient tous comme lui. Vous ne saviez pas vraiment ce qu’ils voulaient. Avec eux, la conversation se limitait à un long interrogatoire. Après, ils se réfugiaient sous un masque impassible. Nous ne nous étions jamais souciés  de connaître l’utilisation des réponses obtenues.

Bernard était venu pour sa surveillance routinière. Valère lui avait tendu un des albums de Bécassine à la page indiquée.

« -  J’ai trouvé que ton nez  était très ressemblant… »

Bernard avait retenu un geste d’humeur. Il était reparti sans un mot pour personne.

La Terre…

Une autre personne avait été arrêtée sans ménagement un matin au salut du drapeau. C’était le père d’Emmanuel Kidodoye,[15] le directeur de l’école primaire du Quartier 3 de l’Ocaf. Je commençais à en avoir assez de cette terre « qui ne se nourrit pas que de végétaux ».  Au lieu que cette incantation ne m’aide à accepter, je me révoltais contre sa voracité. Cette fatalité me mettait mal à l’aise.

Nous continuions le décompte des disparus.

Au lendemain du 29 avril 1972, on avait raconté qu’un coup d’état avait été déjoué. Des rebelles avaient attaqué le sud du pays. Il se racontait que le commandant Ferdinand Nyabenda avait occupé et hissé un drapeau étoilé sur le camp militaire de Mabanda*[16]. Sa famille vivait à Kamenge au secteur B tout près du sentier principal qui traversait le terrain vague de séparation entre le quartier de Kamenge et celui du quartier 3 de l’Ocaf. Visiblement, sa famille n’avait pas été mise au courant des audaces  du chef de famille.

Son fils [17]comptait prendre un verre de bière. Une nouvelle buvette du secteur C, entre le Bazooka Club et la buvette de Chez Busabusa du secteur A, avait ouvert un espace de consommation dans un décor de fortune.

Totalement éloigné de la tragédie, le fils du commandant Ferdinand Nyabenda n’avait pas remarqué que deux individus le suivaient.  Ils le serraient de près et cherchaient son attention avec insistance.

« - Vous ne voyez pas qu’il n’est pas au courant ?  avait tonné, Mao.

De son nom, Antoine Sekomo, exilé rwandais, Mao, avait la dégaine de Jimi Hendrix. Il s’était adressé à ces messieurs avec l’impertinence des gens du quartier.

- Qu’est ce que vous lui voulez ?

Les messieurs surpris dans leur stratégie d’approche avaient saisi l’occasion pour déclencher l’arrestation.

- Hé, le rwandais, de quoi, tu te mêles ? Ce sont des histoires entre burundais, lui avaient-ils dit.

- Histoires entre burundais, mon œil ! avait vivement repris Mao. C’est son père qu’il faut arrêter à Mabanda. Lui, ici, n’y est pour rien.

- Tu n’es pas content, avaient faussement constaté les officiers de police judiciaire.

Après l’altercation verbale, les officiers avaient immobilisé Mao et le fils du commandant Nyabenda. Tous les deux avaient été conduits à une voiture, passée inaperçue jusque là, pour le voyage sans retour.

A partir de cet instant, les fuites vers le Zaïre s’étaient multipliées. Les sœurs et jeunes frères Nyabenda s’étaient enfuis sans demander le reste. Ernest, le voisin de la buvette du secteur C, avait pris le chemin du Rwanda. Le deuxième fils de Moteri était élève à l’école secondaire de l’école Normale de l’Etat (ENE). Malgré les échos des terribles arrestations et tueries de l’école technique secondaire de Kamenge (E.T.S) où son grand frère, sous le pseudonyme de Jean Kabera, avait réussi à s’échapper, lui était resté à l’internat. Une jeep militaire s’était introduite dans la cour de l’école de l’ENE. Le deuxième fils de Moteri[18], l’avait suivie du regard. Son voisin de banc, lui aurait soufflé :

« - Cette fois, c’est pour toi. »

Effrayé, il était sorti de la classe précipitamment en courant. Athlète débutant, il avait foi en sa foulée. Ainsi, il avait pu joindre le champ de coton qui jouxtait l’ENE. Le militaire avait épaulé son fusil et avait fait mouche, comme à l’exercice.

A sa mère, les âmes bienveillantes étaient venues lui dire d’aller ramasser son fils étendu dans les champs de coton. 

La Terre … 

Suite aux disparitions des enseignants et des élèves sur une large échelle, le ministère de l’éducation nationale avait concédé un mois de vacances supplémentaire. Une inquiétude commençait à poindre à mesure que se rapprochait la rentrée scolaire.

