Burundi : "Le mouvement citoyen qui est en marche est impossible ŕ arręter"
Opinion

Le Monde, 04.05.2015

Teddy Mazina: « Mettre un bulletin dans une urne, au Burundi, c’est de la foutaise »

 Il est l’une des figures de la lutte pour la démocratie et les droits humains au Burundi. Né à Bujumbura en 1972, Teddy Mazina milite déjà pour la paix et la liberté d’expression durant ses études de droit, à l’université du Burundi. En 1995, alors que sévit la guerre civile, cet activisme le conduit à un exil politique en Belgique qui durera près de dix ans.

En 2007, cet expert des réseaux sociaux est rentré dans son pays pour y exercer le métier de photographe. Spécialisé dans l’actualité sociopolitique nationale, il se considère davantage comme un activiste que comme un artiste. Alors qu’un livre, « Des Tambours sur l’oreille d’un sourd » (éditions Africalia), consacré à son travail en noir et blanc vient de paraître, Mazina participe activement au mouvement de protestation contre la candidature de l’actuel président, Pierre Nkurunziza, à un troisième mandat.

Quel regard portez-vous sur le mouvement de protestation contre le président Nkurunziza ?

Pour la première fois dans l’histoire du Burundi, le prolétaire et le bourgeois ont la même inquiétude. Ils partagent les mêmes préoccupations concernant la paix et la lutte contre la corruption. Il y a quelques jours, lorsque les protestations ont commencé, le premier manifestant à être tué par des balles de la police a été un jeune homme de 15 ans. C’était un gamin, avec un foulard de scout autour du cou. Nous avons sa photo et l’avons posté sur les réseaux sociaux. Son nom, Komezamahoro, signifie en kirundi « force de paix ». Depuis, nous appelons ce mouvement Komezamahoro. C’est la version burundaise des soulèvements citoyens qui ont éclos sur le continent : le printemps arabe, Y en a marre au Sénégal ou Balai citoyen au Burkina Faso.

Comment ce mouvement s’organise-t-il ?

Nous avons de grands défenseurs des droits humains et mais une presse et des radios libres très actives. Elles ont joué et continuent de jouer un rôle important dans l’éducation civique de la population. C’est pourquoi la société est très attachée à sa liberté d’expression et à ses droits. Les radios libres étant des vecteurs d’organisation tout comme les réseaux sociaux, le pouvoir cherche à les bloquer. Mais cela ne changera rien. Le mouvement citoyen qui est en marche est impossible à arrêter.

Pensez-vous que le président Nkurunziza finira par céder à la pression populaire réclamant et ne pas se présenter à la présidentielle de juin prochain ?

Je le pense. En tout cas, je ne vois pas d’autres issues possibles.

Vous dites avoir commencé à photographier la vie sociale et politique burundaise pour « lutter contre l’amnésie du pays »

Effectivement, en rentrant au Burundi en 2007, j’ai commencé à prendre un appareil photo car mon père me disait souvent : « Si le Burundi est amnésique, nous tomberons toujours dans les mêmes erreurs, les mêmes drames et les mêmes massacres. » Photographier est pour moi un acte politique. Je tente de construire une mémoire visuelle de notre histoire pour que nous n’oubliions plus ce que nous avons vécu.

Vous photographiez, mais vous refusez de voter. Pourquoi ?

Je refuse de déposer un bulletin de vote dans une urne. Mais en réalité, je vote tous les jours. À chaque clic de mon appareil photo, je vote. À chaque fois qu’on arrête ou qu’on libère quelqu’un, je vote. C’est de la contestation positive. J’aimerais bien que des gens plantent des arbres ou ramassent les sacs plastiques qui traînent dans les rues pour exprimer leur colère ou leur vote démocratique. Mettre un bulletin dans une urne au Burundi, c’est de la foutaise. Depuis le sommet de la Baule, en 1990, qu’avons-nous vu en Afrique ? Des fils de dictateurs ou leurs clones qui s’accaparent nos pays et veulent trafiquer les Constitutions.

Qu’attendez-vous de la parution de votre livre « Des Tambours sur l’oreille d’un sourd » ?

Je tenais à ce que mon livre paraisse avant l’élection présidentielle pour pouvoir en donner un exemplaire à chaque candidat. En regardant mes images, j’espère qu’ils prendront le temps de réfléchir aux événements que j’ai immortalisé. Je voudrais aussi donner de l’espoir en montrant que des gens documentent ce qu’il se passe dans ce pays. Tous les jours, sans exception, je photographie… quoi qu’il arrive, même si je suis menacé. J’essaye de combler les trous béants de notre entrée dans la modernité pour que nous puissions, un jour, exister en tant que peuple, nation et démocratie.

Propos recueillis par Ayoko Mensah, contributrice Le Monde Afrique à Bruxelles

« Des Tambours sur l’oreille d’un sourd », éditions Africalia, 155 p., Teddy Mazina