Décryptage du revenu d’un citoyen lambda au Burundi
Economie

Rue89, 24/01/2015

 Patrice, gardien au Burundi pour 30 euros par mois

Patrice, 32 ans, est gardien depuis sept ans dans une résidence au centre-ville de Bujumbura, la capitale du Burundi. Père de quatre filles, il était auparavant paysan, et sa femme cultive leur petit champ.

Patrice, 32 ans, est gardien depuis sept ans dans une résidence au centre-ville de Bujumbura, la capitale du Burundi.

Avant, il vivait à Nyabiraba, en zone rurale. Il était paysan, comme 90% de la population burundaise. Les terres ici sont très exiguës et soumises à des productions continues – il faut nourrir 10 millions d’habitants avec un territoire grand comme l’Alsace-Lorraine.

Le résultat, c’est qu’aujourd’hui la terre du Burundi n’est plus fertile. Sans fumier (ou engrais pour ceux qui se servent de produits chimiques, mais les deux sont hors de prix pour beaucoup de gens), la production n’est pas suffisante pour devenir rentable ni même pour nourrir toute une famille.

Patrice a donc dû changer de métier. C’est un ami qui lui a dégoté cette place de gardien.

Patrice aime bien son travail mais il voudrait gagner plus d’argent. Il s’est marié il y a sept ans et est père de quatre filles, âgées de 7 ans à 2 mois. Il juge que ses conditions de vie sont précaires.

Revenus mensuels : 30 euros

Le salaire (brut). Patrice gagne 60 000 francs burundais (FBU) par mois (soit environ 30 euros).

Il ne paie pas d’impôt, mais l’Etat lui prélève 5 000 FBU (2,5 euros) par mois afin de financer sa retraite et une mutuelle de santé (à 80% à la charge de l’Etat). Patrice considère qu’il gagne trop peu.

Sa femme cultive leur petit champ, mais sans fumier. Le champ est un apport important pour le ménage. En effet, sa femme vend parfois un peu de leur production au marché (tomates, courgettes, haricots) et cela permet de varier la nourriture à la maison.

Comme Patrice sait que ses dépenses sont généralement supérieures à ses revenus, il essaye de faire des extras dans son travail, par exemple en déplaçant des meubles des résidents ou en lavant leur voiture.

REVENU MOYEN : 20 EUROS PAR MOIS

Le salaire moyen (ce qui suppose une activité salariée, ce qui n’est pas le cas de 90% de la population burundaise qui est cultivatrice) tourne autour de 150 000 francs burundais par mois (75 euros). Quant au revenu moyen (qui concerne toute la population active), c’est environ 40 000 FBU (20 euros) par mois, en étant large.

Possession de logements. Lorsqu’il s’est marié, son père lui a légué une partie du champ familial et Patrice y a construit une maison en terre crue pour y vivre avec sa femme. Patrice est donc l’heureux propriétaire d’une petite maison (2 pièces, 30 m²) à Nyabiraba, ainsi que d’un champ d’environ six ares.

Primes éventuelles. A la fin de l’année, les habitants de la résidence se sont cotisés pour accorder aux gardiens une prime de fin d’année, équivalente à 40 000 FBU chacun (20 euros). Patrice dit que lui et les autres gardiens ont fait la fête toute la nuit.

Dépenses fixes : 15 euros

Loyer. Patrice ne paye pas de loyer.

Electricité. Patrice ne paye pas non plus de factures d’électricité puisqu’il n’a pas l’électricité à la maison.

L’eau est gratuite, sa femme et ses enfants vont la chercher à la fontaine pas très loin de la maison (1 km).

Il n’a évidemment pas de gaz à payer, ici on cuisine au charbon de bois (un sac de charbon de 5 kilos coûte 12 000 FBU, soit 6 euros).

Prêts. Ses revenus sont trop faibles pour qu’il puisse accéder à un crédit auprès d’une banque. Cela lui arrive d’emprunter des petites sommes à « des Blancs ».

