La leçon burkinabè sera-t-elle retenue ailleurs en Afrique ?
Opinion

@rib News, 03/11/2014

La leçon de Ouaga.

 Par JP. Mbonabuca

Il parait que Wagadou signifie « ville des troupeaux » puisque « dou » serait un terme de la langue Mandé qui signifie « ville » et waga référerait à « troupeaux ». Quels troupeaux loin d’être vaches !

Le monde entier, surtout l’Afrique aspirant à la liberté et la démocratie, a suivi la manifestation de rapports de forces, force d’un pouvoir et d’un président battant des mains et des coudes pour se maintenir, face à celle d’un peuple déterminé à s’auto déterminer. [Légende de l’mage : "Le trône ne se transmet pas de père en fils"]

Qui ne saurait tressaillir d’allégresse à l’idée maintenant traduite en actes que printemps ou autonomes ou je ne sais quelle autre saison (on n’a pas les mêmes sous tous les climats !) finissent par passer la ceinture saharienne et envahir le milliard de citoyens africains qui auraient dû être les premiers à se révolter ?

Je ne suis pas analyste politique, mais j’ai envie d’appeler cela une université populaire à ciel ouvert qui administre des leçons magistrales au reste de l’Afrique et du monde. Certes Duvalier en Haïti, Ben Ali en Tunisie, Moubarak en  Egypte et j’en passe ont connu pareille fin de règne sans partage et sans gloire; mais là, on n’est pas loin de la première d’une série qui devrait laisser présager d’un sommeil troublé de plus d’un potentat en Afrique.

A l’Ouest du Burkina, le M23 avait averti et réussi de faire fléchir Wade dont le régime ultra libéral s’est finalementeffondrépar la vérité des urnes, non sans un ultime zeste de bravoure pour le compte du vieux Maître AW.  Car ce dernier ne les pas contestées, les élections, au grand dam de ses sbires de myriade de conseillers partisans qui le lui « conseillaient » en 2012 et 2013 (élections gagnées haut la main par MackySall le 25 mars 2013).  Donc les premières leçons globales de démocraties sont venues de Dakar !

Mais revenons aux échos de Ouaga ! Merci, les hommes intègres !

Leçon n°1 : « Il n’y a pas de citadelles invincibles ; elles sont toujours mal attaquées ! ». Et quand vous n’avez pas de chars blindés ni d’hémicycle pour faire entendre votre voix, vous prenez votre courage à deux mains, vous vous unissez et envahissez la rue, le seul lieu public ouvert aux va-nu-pieds.  Et l’union fait la force : les villes de province (même là où cette circonscription n’existe pas-mimétisme terminologique aussi…-)  doivent être de la partie.  Concomitamment. Un proverbe burkinabé –ça s’invente pas- dit que « Si les fourmis se rassemblent, elles peuvent soulever un éléphant ».

Leçon n°2.  Le peuple est le seul souverain et a décidé de reprendreson pouvoir, celui-là même qu’il avait confié à des représentantsqui se sont avérés véreux, 27 ans durant, lesquels l’ont mal représenté en voulant voter des lois contrairesaux intérêts du même peuple souverain, notamment le fameux article 37.  Un niet cinglant au « tripatouillage constitutionnel» (mot familier dans un usage normal, mais dorénavant en passe de devenir consacré dans cette occurrence).  On connait ça ailleurs en Afrique, pour la dizaine de pays qui l’ont déjà fait et d’autres en instance de le faire : Cameroun, Ouganda, Burundi, Niger, Rwanda, RDC, Tchad, Niger, Bénin, Congo Brazza, Angola, etc.  A bon entendeur… !

Leçon n°3 : La démocratie représentative, donc recourant aux élections est fondée sur au moins deux postulats : tout le monde ne peut pas gouverner ; mais ceux à qui le peuple confie le pouvoir de gouverner doivent le faire pour les intérêts de celui-ci ; sinon … advienne le jeudi noir pour l’homme qui dura 27 ans, non à Roben Island, mais faisant la pluie et le beau temps, tuant son ami Sankara, trucidant Norbert Zongo et d’autres, mettant à feu et à sang le pays des hommes intègres, le pays de Ki Zerbo...  L’on pourra désormais parler d’un jeudi noir pour les « dictatueurs » du monde entier, d’une certaine saga de Ouagapar laquelle une ère nouvelle de liberté a commencé pour tous les peuples au Sud du Sahara. Et d’ailleurs.

