Burundi : la perspective de scrutins libres et démocratiques ne cesse de s’éloigner
Analyses

International Crisis Group, 17 avril 2015

Les élections au Burundi : l’épreuve de vérité ou l’épreuve de force?

Rapport Afrique N°224 - 17 avr. 2015

SYNTHESE ET RECOMMANDATIONS

Les élections qui doivent avoir lieu de fin mai à août 2015 vont être décisives pour l’avenir du Burundi. Sont en jeu non seulement le devenir de l’équipe au pouvoir (le président Pierre Nkurunziza envisage de briguer un troisième mandat) mais aussi et surtout le maintien de l’accord d’Arusha comme fondation de la paix au Burundi. Les mobilisations populaires et le précédent de la chute du président au Burkina Faso laissent augurer une confrontation dans la rue en cas de passage en force de Nkurunziza. Le retour de la violence ne mettrait pas seulement fin à la paix civile progressivement rétablie après l’accord d’Arusha en 2000 mais aurait des implications régionales déstabilisatrices et marquerait un nouvel échec des politiques de consolidation de la paix. Pour éviter un tel scénario, les partenaires du Burundi, qui ont déjà exprimé leur inquiétude, doivent renforcer leur implication dans le processus électoral et prévoir une réponse graduée en fonction de son inclusivité politique.

A la veille du congrès du parti au pouvoir qui doit désigner son candidat pour le scrutin présidentiel et à quelques semaines des élections législatives et communales le 26 mai, la tension ne cesse de monter et la perspective de scrutins libres et démocratiques ne cesse de s’éloigner. Alors que des réunions préparatoires en 2013 et le retour au pays des ténors de l’opposition avaient laissé espérer que la période pré-électorale serait marquée par l’ouverture d’un dialogue entre le pouvoir et l’opposition, les signes avant-coureurs d’une crise électorale se multiplient. L’usage partisan des institutions d’Etat, les exactions d’une jeunesse embrigadée dans des milices (les Imbonerakure), le manque de confiance dans la Commission électorale nationale indépendante (CENI), les manœuvres pour réduire l’inclusivité du processus électoral et la volonté du président de se représenter exacerbent les tensions avec une opposition qui compte prendre sa revanche après sa défaite de 2010 mais ne sait pas si ses ténors seront autorisés à être candidats.

L’éventualité d’un troisième mandat du président Nkurunziza pose la question de la préservation de la paix au Burundi : le président tente de passer en force et joue son va-tout en essayant d’imposer un troisième mandat contre l’Eglise catholique, la société civile, une fraction de son propre parti et la plupart des partenaires extérieurs du Burundi. De son côté, l’opposition joue sa survie et les forces de sécurité s’interrogent sur leur rôle en cas de crise violente. La situation est donc beaucoup plus grave que les élections ratées de 2010 : ce qui est en jeu à travers ce nouveau cycle électoral est le maintien de l’accord d’Arusha comme fondation du régime burundais.

La communauté internationale a pris conscience des enjeux et des risques associés à ce cycle électoral et certains voisins suivent de très près l’évolution du processus, comme le prouvent les récentes visites du Haut-commissaire des Nations unies aux droits de l’Homme, du président tanzanien, des ministres belges et du Conseil de sécurité des Nations unies à Bujumbura ainsi que la rencontre entre les présidents burundais et rwandais et l’envoi d’une mission électorale des Nations unies (Menub) au début de 2015. Alors que des Burundais commencent à se réfugier au Rwanda, la rechute du Burundi dans la violence serait un cuisant revers pour les garants de l’accord d’Arusha et pourrait alimenter les dynamiques de crise régionales. La réaction des partenaires du Burundi – et notamment les garants de l’accord d’Arusha – n’est pas à la mesure de l’enjeu : il est urgent qu’ils mobilisent des ressources suffisantes et s’impliquent davantage pour enrayer la montée des tensions entre le camp présidentiel et l’opposition et éviter une épreuve de force dans la rue.

RECOMMANDATIONS

Pour améliorer le processus électoral

Au parti au pouvoir :

1.  Déclarer son soutien à un processus électoral inclusif lors de son prochain congrès et s’abstenir de toute rhétorique électorale belliqueuse.

