La presse internationale s'alarme de la situation au Burundi
Droits de l'Homme

Le Temps, 12 novembre 2014

Dérive autoritaire au Burundi

Angélique Mounier-Kuhn

 A huit mois d’une élection présidentielle qui s’annonce polémique, le président Pierre Nkurunziza, étant suspecté de se présenter pour un troisième mandat, l’opposition est muselée et les libertés publiques sont étouffées

Lorsque le Burkinabé Blaise Compaoré a été forcé d’abandonner le pouvoir et de prendre la fuite, fin octobre, les autorités burundaises ont aussitôt ventilé ce message: «Le Burundi n’est pas le Burkina Faso.» «Ah oui? Pensent-elles que nous, Burundais, ne sommes que des moutons?» rétorque Pacifique Nininahazwe, le président du Forum pour la conscience et le développement, une des principales ONG de défense des droits de l’homme dans ce pays de l’Afrique des Grands Lacs.

Si Bujumbura tente de minimiser l’écho du coup de théâtre à Ouagadougou, c’est que le Burundi est le prochain à figurer sur la liste des Etats du continent allant au-devant d’échéances électorales polémiques. En juin 2015, Pierre Nkurunziza, 50 ans, président depuis 2005, devrait tenter de se faire élire pour un troisième mandat. Il a échoué de peu à faire avaliser un projet de réforme constitutionnelle qui devait faire sauter le verrou limitant à deux les quinquennats présidentiels. Il semble ne pas avoir renoncé, et miserait sur une libre interprétation des textes pour se représenter, ayant été élu en 2005 par les parlementaires et non au suffrage universel.

Equilibre rompu

Les intentions prêtées à cet ex-professeur de sport passé par la rébellion avant de se faire pasteur, ne sont pas les seules à tourmenter la société civile et les observateurs étrangers. Sorti en 2006 d’une guerre civile vieille de plus de deux décennies entre les Hutus, majoritaires, et les Tutsis, le pays, un des dix plus pauvres au monde, paraît à nouveau en pleine dérive. L’opposition politique est la première à avoir fait les frais d’une campagne de broyage systématique.

«Les accords d’Arusha d’août 2000 [pour la paix et la réconciliation au Burundi, ndlr] avaient mis en œuvre un système de partage du pouvoir entre les différentes forces politico-ethniques», rappelle Pacifique Nininahazwe. En 2010, cet équilibre s’est rompu lorsque l’opposition a boycotté le scrutin entaché d’irrégularités. «Le président en a profité pour le casser», poursuit le militant. Ce dernier est ces jours de passage à Genève, au sein d’une délégation de défenseurs des droits de l’homme burundais invités par l’ONG TRIAL à l’occasion de l’examen, par le Comité contre la torture (ONU), de la situation dans le pays.

Opposition neutralisée

Arrestations arbitraires, accusations fantaisistes, divisions semées au sein des partis…, les figures de l’opposition ont été neutralisées les unes après les autres quand elles n’ont pas opté pour l’exil forcé. Après elles, la société civile est passée en première ligne. L’an passé, de nouvelles lois ont été adoptées, dont l’une contraint les journalistes à révéler leurs sources et l’autre encadre sévèrement les réunions et manifestations publiques. En juillet dernier, le ministre de l’Intérieur proclamait ainsi qu’aucune des demandes de manifestations déposées par la société civile depuis le début de l’année n’avait reçu de feu vert.

Il y aurait plus inquiétant encore: la montée en puissance des Imbonerakure, ces jeunes qui multiplient les intimidations à la manière d’une milice aux ordres du parti présidentiel (CNDD-FDD), auquel ils sont affiliés. En avril, une note interne de l’ONU a fuité dans la presse locale, révélant des distributions d’armes à ces jeunes militants. Bujumbura a démenti, puis expulsé un représentant de l’ONU. Quelques semaines plus tard, Pierre-Claver Mbonimpa, le défenseur le plus en vue dans le pays, était arrêté après avoir dit à la radio que des Imbonerakure recevaient un entraînement paramilitaire en République démocratique du Congo. Récemment libéré sous la pression internationale, il reste accusé «d’atteinte à la sûreté de l’Etat».

Justice sous contrôle

«A ce contexte s’ajoute le problème de l’impunité, installée depuis longtemps. L’appareil judiciaire est sous l’emprise de l’exécutif», insiste l’avocat Janvier Bigirimana. Pour preuve, le traitement réservé, en mars, à 70 jeunes partisans d’Alexis Sinduhije, opposant farouche au président. Ils ont été arrêtés à l’issue d’une manifestation ayant viré à l’affrontement avec des Imbonerakure. Accusés «d’insurrection», ils ont été condamnés en une seule journée, dont 21 à la perpétuité. 

Lorsque Pierre Nkurunziza, un Hutu, est arrivé au pouvoir, il portait pourtant de nombreux espoirs en prêchant la bonne gouvernance. De retour de sa première visite à l’étranger, il avait ostensiblement reversé dans les caisses de l’Etat le reliquat de ses frais de missions. Mais quelques mois plus tard, l’affaire de l’avion présidentiel subrepticement vendu éclatait. Depuis, les scandales de corruption se sont enchaînés, aussi sûrement que le président lançait ses croisades évangéliques.

«Le seul espoir qu’il nous reste, c’est l’exemple du Burkina Faso», confie Pacifique Nininahazwe. Il prend des risques en le disant: pas plus tard qu’il y a deux jours, on l’a informé qu’un «plan d’élimination physique» le visant était en préparation.


NdlR : Le Temps est un quotidien suisse édité à Genève