Crainte d'un nouveau "tripatouillage électoral" en 2015 au Burundi
Opinion

@rib News, 22/10/2014

De la fraude électorale grotesque en 2010 à la fraude « clean » en 2015

Par Buntu Frantz

En 1927, le Liberia entrait dans le livre des records Guinness comme le pays ayant connu l’élection la plus frauduleuse de l’Histoire. En effet, Charles Dunbar Burgess King fut élu avec 234 000 voix. Le comble est que l’électorat constitutionnel de l’époque n’était que de 15 000 personnes !

Depuis l’Afrique a connu de multiples élections frauduleuses,  les consultations honnêtes semblent même constituer des exceptions. Généralement, l’on  connaît le vainqueur d’une consultation avant que celle-ci ne soit même organisée !  Des élections aussi grotesques comme celles de Charles D.B. King sont  même plus fréquentes qu’on le croit. Mais le secret est bien gardé, les archives inaccessibles ou détruites.

Des fois la vérité finit par percer les murs sombres des commissions électorales qui n’ont d’indépendance que de nom.

Les consultations électorales qui se sont déroulées au Burundi en 2010 n’ont malheureusement  échappé à la règle générale du « tripatouillage électoral » en Afrique. Je rappelle que la fraude a concerné toutes les étapes du processus depuis la distribution des cartes nationales d’identité, l’inscription au rôle électoral pour la constitution du fichier électoral, la campagne électorale, le scrutin, le dépouillement, la publication des résultats et l'arbitrage. L’opposition qui était restée zen malgré toutes irrégularités qui avaient marqué le processus jusqu’au jour du scrutin a fini par élever la voix  et se retirer de la tragédie-comédie électorale après le « dépouillement » des élections communales.

Les documents en notre possession poussent à  s’interroger s’il y a eu vraiment un dépouillement ou si l’on a proclamé des résultats concoctés par le laboratoire diabolique du CNDD-FDD camouflé derrière le paravent CENI.

Dans un dépouillement régulier, le nombre des inscrits est souvent supérieur au nombre de votants. Tout simplement parce qu’il est très rare que toutes les personnes inscrites se présentent aux bureaux de votes le jour du scrutin. Et parmi les votes, il existe des bulletins nuls pour différentes raisons : deux ou plusieurs bulletins dans une même enveloppe, enveloppes vides, bulletins altérés par des écrits, etc. Logiquement, les suffrages valablement exprimés sont inférieurs aux nombres de votants et bien sûr au nombre des inscrits.

Mais ce que nous avons découvert dans le cas des élections communales de 2010 est tout simplement ahurissant. Il suffit de jeter un regard sur le tableau ci-dessous des résultats électoraux de la commune de Cankuzo de la province de Cankuzo :

 

En effet  il apparaît que dans la quasi totalité des communes (dont nous détenons les documents soit quatre provinces) le nombre des suffrages valablement exprimées dépassait le nombre des votants et dans certains cas, le nombre de votants (suffrages valablement exprimés + bulletins nuls) dépassait le nombre des inscrits comme c’est le cas ci-haut. Cela va se retrouver dans les récapitulations provinciales. Si nous prenons l’exemple de la province de Karusi, les suffrages valablement exprimés sont 173421 tandis  que les bulletins nuls sont 14917. Soit un total de 188470 votants. Ce chiffre dépasse largement le nombre de votants donnés par la CENI (177553) et le nombre des inscrits 187622.

 

L’on penserait  à une erreur si cela ne se retrouvait pas pratiquement dans la quasi-totalité des communes et provinces. Ce qui est clair les résultats qui ont été proclamés ne reflétaient nullement la réalité dans les urnes. La précipitation a fait que le tripatouilleur en chef  Pierre-Claver NDAYICARIYE  et Cie n’ont pas pu harmoniser les chiffres pour mieux masquer la mascarade électorale. Ils ont caché les données et les procès-verbaux. Ainsi, dans la synthèse des élections communales, l’on ne mentionne plus le nombre d’inscrits, ni des votants, ni de bulletins nuls ou même les suffrages valablement exprimés. L’on passera directement à la répartition des voix et des sièges par parti en escamotant cette étape importante.

