@rib News, 18/08/2014 FRODEBU : fusion-coalition ou nécessité d’un recentrage idéologique Par Christophe J. De Dieu Barindambi Le débat sur la réunification fait rage. Il a même déjà fait une victime. L’ancien président Domitien Ndayizeye vient en effet de se faire éjecter ou de se voir suspendu du parti par Léonce Ngendakumana, Président du FRODEBU et de l’ADC-Ikibiri. Il est accusé de tenir des réunions clandestines, et même de créer une autre aile du FRODEBU à défaut de récupérer le FRODEBU dans son entièreté. C’est donc piqué au vif que M. Ngendakumana a pris une mesure radicale.
L’ancien président quant à lui estime être victime de commérages. Il a crié haut et fort qu’il a été pris entrain d’expliquer les tenants et les aboutissants des rapprochements, voire même d’une éventuelle fusion du Sahwanya-FRODEBU et du FRODEBU-Nyakuri, de même que des obstacles se dressant sur ce chemin des retrouvailles. Les dirigeants de ces deux ailes s’étaient adonnés, il y a quelques jours à un déballage public sur les ondes de la RPA dans l’émission Kabizi. Un déballage plutôt pathétique et qui n’augurait de rien de bon : une famille désunie se re-réunit rarement dans des éclats médiatiques. C’est dans la discrétion que tout s’opère, et ce n’est qu’une fois cette union réussie que l’on peut s’exposer aux projecteurs des médias. Encore que ce n’est toujours pas obligatoire, ni recommandé car une rechute est toujours possible, et donc plus ravageuse. Eux ils ont opté pour l’inverse, préférant une confrontation en directe où chacun a fait de son mieux pour savonner l’autre sans ménagement, sous l’oreille attentive et médusée des militants branchées sur leurs transistors. Le lendemain, ce sont les médiateurs, Domitien Ndayizeye et Sylvestre Ntibantunganya qui se sont adonnés à cœur joie à l’exposition des initiatives prises pour rapprocher les deux hommes et donc les deux partis. Héritage idéologique sans L. Nyangoma ? Des deux côtés, l’on se réclame "héritiers" de l’idéologie de Ndadaye Melchior. Mais tout observateur et analyste avisé ne manquerait pas de se demander si tous bâtissent en fonction d’une quelconque idéologie, et donc d’un véritable projet de société. Mais qui devrait logiquement être l’héritier ou les héritiers naturels de l’Idéologie de Ndadaye ? Ce sont ceux là qui l’ont forgé ensemble, ceux-là qui l’ont propagé à coups de propagandes combien osées et risquées, à l’époque que tout militant de première heure connaît. Or il se fait que c’est Léonard Nyangoma, aujourd’hui à la tête du CNDD, qui, loin devant les ténors des deux ailes du FRODEBU qui étaient à peine visible à l’époque, fut le véritable architecte de la machine propagandiste qui a conduit aux résultats que l’on connait à l'issue des élections de 1993. C’est encore lui qui, ayant assisté à l’assassinat de Ndadaye et des centaines de milliers de ses militants et collègues, a pris le courage par quatre mains pour opposer un non catégorique et sans appel à ceux qui venaient de commettre l’imposture, alors que certains de ses collègues se perdaient en conjecture dans des négociations dont les résultats étaient connus à l’avance. N’eut été lui, Arusha n’aurait jamais eu lieu. Il serait par ailleurs intéressant de connaître les noms des membres fondateurs du FRODEBU, de même que ceux du Comité Directeur original. Ce sont ceux-là les véritables héritiers de Ndadaye Melchior. Il se fait que Léonard NYANGOMA est de ceux là. Si donc l’on devait reconstituer le parti FRODEBU pour qu’il retrouve les couleurs d’antan, Léonard NYANGOMA resterait-il en dehors ? La réponse est dans la question même. Si du moins les leaders des deux différentes ailes ont une réelle volonté de s’aligner d’une manière déterminée et non opportuniste à l’idéologie de Ndadaye. S’ il faut qu’ils se retrouvent tous, la première chose serait d’examiner s'ils se reconnaissent encore tous dans la vision socio démocrate de Ndadaye Melchior et ensuite de constituer un grand parti ayant un ancrage idéologique capable de faire vibrer les fibres des militants aujourd’hui réellement perdus dans les dédales des guerres intestines. Seul un tel parti serait en mesure de s’opposer résolument au parti au pouvoir enfermé dans une vision quelque peu manichéenne et qui risque de se retrouver curieusement dans la situation de l’UPRONA de 1993, même s’il fait tout pour l’éviter. Car en effet, à quelques différences près, les défis de 1993 sont ceux de 2015. Une telle union créerait quelques soucis au parti au pouvoir qui affiche une assurance quelque peu outrancière. Dangereux syncrétisme idéologique et plâtrages artificiels Le