Déo Hakizimana alerte sur la détérioration de la situation au Burundi
Politique

Tribune de Genève, 22.03.2015

«La situation au Burundi est très inquiétante»

De retour de Bujumbura où il a séjourné quinze mois, le fondateur du Cirid, Déo Hakizimana, lance un cri d’alarme.

Habituellement, il est d’un naturel souriant et optimiste. Mais aujourd’hui le Burundais Déo Hakizimana, bien connu des autorités suisses pour avoir créé à Genève le Centre indépendant de recherches et d’initiatives pour le dialogue (Cirid), est envahi par la peur. De retour de Bujumbura, la capitale du Burundi, où il a séjourné quinze mois, il rentre amaigri et inquiet. L’approche de l’élection présidentielle qui doit avoir lieu en juin échauffe les esprits. Il craint que les choses dégénèrent.

Le chef de l’Etat sortant, Pierre Nkurunziza, s’apprête à convoiter un troisième mandat. L’élection de trop pour son opposition. Du coup, les positions se radicalisent à l’approche du scrutin. Ce qui est un très mauvais signe selon Déo Hakizimana, qui connaît bien les mentalités locales. «Cette fièvre préélectorale est très dangereuse. Je crains qu’à l’annonce de la candidature de Pierre Nkurunziza, une partie de la population ne descende dans la rue pour manifester», explique-t-il. Ce qu’il redoute, ce sont les affrontements avec la police, qui pourraient très vite conduire à un embrasement du pays. «Il y a des familles qui ont commencé à fuir vers le Rwanda par peur d’une guerre», assure-t-il.

Les populations sont traumatisées par les luttes de pouvoir qui ont ensanglanté le Burundi et la région des Grands Lacs au cours des cinquante dernières années. Si certains rêvent d’en découdre beaucoup aspirent juste à vivre, sinon à survivre. Le souvenir des conflits fratricides entre Hutu et Tutsi a laissé une plaie béante. Contrairement au Rwanda, le Burundi n’a pas entrepris le travail de mémoire et de justice entrepris par son voisin. Et c’est bien là tout le problème, selon Déo Hakizimana. Les auteurs des crimes commis au cours du demi-siècle passé, quel que soit leur camp, jouissent d’une impunité et continuent à tirer les ficelles du pouvoir quand ils ne l’exercent pas directement.

«La Commission de réconciliation et vérité vient seulement d’être créée après treize ans de tergiversations», déplore-t-il. Résultat: les conditions pour une gouvernance et une transition apaisées ne sont pas réunies. Les Burundais et la communauté internationale pourraient s’en mordre les doigts car le pire n’est pas à exclure. Avec son ONG et ses faibles moyens, Déo Hakizimana a essayé de jouer les facilitateurs pour nouer le dialogue entre toutes les composantes de la société burundaise. En vain. Son projet de boulangerie solaire a connu un certain succès mais c’est une goutte d’eau dans un océan de détresse et de malentendus.

Ce que redoute le plus Déo Hakizimana ce sont les effets dévastateurs des fausses rumeurs qui dressent les populations les unes contre les autres. Elles ont été le point de départ du génocide rwandais mais aussi des massacres de masse qui ont dévasté le Burundi dans les années 80. Le fondateur du Cirid n’est pas le seul à s’inquiéter de ce qui est en train de se jouer au Burundi.

Plusieurs spécialistes de la région ont essayé d’attirer l’attention ces derniers mois sur une possible détérioration de la situation dans cette région déjà très fragilisée. Les incidents se sont multipliés ces derniers mois: entraves à la liberté de réunion, atteintes à la liberté d’expression, arrestations arbitraires, assassinats… Un cocktail explosif. (TDG)