La démocratie ne s’accommode guère des « professionnels » politiciens, ceux qui passent de mandat à un autre sans rendre de compte à personne.  La leçon nous dit qu’il faudrait au-delà des slogans de programme politique des élus, donner un véritable cahier de charges à ces derniers avant de leur permettre de siéger au nom du peuple.  Il leur faudrait des mandats par objectif, comme on gère des projets et des programmes suivant des résultats à atteindre.  Avec des indicateurs d’évaluation.  Par circonscription et au niveau national.  Voter des lois, n’importe quelle loi, ne suffit pas pour être un élu digne de ce nom.

Leçon n°4. Ca couve, méfiez-vous, ça risque de sauter : « Si le cours d’eau change d’itinéraire, le caïman est obligé de le suivre » dit un autre proverbe… burkinabé!  Si les intellectuels sont souvent timorés et la plupart d’entre eux ne veulent pas se mouiller ou parler … la bouche pleine, si les politiciens et autres courtisans tournant autour de la mangeoire républicaine font tout pour sauvegarder leurs avantages matériels, une frange du peuple, celle-là même que le système a laissé en rade, finit par ne plus avoir froid aux yeux.  Ce sont des jeunes, la plupart au chômage ou déscolarisés qui marchent, crient, et malheureusement aussi brûlent et saccagent dans un excès de colère.  C’est comme une marmite chauffée, surchauffée par des années, en l’occurrence 27 ans, de frustration, des années de paupérisation, de musèlement, d’arrogance des gens au pouvoir qui s’enrichissent à vue d’œil pendant que ce même peuple s’enfonce dans la misère.

Ne peut-on pas parler d’une certaine faillite des élites politiques et intellectuelles ?  Parmi les gens qui sont descendus dans la rue, combien de professeurs d’université, d’avocats, d’artistes et écrivains, de musiciens, de médecins, etc. ?  La majorité n’est-elle pas constituée des gens « d’en bas de en bas », sortes de parias, les exclus du système ? Pourtant ce sont eux les bâtisseurs, ceux sans qui la République mourrait de faim ; les mains laborieuses de tous les métiers ; le Tiers-Etats de Sieyès.

L’Abbé Emmanuel Joseph Sieyèsl’a compris et fixé longtemps avant, dans son fameux « Qu’est-ce que le Tiers état ? Dit-il : TOUT. Qu’a-t-il été jusqu’à présent dans l’ordre politique ? RIEN. Que demande-t-il ?  À ÊTRE QUELQUE CHOSE ».  Et voilà ce que les dictateurs aux pouvoirs sempiternels n’ont encore rien compris.  Que le peuple sur lequel on régnait naguère éternellement sans qu’il bouge le petit doigt, n’est plus le même !

Leçon n°5 : Le tripatouillage de la constitution, c’est l’exemple même du mépris du droit, de l’Etat de droit.  La constitution, c’est le seul ciment qui tienne ensemble les éléments de la communauté, du pays, de la nation.  Ecrite ou non, c’est la règle du vivre ensemble.  Vous y touchez, vous créez le non droit et tout peut arriver.  La relation entre l’application de la loi (si elle existe et est juste) et le citoyen et ses dirigeants, c’est le maillon faible, le tendon d’Achille des démocraties balbutiantes de l’Afrique.  Y songer et mettre l’accent sur la consolidation du droit et son respect, c’est le début de toute construction d’une nation moderne.  Avant de produire des richesses, matérielles et culturelles (l’autre nom du développement), il faut d’abord construire le vivre ensemble.

Leçon n°6 : « J’attends que ça brûle et je me casse ».  Politique du pourrissement.  Trahison.  Couardise.  Il a pris le soin d’installer ses hommes de main, le fuyard.  Il a joué avec le temps.  Quarante-huit  heures de sursis.  Tigre en papier, ce Compaoré.  Ah, quel déshonneur pour un… officier !  Prendre la clé des champs, tel un voleur des grands chemins.  Il a fui, vers son ami et compatriote que la France l’a aidé à installer à Bouaké, puis à Abidjan.  L’on nous apprend qu’il est bien au chaud dans une villa présidentielle.  Comme Mohamed V accueillant un certain Mobutu allant se mourir comme un chien sur les routes de Casablanca.  Comme Patassé chez le voisin de l’Ouest ; comme tous les autres...  L’ami d’un dictateur est-il dictateur lui-même ?

Leçon n°7. Une armée divisée : en l’espace de quelques heures, deux déclarations. Classiques dans la logique des coups d’Etat : suspension de la constitution, couvre-feu, fermeture des frontières célestes et terrestres.  Un lieutenant-colonel Zida contre un général Traore déclarent chacun suspendre la Constitution … Le ridicule ne tue-t-il toujours pas ?  L’un a même suspendu la Constitution qui était déjà suspendue par le premier.  C’est cela un coup d’Etat.  Au carré !  Sauf que l’insurrection populaire n’a pas été orchestrée par l’armée.  C’est donc une usurpation de la victoire populaire.  D’une révolution pour laquelle l’armée n’a bougé le moindre petit doigt.  Intervenir pour arrêter le pillage, bien sûr qu’elle devait le faire puisqu’elle est payée pour ça.  Quand ces hommes aux bottes se sont mutinés en 2012, ne réclamaient-ils pas que leur solde ?  Jamais le changement de pouvoir.