FRODEBU de 1992 sans Nyangoma est-il possible ? Oui. Mais peu viable. Car, après tout, le FRODEBU existe déjà. La grande inconnue est de savoir si Nyangoma lui-même est prêt à lâcher son CNDD au profit d’un FRODEBU refondu et "originalisé". Seulement voilà, ce genre de syncrétisme idéologique ou les recollages artificiels tout simplement durent le temps que dure la rosée et créent parfois des situations pires que les précédentes. Pour rester plus proche de chez-nous, l’exemple du Kenya a montré que les partis du système construit sur une vision opportuniste se sont coalisés dans ce qu'ils ont appelé Arc-en Ciel pour battre Daniel Arap Moi. Mais juste après la victoire éclatante de cette coalition, celle-ci n'a pas attendu même trois mois pour se disloquer en d'autres blocs opposants Raila Odinga et Mwai Kibaki. La conséquence de cette dislocation fut la guerre civile qui a couté la vie à des milliers de kenyans. Au Rwanda toute l'opposition c'est coalisée contre Juvénal Habyarimana autour du FPR. A l’approche de la victoire, voire même au cours de celle-ci, le FPR s’est aliéné de tous ceux qui l'ont soutenu pour prendre le dessus. Conséquence: le double génocide en 1994 au Rwanda. Pour rester dans ce qui nous concerne, l’on ne sait pas encore ce qui lie idéologiquement Jean Minani et Domitien Ndayizeye. Tout comme l’on ne peut lire clairement ce qui sépare idéologiquement le doublet de Léonce Ngendakumana. Pour ce qui le savent, et si l’on devait prendre comme repère idéologique les réalités occidentales, Melchior Ndadaye et son parti étaient plutôt de tendance socialiste, en tout cas proche d’une sociale démocratie. Je crois savoir qu’il était en passe d’inscrire le parti dans l’Internationale Socialiste. La question est aujourd’hui de savoir qui de Léonce Ngendakumana à Léonard Nyangoma, en passant par Sylvestre Ntibantunganya et Domitien Ndayizeye, incarne aujourd’hui la vision idéologique de Ndadaye et son équipe. Qui, précisément de son équipe, ont survécu physiquement, politiquement et "idéologiquement" de l’ouragan dévastateur de plus d’une décennie. Les plus en vue sont incontestablement Sylvestre Ntibantunganya et Léonard Nyangoma. Les trois autres venaient derrière, mais qu’importe ! Les circonstances les ont hissé à un moment au sommet du parti. Minani Jean, accusé à tord ou à raison par l’opinion de changer de veste selon les humeurs de son hôtel de Kiriri ? Ndayizeye Domitien, qui a déjà fait ses preuves à la tête de l’Etat dans un contexte de transition et dont l’origine licite de son "kiosque" sur l’avenue de l’Uprona reste douteuse ? C’est vrai qu’il avait juré qu’à la fin de son mandat des années 2000, il tirerait définitivement révérence et rouvrirait sa boîte à outil pour piquer son tournevis qu’il manierait habilement. Sylvestre Ntibantunganya qui semble avoir pris la toge de moraliste justicier qui prend si soin de garder la tête haute et de ne pas se perdre dans la mêlée ? Léonce Ngendakumana avec sa virginité financière que les deux premiers ne ratent aucune occasion de lui rappeler ? Léonard Nyangoma qui a tant crié dans un vaste désert sans parvenir à se faire entendre par ses anciens camarades et dont le parti se réclame ouvertement et statutairement socialiste ? Il me semble, et j’ai le droit d’avoir tord, que Léonce Ngendakumana, ne fut-ce que par certaines de ses propos, ses rapports avec l’argent, reste encore dans la logique d’une social-démocratie. C’est dire qu’une coalition FRODEBU-FRODEBU Nyakuri-FRODEBU Ndayizeye est artificiellement possible (donc dangereux), mais idéologiquement peu viable. Il ne peut y avoir de fusion sans ciment idéologique. C’est dire que le FRODEBU, tout comme l’UPRONA d’ailleurs, aura de la peine à recoller les différents morceaux détachés de l'original. Les coalitions auront peut-être toutes les chances de se constituer ailleurs, et c’est peut-être une opportunité que nos hommes politiques doivent saisir pour sortir définitivement des spectres des guerres intestines, sommes toutes stupides, pour entrer dans l’ère des combats d’idées. Ce ré-ancrage idéologique concernerait autant le FRODEBU, l’UPRONA (dont toutes ailes confondues est loin, très loin de l’idéologie de Rwagasore), le FNL que le CNDD-FDD qui se réclame de masse. Bref c’est toute la classe politique qui devrait se mirer pour libérer leurs militants respectifs des chaînes des identitaires ethniques, régionales, et clientélistes qui les ligotent et les orienter résolument sur des choix objectifs bâtis sur des projets de société, et non sur des vents clientélistes d’un autre âge. Christophe J. De Dieu Barindambi |