Qui allait payer nos frais de scolarité ?

- Ne comptez pas sur moi pour votre scolarité, avait déjà prévenu maman à plusieurs reprises.

Cet avertissement ne rentrait pas dans notre schéma de pensée. Ses propos, nous les mettions sur le compte de l’ambiance de polémique et de dispute avec ses rivales pour le compte de leurs frères respectifs.

Pourtant, elle ne cessait d’expliquer qu’elle vivait bien. Elle avait appris à travailler la terre. Sans rire, elle nous invitait à en faire autant.

Ce qui commençait à me perturber, c’est qu’il devenait impossible d’aborder avec elle, la nature de la structure familiale qui nous relierait. Nous ne resterions pas indéfiniment à la charge de M. Paul Morisho et de sa femme.

J’étais déjà très reconnaissante de l’accueil.

Intérieurement, je réalisais qu’à défaut d’être un poids insupportable, notre présence constituait chez eux un encombrement gênant. Certes, nous rentrions dans le cadre de leur hospitalité coutumière. Mais pourquoi apparaissaient-ils insensibles aux critiques et aux remarques désobligeantes des bien-pensants, de certains membres de leur famille et de leur entourage ?

 Mama Anipha avait réalisé que la succession d’évènements aussi difficiles que compliqués que nous avions traversés, ne nous permettait pas de réfléchir jusqu’au bout. Nous nous contentions d’une idée très vague sur bien des sujets. Un désarroi, consécutif au manque de réponse sur l’enchaînement des disparitions dans notre entourage nous habitait.

Pourquoi étaient-ils tous partis ? Cette absence…

De fait, elle percevait que nous nous sentions abandonnés malgré son hospitalité.

Madame Harerimana, la mère de Marie-Louise et Anne-Marie était passée lui rendre visite. Son mari l’infirmier avait disparu aussi. Il avait été arrêté à l’intérieur du pays à Muramvya, sa nouvelle affectation. Elle ne m’avait pas reconnue, moi, non plus. C’était comme si nous partagions une douleur commune.

Aucun échange de paroles n’avait été possible. 

Léocadie

Progressivement, Mama Anipha tentait de me parler de Léocadie.

Quelques années plutôt, pendant  plus de six mois, la famille Morisho avait dû rappliquer dans la précarité du campement du secteur C. n°29 à Kamenge. Les contributions au club de football et à l’ambiance du samedi soir avaient mené le chef de famille à l’impasse.

Léocadie les avaient bien accueillis. C’était naturel avec elle.

J’étais comme prise d’un malaise à son évocation.

Mama Anipha n’insistait pas. Elle continuait.       

Un autre après-midi, Mama Anipha portait un twin-set.

Par cette chaleur, quelle était cette lubie ?

C’était celui de Léocadie.

Je ne voulais pas entendre parler de Léocadie.

Obstinément, elle persistait.

Elle lui vouait une reconnaissance qui amplifiait son absence. Léocadie l’avait confortée dans l’acceptation de la différence de l’un de ses enfants. Son fils jouait à la poupée, portait des pagnes, faisait le mime, le clown…

Je l’écoutais distraitement.

Je ne me souvenais pas avoir joué à un seul jeu qui ait plu à mon entourage.

Je ne prêtais pas attention.

Puis, Jean-Paul Morisho, son fils s’était mis à décrire l’arrestation. C’était à lui que Léocadie avait lancé son twin-set.      

En ce début du mois de mai 1972, Léocadie n’était plus enseignante à l’école primaire du quartier 4 de l’Ocaf mais à l’école primaire d’application du Copico, tout près de l’Ecole Normale de l’Etat (l’E.N.E.).

C’était à une heure proche des sorties de classes, ou, c’était l’heure du retour de promenade des classes primaires. Une combi Volkswagen était venue arrêter les professeurs de l’école normale de l’état, proche du Copico. La combi avait stoppé à sa hauteur. Léocadie avait demandé aux militaires où ils emmenaient toutes ces personnes.

Ce manège commençait à durer !

Depuis deux semaines, aucune nouvelle sur le sort des personnes emmenées les jours précédents n’avait filtré. Les militaires lui avaient demandé si elle voulait voir.

C’était son dernier jour de cours. Elle commençait son congé pré-natal le lendemain. Les militaires lui avaient ordonné de monter. Elle avait eu le réflexe de lancer le twin-set à Jean-Paul.

Je n’avais pas  écouté.