Et pire encore, symboliquement, la garde présidentielle est fortement liée à « son » président !  C’est une insulte au peuple qu’un de ses membres dise apporter le salut !  Après coup.  Et qui a aidé le fuyard à atteindre le Sud ?  Les gardes présidentielles, tout comme les polices de même nom rappellent à s’y méprendre les heures non glorieuses de l’Afrique des courtiers, des gardes-chiourmes caravaniers, des interprètes intermédiaires, des avitailleurs... les « collabos ».  Les fossoyeurs des peuples africains ne sont pas toujours venus d’ailleurs !

Leçon n°8 : Le peuple souverain « de la république révolutionnaire de la rue » reprend le pouvoir, son pouvoir ; mais il ne sait à qui le confier pour le diriger.  L’opposition et la société civile, non seulement semblent divisées sur la question de l’implication de l’armée, mais ne se sont visiblement préparées au scénario du vide politique et constitutionnel.  Gouverner c’est prévoir, dit-on ; vouloir gouverner l’est tout autant !  Il y a donc comme une contradiction dans le chef de l’opposition : brave car elle est parvenue à organiser le soulèvement des foules silencieuse, mais faible quant à la suite d’assumer des actes de pouvoir.  On l’attend au torunant.

Leçon n°9 : Les pires et atroces dictatures ne peuvent rien contre un peuple déterminé à reconquérir ses droits.  Deux gestes plus que symboliques : mettre feu au parlement, symbole même du pouvoir représentatif confié aux élus et mal exercé par eux ;  feu aussi sur la maison de la télévision nationale, voix du pouvoir alors qu’elle devrait être l’outil d’expression publique numéro un.  Tout un symbole.

Leçon n°10. Lourde erreur d’avoir fermé les écoles, soi-disant pour garder les élèves et étudiants hors des lieux publics.  C’est plutôt là qu’ils étaient libres  de s’organiser, de se contacter, de participer.  Les dictateurs n’ont jamais prétendu à l’érudition.  Et pour cause.

Leçon n°11 : La main étrangère rôde… La France aurait proposé une sortie honorable au dictateur Compaoré : « je t’ai installé, je te trouve du boulot en international pour bons et loyaux services rendus », semble-t-on lui susurrer à l’oreille. Un ancien chef d’Etat militaire burundais, deux fois putschiste, Buyoya pour ne pas le nommer, relève de la même logique, même si aujourd’hui le goulot d’étranglement OIF semble se fermer sur ses jours de gloire !

L’on se souviendra qu’en 1987, le tombeur de Sankara a effectué une visite éclair, parmi ses premières sorties « de reconnaissance des pairs» à Bujumbura en 1987 !  Qu’il vous revienne aussi que 10 ans plus tard, soit en 1997, c’est la même France qui a sorti le récidiviste putschiste Buyoya de son isolement diplomatique en l’invitant au sommet de la francophonie d’Ouagadougou. Comme un symbole, mais logique !

Vingt-sept ans durant, la fameuse « communauté internationale » : CEDEAO, UA, UE, ONU, etc. semble s’être tue dans toutes les langues, faisant du « business as usually » avec le régime.  Maintenant que le plus dur est fait, on menace de sanctions, on rappelle le discours d’Accra de l’homme non moins fort de la maison blanche sur la primauté des institutions fortes en lieu et place des hommes forts, etc. Certes, mais il fallait développer tout ce laïus quand les choses allaient mal et que le peuple en danger appelait au secours!

Leçon n°12 : La plus grande leçon administrée par les hommes intègres, c’est une leçon de courage, le courage d’un peuple et de ses forces vives, de se prendre en mains.  Maintenant que l’enfant liberté est né, il faut au même peuple encore plus de courage et de sagesse, beaucoup de compromis et de grandeur d’âme pour qu’un dialogue national inclusif (y compris l’armée, mais remise à son job habituel … d’institution apolitique) accouche de structures et des hommes et femmes, des civils, capables de conduire la transition et organiser les élections, endéans les 90 jours constitutionnels.  La constitution, interprétée à la lumière des évènements, doit rester la référence, sinon tout sera possible.

27 n’est pas divisible par 2. 37 non plus. Donc au risque d’avoir une demi-leçon, retenons celles-ci. Pour le moment !