Frais bancaires. Patrice a un compte bancaire dans une institution de micro-crédit. Cela lui coûte 3000 FBU (1,5 euro) par trimestre. (« Ils sont des voleurs ! », dit-il).

Assurances. Patrice n’a pas d’assurance.

Transports. Chaque vendredi, Patrice rejoint sa femme et ses enfants à Nyabiraba. Cela lui coûte un bras : 4200 FBU (2,1 euros) pour un aller-retour, soit 16 800 FBU (8,4 euros) par mois. Le trajet en minibus jusqu’à sa commune lui prend une heure, puis il lui reste 6 km à pied pour arriver à la maison. Parfois, il fait l’ensemble du trajet à pied lorsqu’il n’a pas trouvé assez d’argent pour rentrer.

Téléphonie. Patrice dépense 10 000 FBU (5 euros) par mois en recharges téléphoniques, essentiellement pour appeler sa femme.

Dépenses variables

Courses et alimentation. Patrice essaie d’économiser sur les repas. Il mange un repas par jour, ce qui équivaut à environ 700 francs par jour (0,4 euro) en frais de nourriture. A ce prix-là, il ne varie pas beaucoup ses repas, c’est généralement des haricots et de la pâte de manioc. Fort heureusement, il aime bien ça. Il complète parfois avec ce qu’il trouve dans la résidence, en particulier des avocats.

Frais liés aux enfants. Ses enfants lui coûtent 40 000 francs par mois (20 euros) pour les frais alimentaires (10 000 francs par enfant). De plus, même si l’école est gratuite, il y a toujours des frais variables pour les cahiers ou pour améliorer l’infrastructure de l’école. Il dit que les frais annexes lui coûtent jusqu’à 5 000 francs par enfant (2,5 euros).

Patrice n’est pas allé à l’école, mais il sait lire et écrire en kirundi car il a suivi des classes chez les religieux catholiques. Aujourd’hui, il est pentecôtiste protestant.

Frais liés à la santé. Patrice et sa famille ont parfois des petits frais de santé mais il ne saurait pas dire combien cela leur coûte. Selon Patrice, les hôpitaux en dehors de la capitale ne sont pas suffisamment équipés et c’est l’usager qui doit subvenir aux frais de traitement et à l’achat des médicaments. Comme il n’a pas assez d’argent pour aller à l’hôpital, il n’y va pas.

Travaux dans l’habitation/sur la propriété. Patrice rénove un peu la maison tous les trois ou quatre ans, quand c’est possible, mais ce n’est jamais un gros budget. Sa maison est en terre crue (briques adobe) avec un toit en tôle, donc il n’a pas beaucoup de frais, c’est pratique.

Loisirs. L’intitulé de cette rubrique amuse Patrice, qui comprend le concept, mais c’est en dehors de sa vie. Sinon, il va à la messe le dimanche, pour prier et rencontrer du monde.

Alcool et tabac. Il ne boit pas d’alcool, mais il boit un Fanta de temps en temps. Ses collègues tournent plutôt à la bière. Il ne fume pas.

Epargne

Patrice n’a pas d’épargne, il dit que c’est impossible pour lui. Cependant, il rêve d’évoluer pour acheter un jour un taxi et ramener de l’argent tous les jours. Un taxi voiture coûte dix millions (5 000 euros) au minimum. Mais il faut d’abord acheter un permis. Généralement on commence par la location d’une voiture pendant des années avant de devenir propriétaire à part entière de son véhicule (avoir un taxi voiture est le rêve de beaucoup de monde ici).

Sinon Patrice aimerait faire de l’élevage ou cultiver les cultures de la région. Il voudrait de l’aide pour acheter du fumier pour son champ et ainsi pouvoir redevenir paysan. « Aujourd’hui sans fumier, la vie de paysan est trop dure ; il me faut un capital. »

Guillaume Nicaise/Rue89

MAKING OF

Exceptionnellement, ce porte-monnaie n’a pas été rédigé par un de nos journalistes mais un de nos riverains. Guillaume Nicaise vit au Burundi. Il est doctorant en anthropologie et sociologie. Mathieu Deslandes