A la Commission électorale nationale indépendante (CENI), aux partis politiques et à la société civile sous l’égide de la Menub :

2.  Négocier un accord sur la méthodologie et une durée réaliste pour la fiabilisation du fichier électoral.

3.  Garantir un accès sans restriction aux commissions électorales nationale, provinciales et communales par les mandataires et candidats des partis, ainsi que par les observateurs, durant toutes les étapes de la compilation des résultats.

Aux partenaires internationaux, et plus particulièrement à l’Union européenne et l’Union africaine :

4.  Nommer à la tête des missions d’observation électorale des personnalités politiques de poids qui sont connues par les interlocuteurs du Burundi et de la région.

5.  Créer une coordination rassemblant toutes les missions d’observation électorale, sous la direction conjointe de l’Union africaine (UA) et de l’Union européenne (UE), afin d’éviter la duplication des efforts et l’envoi de messages contradictoires, et afin d’assurer une couverture optimale des bureaux de vote.

6.  Augmenter le soutien à la société civile burundaise afin qu’elle puisse effectuer un suivi adéquat du processus électoral et des bureaux de vote, en accordant une attention particulière aux discours ethnicistes et haineux et aux risques d’escalade de la violence et de l’intimidation.

A la CENI :

7.  Publier la liste des candidats retenus pour chaque élection sur son site internet et dans le journal officiel.

8.  Publier sur son site internet et annoncer à la radio les résultats décomposés par bureau de vote après les scrutins, et conserver l’intégralité des informations chiffrées figurant sur les procès-verbaux de dépouillement issus des bureaux de vote.

En cas de candidature du président Nkurunziza

Aux partenaires internationaux, et plus particulièrement au Conseil de sécurité des Nations unies :

9.  Confier à l’envoyé spécial des Nations unies pour les Grands Lacs la mission de négocier une suspension des manifestations avec les partis d’opposition et le parti au pouvoir, leur rappeler leurs engagements relatifs à la conduite pacifique du processus électoral et favoriser le retour des Burundais refugiés au Rwanda.

10.  Former un groupe des amis de l’accord d’Arusha réunissant les garants de l’accord et les pays qui ont à cœur la stabilité du Burundi, ayant pour mission d’appeler tous les partis burundais à réaffirmer leur engagement à soutenir les principes d’Arusha.

11.  Indiquer aux responsables des services de sécurité burundais que des actes de répression contre la population conduiraient à une enquête de la Cour pénale internationale, une réduction ou une suspension des programmes de coopération policière et militaire des pays européens et des Etats-Unis, des interdictions de visas et l’interdiction pour les officiers en cause de servir dans des missions de maintien de la paix de l’UA et des Nations unies.

12.  Renforcer les capacités humaines et financières du bureau du Haut Commissariat aux droits de l’homme pour lui permettre d’apporter un soutien significatif aux structures burundaises chargées du suivi des violations des droits de l’homme avant, pendant et après les élections.

A l’opposition :

13.  Saisir la Cour de justice de l’East African Community (EAC) pour contester la validité de cette candidature au regard des principes constitutifs de l’EAC.

En cas d’exclusion de certains ténors de l’opposition de la course électorale

A l’opposition :

14.  Faire un recours auprès de la CENI et de la Cour constitutionnelle.

Au groupe des amis de l’accord d’Arusha :

15.  Se rendre sans délai à Bujumbura pour organiser une table ronde entre le pouvoir et l’opposition afin de dégager une solution consensuelle et inclusive.

A la Cour pénale internationale :

16.  Publier un communiqué prévenant que le procureur enquêtera sur les violences électorales qui pourraient survenir.

A la Belgique et aux Pays-Bas :

17.  Ne pas décaisser leur dernière contribution pour le financement du processus électoral.

A l’Union européenne :

18.  Passer du dialogue politique renforcé aux consultations prévues par l’article 96 de l’accord de Cotonou. Si ces dernières devaient s’avérer peu concluantes, considérer la suspension de son aide institutionnelle.

Nairobi/Bruxelles, 17 avril 2015

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