Non loin de là, à l’intérieur de la combi V.W, elle était piétinée par les militaires. Les professeurs de l’école secondaire pétrifiés, n’avaient pas eu un geste en sa faveur. 

Je n’écoutais plus.

Avec un autre écolier, Jean-Paul avait suivi les derniers moments de Léocadie.

Dans un deuxième temps, les militaires s’acharnaient …

Je n’écoutais plus du tout.

Jean-Paul était rentré, le twin-set en main, décomposé par ce qu’il venait de voir.

Ce bout de tissu était ce qui restait de Léocadie.

La Terre …

C’était très simple de mesurer le changement de population après le 29 avril 1972 dans notre quartier de Kamenge. Un petit tour sur le tronçon de route qui sépare le secteur A/C et le secteur B/D, était illustratif.

Rien qu’à demander où se trouvaient les habitants des premières maisons visibles au bord de la route, cela confirmait l’ampleur des disparitions.

Le chauffeur du bus de l’Université, M. Mamera[19],  le chef des cantonniers, ancien ministre des travaux publics, M Zacharie Ntiryica[20][21], le propriétaire du bar « Au petit jardin », le commerçant Busabusa,  n’existaient plus.

Marie Nikobamye, élève du Lycée Clarté Notre-Dame, avait fui par la suite au Rwanda. Pierre Simba, étudiant à l’université avait fuit pour le Zaïre. M. Nzomwita, retraité de la Force Publique des années 60, en prison. Le père de Piston, le chauffeur de poids lourd, au Rwanda,…

J’avais passé le témoin.

J’avais laissé le soin aux autres de regarder autour d’eux. Ma tête ne  pouvait plus enregistrer.

Si, Nègre-fûté[22] aussi. 

Il habitait à l’autre bout de Kamenge.

M.Anaclet Burundi qui vivait à la prison de Mpimba depuis son emprisonnement abusif en 1964, n’existait plus.

Le père de Justin et Dominique, M.Boniface et M. Muzungu Nyange, le directeur[23] de la banque de crédit (B.C.B.) leur avait trouvé une mutation dans une autre banque à Bukavu au  Zaïre.

Joseph, de la partie de Kamenge non-cadastrée, avait rejoint les autres fugitifs  au  Zaïre dissimulé dans des sacs de manioc.

Etc., 

Je passe le Témoin…[24]

Enfin, le seul à rappeler leur existence dans le secteur C de Kamenge est le thérapeute animiste Vieux Swedi.

Les années se sont succédées, l’une après l’autre, et personne n’est venu consulter pour un quelconque trouble  ou une incapacité liés aux nombreuses disparitions.

Il a commencé à douter tout haut de ses compétences.

Personne ne pleure.

Personne ne semble souffrir.

Personne ne réclame.

« Des personnes » lui ont donné quarante-huit heures pour brader ses biens et rentrer au Zaïre son pays d’origine.

Rose Ntwenga.

Montpellier,

Le 14 juin 2009


[1] Elle est devenue ma tutrice en 1963 dès le divorce légal entre mon père et ma mère.  Ainsi, c’est elle  qui m’a donné les repères importants de l’éducation autant que l’affection maternelle nécessaire à mon épanouissement. Ce sont des pratiques de la tradition pour parer aux manquements de certaines femmes en incapacité d’assurer la transmission mère-fille.

Au moment de l’indépendance le 1er juillet 1962, elle est en stage de formation d’institutrice en Belgique.

Les circonstances de sa disparition sont restées une blessure vive jusqu’aujourd’hui.

[2] Bulongo habukule sombe

[3] Membre de l’Association des commerçants du Burundi (A.C.B.). Il est bénéficiaire (entre autres) de crédits des différentes saisons de campagne café de 1966 à 1971.

[4] Zakutumbu

[5] Marciana, avait  eu la visite d’un individu qui avouait la difficulté de récupérer cet argent malgré les instructions du chef  de famille Busabusa. Le tortionnaire s’était heurté à un refus catégorique. Sans l’autorisation de la femme, le détenteur de la somme ne pouvait rien pour lui.

Marciana l’avait écouté, le dévisageant étrangement.

Comment a-t-il pensé que je ne suis pas au courant de l’argent qui passe et repasse entre diverses mains ?

A son tour, Marciana s’était mise à le questionner. Pour que le chef de famille se mette à raconter ce genre de bêtises, il était déjà sous la ‘Komande’ (torture).

Comment a-t-il pu oublier la raison pour laquelle il m’a choisie comme femme avec l’accord de la femme légitime ?

Marciana avait accepté de donner cet argent selon les instructions du commerçant Busabusa.

