Burundi : le climat se tend dangereusement
Politique

Le Soir, 17 avril 2015

Les signaux sont au rouge au Burundi

Le carnet de Colette Braeckman

L’Inde a conseillé à ses ressortissants de quitter le Burundi. Plus de 8000 habitants des provinces voisines du Rwanda ont déjà plié bagages pour se réfugier de l’autre côté de la frontière. Le parti au pouvoir, CNDD-FDD est divisé et plusieurs de ses dirigeants, appelés « frondeurs » et désormais suivis de près par les services de sécurité, ont fait savoir qu’ils s’opposaient au projet consistant à faire concourir le président sortant, Pierre Nkurunziza pour un troisième mandat alors que les accords de paix d’Arusha, conclus en 2000 n’en prévoyaient que deux. Constatant que tous les signaux étaient au rouge, le représentant spécial des Nations unies pour les droits de l’homme, le diplomate jordanien Zeid Raad Al Hussein a tenu des propos extrêmement clairs avant de quitter Bujumbura mercredi dernier, assurant que la communauté internationale s’inquiétait du climat de violences et d’intimidation régnant dans le pays.

Tout indique que le Conseil de Sécurité dispose désormais d’informations confirmant les rumeurs qui traversent le Burundi depuis des semaines, selon lesquelles le parti au pouvoir serait prêt à prendre le risque d’une déstabilisation violente afin d’assurer la victoire électorale de son candidat, le président sortant et que le recrutement de jeunes miliciens, les Imbonerakure et la distribution d’armes dans toutes les provinces seraient organisées par l’ancien chef des services de renseignements, Adolphe Nshimiymana, l’un des hommes les plus redoutés du pays, devenu conseiller à la présidence.

Si le climat se tend dangereusement, tout n’est cependant pas encore joué : c’est au cours du dernier week end d’avril que le parti au pouvoir doit décider du maintien de la candidature de M. Nkurunziza et d’ici là, chacun fait ses comptes. En effet, l’Eglise catholique (qui rallie 80% des Burundais), la société civile et les défenseurs des droits de l’homme, les partenaires extérieurs qui multiplient avertissements et visites sur le terrain ne sont pas seuls à s’opposer à un troisième mandat : le parti au pouvoir est lui-même divisé sur l’opportunité de bafouer les accords de paix d’Arusha, qui représentent toujours le socle de la stabilité politique du pays et, selon certaines sources, l’armée et la police seraient traversés de courants contradictoires…

Alors que d’aucuns, décrivant le recrutement de jeunes miliciens, les distributions d’armes, le fichage des éléments suspects et la multiplication des actes d’intimidation se rappellent déjà les prémices du génocide rwandais de 1994, il apparaît cependant que le Burundi a évolué d’une autre manière : désormais, suivant le prescrit des accords de paix et l’obligation d’attribuer à chaque groupe ethnique des quotas fixes, Hutus et Tutsis se retrouvent dans tous les partis politiques et toutes les institutions et, même si la peur subsiste au sein de la minorité tutsie, le clivage ethnique est devenu moins important que le fossé politique.

Même si, dans les campagnes, le parti au pouvoir a pu jouir d’une certaine popularité grâce à l’adoption de mesures sociales, (la gratuité de l’accès aux centres de santé pour les femmes enceintes, l’ouverture de nombreuses écoles primaires et la construction de logements) il suscite de nombreuses critiques relayées par la presse et l’opposition qui lui reprochent d’avoir accaparé les institutions de l’Etat, d’avoir vertigineusement relevé le degré de corruption, de se comporter de facto comme un parti unique, en ayant gardé une mentalité et un comportement hérités des années de maquis.

C’est le 9 mai au plus tard que devraient être déposées les candidatures à l’élection présidentielle fixée au 26 mai. En ce moment déjà, les policiers sont déployés de manière très visible afin de dissuader le collectif «Halte à un troisième mandat » de réunir les foules et une manifestation qui était prévue pour cette semaine a été décommandée de facto.

L’inquiétude de la communauté internationale et des pays de la région n’est pas suscitée seulement par la perspective de nouvelles violences : si le président Nkurunziza se décide à concourir pour un troisième mandat, cette décision signifiera l’abolition des accords de paix qui, en 2000, mirent fin à la guerre civile et ce précédent pourra avoir des répercussions dans les pays voisins. En République démocratique du Congo, malgré les engagements officiels, la question du « troisième mandat » du président Kabila n’est pas définitivement résolue, au Rwanda le président Kagame est censé préparer sa succession, au Congo Brazzaville le président Sassou Nguesson, sans opposition réelle, se prépare à se succéder à lui-même…

En outre si le Burundi devait basculer dans la violence, l’afflux de dizaines de milliers de réfugiés au Rwanda représenterait pour Kigali un enjeu à la fois humanitaire et sécuritaire tandis que le Sud Kivu risquerait une fois de plus d’être déstabilisé par des « réfugiés sans frontières » qui pourraient s’allier aux derniers groupes armés que l’armée congolaise peine à démobiliser.