Rien ne va plus pour la filière café du Burundi
Economie

Jeune Afrique, 22/04/2015

Burundi : la filière café à la peine

Vieillissement du verger, aléas climatiques, libéralisation mal ficelée, manque d'investisseurs étrangers... Rien ne va plus pour la filière café, qui peine à franchir le cap de l'industrialisation.

Les Burundais se seraient bien contentés de cultiver leurs jardins. De récolter des haricots secs, dont ils sont les premiers consommateurs au monde, plutôt que du café qu'ils ne boivent pas. Pourtant, depuis les années 1950, la logique coloniale a fait du Burundi l'un des principaux producteurs d'arabica du continent. Au point que la petite cerise rouge fait office de baromètre socio-économique du pays.

La filière emploie directement 55 % de la population active (plus de 4 millions de personnes) et contribue chaque année à 60 % des recettes d'exportation nationales. Autant dire que depuis sa privatisation, encouragée par la Banque mondiale, en 2008, son évolution a été scrutée de très près. Pour un résultat jusque-là plutôt "décevant", de l'aveu même de Tabu Abdallah Manirakiza, le ministre des Finances et de la Planification.

Comme souvent, les petits paysans, qui, à l'origine, devaient être les premiers bénéficiaires de la réforme, "en paient aujourd'hui le prix", déplore Tocoma Sy, représentant de l'ONG belge Broederlijk Delen. "Nous travaillons à perte. Il faudrait que le prix du kilo soit deux fois plus élevé pour que nous puissions espérer gagner de l'argent", confirme un caféiculteur de la région de Ngozi (Nord), qui regrette que l'État ne fixe aucun prix minimum garanti.

Fluctuations

En outre, le cultivateur se trouve dépossédé de sa récolte dès la station de lavage, confiée au secteur privé. "Ce n'est donc plus lui qui décide quand remettre son café au négociant, en fonction des fluctuations des cours", explique un cadre de la Confédération nationale des associations de caféiculteurs (Cnac).

Parce que sa libéralisation a été mal préparée et mal menée, la filière caféicole burundaise risque de rater le virage - ô combien crucial - de la transformation industrielle. Lors de la mise en vente des premiers lots de stations de lavage, les investisseurs ne se sont pas bousculés au portillon.

Par ailleurs, les coûts se sont révélés bien trop élevés pour les producteurs locaux, qui se trouvent dans l'impossibilité de mobiliser le million de dollars nécessaire pour participer aux appels d'offres du gouvernement. Jusqu'à présent, seul le suisse Webcor a fait l'acquisition de treize stations... sur les cent dix-sept que compte le pays. Toujours faute d'investisseurs, le Burundi ne torréfie encore que 5 % de sa production à l'intérieur du pays.

À genoux

Conscient des failles du système, le gouvernement vient d'autoriser les coopératives de planteurs à participer aux prochaines ventes. Mais l'organisation reste à trouver, ainsi que les capitaux, dont ils manquent cruellement. Mis à genoux par de longues années de guerre civile, le secteur ne s'est toujours pas relevé.

Environ 24 000 tonnes de café vert (débarrassé de ses enveloppes) ont été produites au cours de la campagne 2012-2013 (contre 40 000 t au début des années 1990), seulement 11 500 t ont été récoltées en 2013-2014 et, pour la campagne en cours, la production ne devrait pas dépasser les 10 000 t. Le manque d'intrants, le vieillissement du verger et les aléas climatiques provoquent des fluctuations qui vont du simple au double d'une année sur l'autre.

Et il est impossible d'améliorer les rendements sur des parcelles aussi réduites, disséminées dans tout le pays... La priorité, pour la Banque mondiale comme pour les transformateurs, reste donc de stabiliser les volumes de production pour permettre à la filière de faire face aux variations des cours internationaux.

"Nous pourrons ainsi améliorer les revenus des paysans", estime-t-on au ministère de l'Agriculture. La qualité reconnue de son arabica doit également permettre au Burundi de mieux valoriser sa production sur les marchés. "Sinon, nous risquons de voir nos caféiculteurs abandonner, au profit d'autres cultures plus rentables", redoute Tocoma Sy, qui espère voir l'État se réimpliquer dans l'encadrement de la filière.