Vénérand Nzohabonayo raconte la trajectoire de son fils Bertrand alias "Bilâl"
Diaspora

Libération, 25 décembre 2014

Joué-les-Tours : «Bertrand a arrêté le rap qu’il jugeait non compatible avec l’islam»

RÉCIT - Ex-dignitaire au Burundi, le père du jeune converti tué lors de l’attaque de Joué-lès-Tours raconte la trajectoire de son fils. Et surtout «le choc» de l’arrivée en France.

La dernière fois que Vénérand Nzohabonayo a vu son fils Bertrand - alias Bilâl -, c’était le 8 novembre. Six semaines plus tard, son fils de 20 ans agressait trois policiers au couteau dans un commissariat de Joué-lès-Tours (Indre-et-Loire) avant d’être tué de plusieurs balles.

«Quand on s’est vu, il m’a parlé de sa recherche d’emploi. Il avait sorti son C.V., sur lequel figuraient ses quelques expériences professionnelles. Livreur de journaux notamment», raconte Vénérand, assis dans le salon chez sa fille Eunice, fraîchement sortie de deux jours de garde à vue dans le cadre de l’enquête visant son frère.

Bertrand naviguait entre cet appartement propret de Joué-lès-Tours, où il lui arrivait de s’occuper de son neveu de 7 ans, et le logement de sa mère, à quelques kilomètres. Elève dans une filière industrielle dans un lycée professionnel, Bertrand a arrêté l’école en classe de première. Contrairement aux trois aînés de la fratrie (32, 28 et 26 ans), Bertrand et son frère Brice - alias Issa, 19 ans, fiché à la DGSI et interpellé au Burundi il y a quelques jours - n’ont pas fait d’études supérieures. Un décrochage que leur père explique par ses propres difficultés à trouver un travail depuis l’arrivée en France de la famille, d’origine burundaise.

«Chute». En 2004, le père et les enfants rejoignent la mère, réfugiée politique, dans le cadre d’un regroupement familial. Depuis, les parents se sont séparés. Dans le quartier populaire de La Rabière, où ils s’installent, la vie des enfants - Brice et Bertrand ont alors 9 et 10 ans - n’a rien à voir avec ce qu’ils avaient vécu auparavant.

Au Burundi, Vénérand avait des responsabilités gouvernementales. Il a été secrétaire d’Etat. De fils de haut fonctionnaire, les enfants passent à fils de chômeur, dans la province française. «Ça a été un choc, se souvient l’ancien dignitaire. On avait tout ce qu’il fallait là-bas. Les enfants avaient un chauffeur qui les amenait à l’école. Et puis on est arrivé dans un monde où ils sont devenus presque rien. Surtout, ils ont été témoins de la chute vertigineuse du statut de leur père.»

A La Rabière, où la communauté musulmane est importante, Brice et Bertrand se font des amis. La famille est chrétienne, mais Brice se convertit à l’islam à l’adolescence, puis finit par convaincre Bertrand de faire de même. «Brice est très influençable, ça ne m’étonne pas que ce soit le premier à s’être converti, confie Vénérand, interrompu par un texto de condoléances. Il est aussi accro à l’ordinateur. S’il est fiché, c’est parce que sa mère s’est inquiétée de voir les sites qu’il fréquentait, relatifs au jihad notamment. Alors elle a prévenu la police pour qu’ils gardent un œil sur lui.» Bertrand, au contraire, est décrit comme un meneur depuis son plus jeune âge.

Bible. Dans cette famille qualifiée d’«intégrée et normale» par Elvis, l’un des aînés, l’intérêt porté par Bertrand à l’islam a poussé ses proches à le mettre en garde.«Parce que quand il s’impliquait dans quelque chose, Bertrand le faisait à fond,explique Vénérand, comme quand il s’est mis à faire du rap. Il avait du talent. Il a arrêté parce qu’il disait que ce n’était pas compatible avec une vie religieuse.» A 16 ou 17 ans déjà, Bertrand s’intéressait à la spiritualité. A l’époque, il accompagnait sa mère à l’église évangélique et lisait la Bible. Puis il s’est tourné vers l’islam, qu’il appelait «la science». Son père reconnaît que son fils «se cherchait encore», mais assure qu’il avait un avis tranché sur les jihadistes : «Il disait d’eux que ce n’était pas des musulmans.» Pourtant, deux jours avant l’attaque des policiers, il avait remplacé la photo de son profil Facebook par un drapeau de l’Etat islamique.

Elise GODEAU (Correspondante à Tours)