Burundi : bras de fer à haut risque à l'approche des élections
Politique

@rib News, 20/03/2015 - Source AFP

Un président accusé de "forcing" pour briguer un troisième mandat, un parti au pouvoir divisé, une opposition remontée à bloc: un bras de fer acharné est engagé au Burundi à quelques mois d'élections générales à haut risque.

Depuis des mois, la tension politique monte dans le petit pays d'Afrique des Grands Lacs, à l'histoire récente marquée par les conflits interethniques et une longue guerre civile (1993-2006) dont il se remet difficilement.

Deux camps sont désormais clairement identifiés: les opposants à un troisième mandat de Pierre Nkurunziza, qu'ils jugent inconstitutionnel, et les soutiens du chef de l'Etat qui défendent son droit à une nouvelle candidature. Et leurs positions se radicalisent.

"C'est la première fois dans l'histoire des conflits burundais qu'on a une telle polarisation" politique et que "la plupart des acteurs (...) voient dans l'explosion, la violence, l'issue politique souhaitable", résume Julien Nimubona, professeur de sciences politiques à l'Université du Burundi.

La radicalisation s'est opérée en quelques semaines, dans la foulée d'une manifestation de dizaines de miliers de personnes venues soutenir à sa sortie de prison un populaire journaliste, Bob Rugurika, réputé critique du pouvoir.

L'ampleur inédite du rassemblement a été largement perçu comme un avertissement lancé au pouvoir et a galvanisé opposition et société civile qui militent contre un troisième mandat de M. Nkurunziza.

Mais elle a aussi libéré la parole au sein du Cndd-FDD, l'ex-rébellion hutu devenue parti au pouvoir, où de plus en plus de hauts cadres prennent position contre une nouvelle candidature du chef de l'Etat, de peur de voir le système Cndd-FDD s'effondrer - comme au Burkina récemment - ou le pays replonger dans la violence.

Pour le Cndd-FDD, le risque est d'autant plus grand dans ces élections législatives et communales de mai et présidentielle de juin que, contrairement aux scrutins de 2010, l'opposition exclut tout boycott et a ses chances, estiment les analystes.

"La fronde interne au système a pris de l'ampleur", note un diplomate, soulignant que ces divisions au sein du parti émergent aussi dans l'armée.

"Fuite en avant"

Face à cette crise interne, à une opposition déterminée à barrer la voie à Pierre Nkurunziza et à des partisans du président - particulièrement la jeunesse du Cndd-FDD (les Imbonerakure) - qui ne cachent plus leur volonté d'en découdre si leur champion est contraint à renoncer, le risque de violence est réel.

"On sent a la fois une montée de la tension électorale dans les deux camps, ainsi qu'une ambiance potentiellement émeutière à Bujumbura", note Thierry Vircoulon, de l'International Crisis Group (ICG), d'autant plus inquiet que "certains semblent être tentés par la logique du pire".

La crainte des violences est dans toutes les conversations, à Bujumbura et alentour.

Au Burundi désormais, les tensions dépassent le traditionnel clivage hutu-tutsi qui a longtemps meurtri le pays. Elles traduisent essentiellement des luttes de pouvoir entre responsables politiques hutu: le principal opposant à Pierre Nkurunziza est Agathon Rwasa, chef historique de l'ex-rébellion hutu des Forces nationales de libérations (FNL).

Mais ces tensions n'en sont pas moins vives. Et sont exacerbées par un ras-le-bol généralisé d'une population parmi les plus pauvres d'Afrique, qui, en particulier à Bujumbura, dénonce pêle-mêle inflation, corruption, harcèlement et intimidation de l'opposition et de la société civile, voire assassinats et tentatives d'assassinats politiques.

Dans ce contexte explosif, la très influente Eglise catholique burundaise est récemment sortie de sa réserve: ses évêques se sont prononcés contre un troisième mandat de M. Nkurunziza, causant "un dommage immense" au parti présidentiel, reconnaît un de ses hauts cadres.

La pression extérieure s'accentue aussi: Les Occidentaux, Etats-Unis et Européens notamment, multiplient les appels à Pierre Nkurunziza pour qu'il renonce.

Pour les analystes, le chef de l'Etat burundais reste cependant dans une logique de "fuite en avant" et la "clé" est désormais entre les mains de son parti.

Pour Thierry Vircoulon, il faudrait "un accord au sein du Cndd-FDD sur une candidature alternative". Toute la question sera de choisir, d'ici à un congrès sans cesse reporté, qui pourra jouer ce rôle.

Le ministre de l'Intérieur, Edouard Ndiwumana, appelle à la "patience", jusqu'à ce qu'au moins le choix du candidat du Cndd-FDD soit arrêté. Il souligne également que c'est à la Cour constitutionnelle de trancher sur la légalité des candidatures en lice avant le scrutin, dont éventuellement celle de M. Nkurunziza.

"Pensez à ce qu'il adviendrait si on lui interdisait de se présenter", alors que la Cour constitutionnelle pourrait l'y autoriser, glisse-t-il.