Au Burundi, société civile et médias dans le collimateur des autorités
Sécurité

@rib News, 25/03/2015 – Source AFP

Au Burundi, face à une opposition fragmentée, médias et société civile endossent depuis plusieurs années le rôle de principal contre-pouvoir. Harcèlement, incarcérations: ils disent payer le prix fort, à deux mois d'élections tendues.

Un matin de mars, la populaire radio privée RPA (Radio publique africaine) reçoit le principal opposant burundais, Agathon Rwasa. D'emblée, elle l'interroge sur l'agression de sa femme. D'emblée, il en rend responsable un "pouvoir motivé par la peur".

L'agression à l'arme à feu en question, non revendiquée, fait depuis plusieurs jours les titres de la presse.

En pointe sur le sujet, la RPA dénonce même l'existence d'une liste de personnes à abattre à l'approche des élections (législatives et communales en mai, présidentielle en juin). Parmi elles se trouvent des opposants, mais aussi des membres de la société civile et des médias.

Dans ce petit pays d'Afrique des Grands Lacs, journalistes et militants se disent harcelés, mais également physiquement menacés. Tous ont en tête l'assassinat d'un influent militant anti-corruption, Ernest Manirumva, en 2009.

Plus récemment, les arrestations du défenseur des droits de l'homme Pierre-Claver Mbonimpa et du directeur de la RPA Bob Rugurika ont déclenché de vives protestations.

Le premier a été inculpé d'atteinte à la sécurité de l'Etat après avoir avoir évoqué l'entraînement militaire de jeunes du parti au pouvoir - démenti par le gouvernement -, le second de complicité d'assassinat après la diffusion de reportages impliquant des responsables du renseignement dans les meurtres récents de religieuses italiennes.

"Il y a beaucoup d'autres cas de militants qui sont constamment harcelés, intimidés par des autorités haut placées, qui reçoivent des menaces sur leur téléphone ou des convocations", dit Carina Tertsakian, de l'ONG Human Rights Watch, déplorant aussi les nombreuses manifestations interdites.

"Il y a une société civile dynamique ici au Burundi. C'est un atout mais le gouvernement prend ça très mal", poursuit-elle. "Pareil pour les médias".

Le pouvoir nie tout harcèlement, rétorquant qu'une frange des médias et de la société civile se comporte en "opposants politiques".

"La société civile burundaise est composée de plus de 6.000 organisations. Mais le problème vient de quelques associations, et encore de quelques individus qui portent la casquette de société civile mais tirent toujours à boulets rouges sur le gouvernement", affirme Willy Nyamitwe, conseiller en communication de la présidence.

Depuis la création de la RPA en 2000 par Alexis Sinduhije, ex-journaliste aujourd'hui opposant en exil, "il y a eu quatre régimes différents de trois ou quatre présidents différents. Chaque régime nous a taxés d'être proches de l'opposition", ironise Bob Rugurika, dont la libération sous caution avait été saluée par une manifestation monstre en février.

Selon lui, le pouvoir, accusé d'avoir mis en pièce l'opposition, cherche à "museler toute voix discordante".

- 'Ligne de front' -

Société civile et médias sont surtout exposés depuis les élections de 2010, boycottées par l'opposition : absente du Parlement, celle-ci a depuis été largement inaudible dans le débat politique.

"On s'est retrouvés, pratiquement, en ligne de front (...), surexposés par rapport au pouvoir, ça nous a mis dans des tensions permanentes", résume Innocent Muhozi, président de l'Observatoire de la presse du Burundi.

Les combats menés vont des dénonciations d'"exécutions extrajudiciaires" au "pillage sans honte des ressources", en passant par "les atteintes à la liberté d'expression".

M. Muhozi revendique "l'engagement" de la société civile et des médias, mais nie servir de relais à l'opposition et affirme que la pression "s'aggrave" avec les élections.

D'autant que, dans l'espoir de prévenir de nouvelles violences dans un pays à l'histoire post-coloniale marquée par des massacres interethniques et une longue guerre civile (1993-2006), société civile et médias militent contre un troisième mandat du président Pierre Nkurunziza.

Tous se disent plus déterminés que jamais, certains que la population les soutient.

"Les gens ont fini par se dire que c'est possible de résister", se félicite M. Muhozi.

Dans les rues de Bujumbura, à l'heure du journal de midi de la RPA, les Burundais ont désormais l'oreille collée à leurs radios et téléphones.

"C'est une radio très importante", explique Abdul Teddy Ntunzwenimana, moto-taxi de 33 ans. "Je l'écoute tous les jours. Je l'aime parce qu'elle dit la vérité".