Burundi : des pratiques qui rappellent les années sombres des régimes militaires
Opinion

@rib News, 01/05/2015

SI TU REUSSIS JE SUIS AVEC TOI, MAIS SI TU ECHOUES JE NE TE CONNAIS PAS.

Par Gervais Marcel Cishahayo

A elle-seule la perte du pouvoir et d’éventuelles conséquences y compris des procédures judiciaires ou de rétribution ne suffit pas pour expliquer pourquoi le parti au pouvoir et son président-candidat sont fiers et confiants des manifestations de soutien qui sont autorisées et encadrées mais ont peur des manifestations contre le troisième mandat qui sont réprimées dans la violence.

Lorsque le pouvoir aura arrêté et emprisonné ou fait fuir une partie de la population, il pourra tranquillement forcer les gens à participer à des élections dont les préparatifs déjà entachés d’irrégularités continuent en dépit des troubles actuels. Dans la suite, on pourra seulement se demander quel genre d’élections peuvent être tenues dans les circonstances actuelles qui vont s’empirer avant de s’améliorer.

Après avoir verrouillé l’espace politique à son avantage avec une relative complicité de la communauté internationale qui a depuis un certain temps pris ses distances, si le pouvoir est fier et confiant des manifestations de soutien, pourquoi a-t-il peur des manifestations paisibles contre le troisième mandat ?

Pour compléter la liste des bavures et des crimes commis par des individus au nom du parti et du pouvoir mais dont personne ne voudra plaider coupable dans l’avenir, la réduction des médias indépendants au silence sonne comme un avertissement à quiconque ose avoir ou exprimer une opinion différente de celle du pouvoir, qu’ils veulent divin.

Pourtant, pour un parti qui se veut populaire face à une opposition dispersée et dépourvue de ressources humaines et matérielles suffisantes et une société civile encore naissante, les solutions alternatives pour arriver au même but ne manquaient pas, y compris celles de l’ouverture de l’espace politique et des élections libres et équitables avec un autre candidat pour le parti au pouvoir.

Il est clair que le président qui n’aurait pas su se débarrasser à temps de ses meilleurs amis se serait aussi trompé d’ennemi. Alors que même les burundais les mieux intentionnés sont malmenés et dépouillés de leurs vies et de leurs biens, et par conséquent aliénés contre le pouvoir, ses conseillers et collaborateurs les plus proches et les plus écoutés l’ont conduit directement droit au mur avec la répression, et les pertes de vies qui ne peuvent jamais être justifiées.

«Si tu réussis je suis avec toi, mais si tu échoues je ne te connais pas …».

Les burundais croient encore que la communauté internationale ne les abandonnera pas même si malgré des sorties médiatiques diplomatiques timides ou fermes le candidat président et son parti continuent à écraser toute voix discordante sans être inquiété. Dans les coulisses ils agissent comme si une main invisible lui aurait dit cyniquement : « Vas-Y, fonces, si tu réussis je suis avec toi, mais si tu échoues je ne te connais pas » ; si tu peux mâter les manifestants et rétablir l’ordre même forcé, on fermera les yeux et tu pourras continuer. On peut seulement espérer que le pays n’est pas un autre terrain de confrontation par proxy des grandes et moyennes puissances toujours en compétition pour des zones d’influence.

Sur le plan interne, les stratèges du pouvoir auraient mal calculé : les tentatives d’ethnisation des manifestations ne semblent pas produire les résultats escomptés. Elles relèvent de la pure diversion car la plupart des victimes de la répression risquent d’être en majorité des hutus dont le pouvoir prétend défendre les intérêts, une occasion en or qu’il a certainement ratée aussi bien par action que par omission.

En effet, les accusations d’assassinats, enlèvements, arrestations et emprisonnements arbitraires et intimidations de toutes sortes auxquels s’ajoute la fermeture des médias indépendants ne sont pas de nature à rassurer les esprits et suggèrent même une volonté de commettre des forfaits de toutes sortes à l’abri des témoins. Ces pratiques rappellent les années sombres des régimes militaires lorsque les crimes les plus odieux étaient commis, par le pouvoir loin du regard de tout témoin. Dans l’attente d’un messie qu’on croyait déjà arrivé, le pays continue de payer les conséquences d’une gestion catastrophique à laquelle les barundi refusent de s’habituer indéfiniment.

A propos de l’auteur

Gervais Marcel Cishahayo est un membre de la diaspora burundaise depuis les années 1970s et établi à Malte, UE. Professeur, consultant sur les questions relatives à l’éducation, la géophysique, les NTICs, la diplomatie et les relations internationales, il est l’auteur d’articles d’analyses et de contributions diverses dans les médias sur l’immigration, la sécurité et l’intégration régionale. Avocat de la bonne gouvernance démocratique bien connu des milieux politiques et académiques et n’ayant jamais adhéré officiellement à aucun parti politique depuis les années 1980s, il est l’auteur d’une thèse d’analyse de la dimension de la sécurité de la Communauté Economique des Pays des Grands Lacs (CEPGL) présentée à l’Académie Méditerranéenne d’Etudes Diplomatiques de l’Université de Malte.