Ensuite, elle avait demandé à la femme légitime de Busabusa de venir partager la maison du secteur A  en compagnie de leurs enfants respectifs. Désormais, elles vivraient dans le souvenir et le respect du nom du chef de famille. Et, puis, à deux, elles ne seraient pas de trop pour se protéger des agressions des intrus.

« Comme par hasard », les militaires lui ont tiré dessus lors des rafles de février 1994 dans la cité de Kamenge.

Elle est morte des suites de ses blessures à l’hôpital Roi Khaled, peu après. 

[6] Son beau-père, M. Karambizi a servi d’indicateur indirect du service d’identification de la police (situé en juillet 1972 au sous-sol du parquet) pendant la préparation de l’arrestation de Venant Ntwenga.

Il s’est installé  aves sa  nouvelle femme et leur jeune enfant après le 31 mars 1972 à Cibitoke 112-113 (zone

urbaine), 12 et 13ièmes avenue. Par un manège de visites de jeunes enfants et d’autres personnes, il a permis la surveillance et le contrôle des allées et venues autour de mon père.

Avec le nombre de malveillants que compte cette ville, il s’est trouvé un groupe d’adolescents très joyeux, d’enfants mineurs  décidés à m’aider à retrouver mon père. Ils m’ont accompagnée et guidée jusqu’au sous-sol du parquet de Bujumbura. Un des enfants mineurs est resté à mes côtés pour expliquer ma demande.

 Le monsieur  s’appelait  Georges, je crois.

Une autre fois, toujours des mains innocentes d’un enfant mineur de cinq à six ans, j’ai reçu une autre convocation. Celle-ci me menait à l’un des  services  au premier ( ?) étage du parquet. Quand j’ai tendu le papier, le responsable ainsi que d’autres personnes dans cette salle ont sursauté.

Qui te l’avait remis ? a questionné le responsable de cette salle.

Un gentil garçonnet, qui semblait me connaître.

Le monsieur avait chiffonné le papier, puis, jeté à la corbeille à ses pieds.

Il m’avait juste demandé de rentrer sans autre explication. Visiblement, ce papier avait provoqué un petit frisson à travers cette salle. 

[7] Venant Henri Omer Ntwenga est né vers 1928/1929.

Il a fait l’école primaire de Mugera (province de Gitega), grâce aux recommandations du curé de la paroisse de Buraniro (province de Kayanza).

A la date du 6.05 1959,  avec neuf autres signataires, il a participé à la note remise au groupe de

Travail (cfr Préparation du pays à l’accession à l’indépendance) ; Il représentait le mouvement progressiste du Burundi et l’Union des partis populaires (UPP). Par la suite, il a été coopté au parti démocratique chrétien (PDC).

En 1961, il est directeur de l’Office de logement du quartier de l’Ocaf.

Le 30 juin 1962, il fuit vers la Belgique (six mois après le massacre des syndicalistes de Kamenge)

Le 18 juin 1963, il est  nommé directeur général au ministère des Travaux Publics.

Vers juin 1968, il est salarié d’Industrie & Commerce au Burundi (ICB), préfiguration de l’Office national du commerce (0NC).

En avril 1972, il est employé de la mairie de la ville de Bujumbura.

Tout son parcours est ponctué d’emprisonnements abusifs :

Deux fois en 1964, au prétexte de l’accident de voiture du prince Ignace Kamatari,

En 1965, c’est le prétexte du coup d’état fantôme d’octobre 1965,

En 1969, le prétexte est toujours flou,

En mai 1972, le prétexte d’arrestation est une banale vérification au parquet à cause de coups de feu entendus la veille ou l’avant veille,

Puis, plus personne ne l’a revu.

Venant Ntwenga était un membre dynamique du Club des Bâtisseurs.

Il a fait partie de l’Association des Commerçants du Burundi (A.C.B.).

Il était propriétaire d’une briqueterie artisanale sur un terrain vague tout près du complexe textile du Burundi (Cotebu).

Après les sorties de prison, il s’est toujours « débrouillé » pour que sa famille vive correctement. Ainsi, il a crée un petit point de vente de pain pour la cité grâce aux associés grecs KA.PA.

Etc.

Honneur à lui !

[8] Plusieurs papiers ont été écrits de sa main à l’intérieur de la prison de Mpimba.

Kajugiro Musinga ne m’a pas remis le courrier que mon père m’a adressé du fond de sa cellule de Mpimba.