A quelques personnes près, ce  sont les mêmes membres de la CENI qui ont organisé des élections aussi scandaleuses, et la même Cour Constitutionnelle qui a validé cette forfaiture contre le peuple à qui Nkurunziza a confié la mission de lui confectionner un troisième mandat anticonstitutionnel.

Pour que les résultats ne s’affichent pas aussi grotesques, il semble que des experts ès fraudes ivoiriens, australiens et israéliens payés avec l’argent du peuple,  s’activent à Bujumbura, pour réussir « des élections frauduleuses propres ».

Il est urgent que les Nations Unies et les Etats démocratiques  arrêtent de fermer les yeux sur des faits aussi scandaleux sous prétexte que Nkurunziza a réussi à sécuriser le pays. Il n’y a pas de sécurité quand la majorité écrasante de la population végète dans la misère, après tout l'ancien président tunisien,  Zine el-Abidine Ben Ali semblait bien maîtriser la situation, mais il a fallu un acte de désespoir d’un jeune citoyen pour que tout bascule. Faudrait-il vraiment en arriver là au Burundi ?  

Il serait une erreur de croire que le  silence de la majorité des burundais est une acceptation du système. Pour ceux qui connaissent la culture burundaise, ils  savent que nos compatriotes extériorisent difficilement leur amertume. Mais cette résilience à la violence, à la famine, à l’arrogance de ceux qui vivent à leurs dépens n’est nullement infinie. Il est temps d’arrêter de pousser la population à bout en leur donnant de l’espoir par des élections libres, transparentes et honnêtes, l’espoir que le  changement est possible par voie pacifique.

 Pour éviter tout dérapage possible avant les prochaines consultations électorales de 2015, la sagesse recommande d'abord que le pays retrouve le chemin de la paix et de la sécurité, par la voie de dialogue  entre les différents protagonistes. L'objectif  de ce dialogue sera de trouver des solutions durables aux problèmes fondamentaux qui préoccupent les burundais, en cette période précédant les élections de 2015. Aucune élection n’est possible dans le vacarme des protestations, aucune élection n’est possible quand de nombreux citoyens sont en prison pour leurs opinions, et que d’autre ont été acculés à l’exil ; aucune élection n’est possible quand dans tout le pays circulent des armes à feu distribuées par l’Etat.

Pour que ces pourparlers  et  les élections se déroulent bien, il faut qu’elles débutent au moment où les esprits sont sereins, dans un climat apaisé, dénué de tensions et de méfiance dans  tout le pays. Le premier indice de cela, sera la fin du mutisme du chef de l’Etat et la déclaration officielle de la fin des assassinats et de la corruption, l’engagement pour le retour d’un climat  serein dans le pays. Cela sera également attesté par la libération des prisonniers d’opinion, la possibilité pour les partis d’opposition et les autres forces vives de la nation  notamment de la société civile de mener leurs activités en plein jour et en toute liberté ;si le pouvoir arrête de persécuter l’opposition, s’il met fin définitivement aux poursuites tendancieuses à motivation politicienne, contre les leaders des partis d'opposition; si toutes les milices organisées et armées  sont dissoutes, à commencer par les Imbonerakure ;  et si le gouvernement rompt définitivement avec la pratique de division des partis d’opposition par la formation d’ailes fantoches en leur sein, ailes appelées Nyakuri  et qui soutiennent le parti au pouvoir.

Quant aux thèmes de ce dialogue, ils vont porter sur des problèmes essentiels tels que les révisions de certaines lois dans le but de renforcer la démocratie au Burundi ; les questions de la magistrature ; l’économie ; la sécurité et l’administration publique ; la mise en place d’institutions fiables et représentatives de tous les Burundais chargées de préparer et organiser les élections. Si toutes ces conditions sont réunies, nul doute que les élections auront lieu dans un pays calme, sans  frictions ni provocations. Sinon, les élections entraîneront une crise grave, pire que celle de 2010.