Le président burundais va-t-il faire marche arrière ? Nul n'y croit vraiment
Politique

Le Point, 17/04/2015

Burundi : les leçons mal retenues de Ouagadougou

 Le président Pierre Nkurunziza termine son deuxième mandat et en veut un troisième, au grand dam de nombreux Burundais.

Le week-end dernier, l'Inde a demandé à ses ressortissants de quitter le Burundi avant le 15 avril. Dans les prochains jours, le parti au pouvoir à Bujumbura, le Conseil national pour la défense de la démocratie-Forces de défense de la démocratie (CNDD-FDD), doit désigner le chef de l'État sortant, Pierre Nkurunziza, comme celui qui sera son candidat aux présidentielles de juin prochain. L'actuel président termine son deuxième mandat. Et beaucoup de Burundais jugent anticonstitutionnel et contraire à l'esprit des accords d'Arusha (les accords qui, en 2000, ont mis fin à une terrible et sanglante guerre civile commencée en 1993) ce troisième mandat.

La contestation monte dans le pays

Les manifestations de protestations se sont multipliées ces derniers mois, et chacun craint de nouveaux affrontements. Les contestataires rassemblent les sympathisants des partis politiques, la société civile, mais aussi l'Église - qui sort rarement de sa réserve - dans un pays où 75 % à 80 % de la population est catholique pratiquante, et même quelque 150 hauts cadres du parti au pouvoir (qui se sont fait exclure), sans oublier Pierre Buyoya, le prédécesseur de Nkurunziza. Le président burundais va-t-il faire marche arrière ? Nul n'y croit vraiment. Le 10 avril, le parti au pouvoir a organisé une manifestation et mis 10 000 jeunes dans la rue pour soutenir le troisième mandat.

Manifestement, la leçon de Ouagadougou n'a pas été entendue par tous les présidents africains. C'est en octobre dernier, à l'issue de manifestations violentes, que les jeunes Burkinabés avaient obtenu le départ de Blaise Compaoré. Après 27 ans de présidence, celui-ci prétendait à un nouveau mandat à la tête du Burkina-Faso et voulait modifier la Constitution. Un tour de passe-passe qui s'est heurté à la lassitude - et à la colère - des Burkinabés.

Le même scénario à Kinshasa...

La nouveauté en Afrique n'est pas tant dans la réticence - le mot est faible - de certains présidents à lâcher le pouvoir que dans la réaction d'une large partie des populations. Le continent africain s'accommode de moins en moins des présidents à vie qui passent le "sceptre" à leur fils. Les Africains le disent, même violemment. À Kinshasa, en janvier, des manifestations de l'opposition et de la société civile n'ont pas seulement fait 40 morts, selon la Fédération internationale des droits de l'homme, elles ont obligé Joseph Kabila, 44 ans et 14 ans au pouvoir, à renoncer à un troisième mandat aux présidentielles de l'année prochaine. Kabila fils est arrivé au pouvoir en janvier 2001, après l'assassinat de son père. "La RDC ne reviendra pas à la guerre civile", a déclaré le porte-parole du gouvernement le 5 février. Kabila va-t-il tenir sa promesse au fur et à mesure que l'on se rapproche de la date de la présidentielle, fin 2016 ? 

... et à Brazzaville

Sur la rive droite du fleuve Congo, le scénario est un peu différent. Après un demi-siècle de vie politique et 17 ans de pouvoir, Sassou-NGuesso, 72 ans, président du Congo-Brazzaville, en contravention avec la Constitution de 2002 (deux mandats présidentiels pour un candidat de moins de 70 ans), ne rechignerait pas à se présenter pour un troisième mandat en juillet 2016. En décembre, la majorité des membres du Comité central du parti au pouvoir (Parti congolais du travail, PCT) ont, sans surprise, voté pour une modification de la Constitution. Sassou-NGuesso repartirait ainsi pour sept ans. Au grand dam de l'opposition. Mais Brazzaville n'est pas Ouagadougou, ni même Bujumbura ou Kinshasa. Il n'y a pas - dans l'immédiat du moins - d'associations structurées de la société civile, sur le modèle des "Y'en a marre" ou du "Balai citoyen" de l'Afrique de l'Ouest. Les Congolais sont moins politisés et, surtout, ils ont connu une terrible guerre civile en 1997-1998, dont Sassou-NGuesso était partie prenante. Ils ne veulent pas revivre ces années sanglantes. Quant au pouvoir, il rechigne aussi à passer en force en changeant la Constitution via le seul Parlement. Cela pourrait mal tourner. À Brazzaville, l'avenir reste ouvert. Fin 2016 est encore loin.

Par MIREILLE DUTEIL