[9] En couverture du magazine Jeune Afrique de juillet 1972, une photo illustrative. En deuxième page, Jean-Pierre N’diaye décrivait la situation  dans la ville de Bujumbura, notamment d’avoir entendu les hurlements de personnes provenant de camions qui traversaient à toute allure la nuit. En se hissant sur les camions, ces personnes avaient connaissance de leur fin prochaine.

Un autre journaliste africain ( camerounais ? ) d’un périodique ( Afrique –Asie ? ) a été arrêté et exécuté très tôt aux premières heures fatidiques du génocide de 1972 au Burundi. Il partageait son appartement du quartier asiatique avec son neveu, élève à l’école française. L’oncle disparu, les  professeurs, de concert avec la directrice de l’école française s’étaient cotisés pour lui payer le billet pour un retour dans son pays natal.

[10] A compléter par les autres dépositaires et Goretti Nduwimana, sa fille aînée.

[11] A compléter par les autres dépositaires et les «  Invisibles » qui se reconnaissaient en mon père pour expliquer son rôle de Tuteur. 

[12]  Warren Weinstein ; Historically Dictionnary of Burundi.

Nduwingoma Samuel,

A Tutsi born in the province of Bururi. He was a gendarme. In september 1972, he was upgraded to rank of major and put in command of military school at Bururi. On march 13, 1974, he was appointed Minister of Finances. Revoked on September 4, 1974, following a coffee scandal in which he and Foreign Affairs Minister Simbananiye tried to arrange to have a special monopoly over coffee sales.

[13] Udokoko

[14] Joséphine Mpfubusa, femme placée par ses parentés complexes et croisées François Bangemu, Prime Niyongabo, Charles Ndikumagenge, Bernard Kayibigi, Adrien …, etc., après juin 1963 pour surveiller  mon père.

[15] A compléter par les autres dépositaires

[16] ou Nyanza Lac ?

[17] A compléter par les autres dépositaires.

[18] Je ne connais pas son nom véritable ni les circonstances de son arrestation.

A compléter par les autres dépositaires, sa succession, ses petits-enfants.

Moteri  résidait dans le secteur A de Kamenge. 

[19] A compléter notamment par les autres dépositaires, sa famille.

[20]  Accusé à tort avec son ministre en titre M. Marc Ndayiziga d’avoir commandé et distribué des machettes, en réalité, ces machettes avaient été commandées par Artémon Simbananiye en janvier 1972. C’est attesté par le site web officiel chinois qui relate l’historique de la coopération sino-burundaise. Le lot de machettes incriminées se retrouve dans des accords de coopération agricole.

Source : http://www.china.org.cn/english/features/focac/183578.htm

(…)

Leaders and Officials who visited China from the Burundi include: (…) Artemon Simbananiye, Minister of Foreign Affairs, Cooperation and Planning (January 1972),

(…)

In January 1972, the trade agreement was signed between China and Burundi, stipulating that the trade between the two countries is on cash payment basis. The Chinese side would import certain amount of coffee and cotton from Burundi and export to Burundi cotton-cloths, bikes, metal goods, agricultural tool and building materials and so on.

(…)

[21] A compléter par les autres dépositaires et les gardiens de la mémoire. Zacharie Ntiryica  partageait les discussions ou faisait partie d’un groupe de dépositaires de la tradition orale. Il avait consigné par écrit des faits relatifs aux raids esclavagistes ( Igihe c’Abarabu).

[22] A compléter par les autres dépositaires et sa famille.

[23] Je ne connais pas son nom.

Encore une fois,   je présente tous mes remerciements à cet Homme.

Son attitude en juin 1972 au moment de l’arrestation arbitraire par le Commandant Samuel Nduwingoma dans sa banque a grandement atténué la blessure émotionnelle  qui est restée vive en moi.

Quelqu’un a protesté.

Quelqu’un a tenté de repousser le mal en action.

Pendant que Samuel Nduwingoma désignait l’un après l’autre qui cessait son travail dans l’instant, le directeur de la B.C.B. gesticulait.

Il allait vers l’un des ses employés désigné et disait : « -Non, pas lui ».

Il se retournait vers le suivant et s’exclamait : «  Non. Pas lui. »

Il était débordé par le spectacle de sa banque qui se vidait de ses employés.

- Non, surtout pas ceux- là, c’est avec eux que j’ai expérimenté le travail au Burundi !

Il a agi !

[24] A vous tous qui m’avez fait parvenir les différentes indications,  Complétez !

Que l’oubli et la négligence ne les couvrent pas une seconde fois !

« Mate asikauke ! »

Que la parole sur leur existence  ne tarisse pas !

 
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