Filip Reyntjens : la décision de la Cour constitutionnelle « ne tient pas debout
Analyses

Le Monde, 07.05.2015

« Burundi : le risque de contagion régionale existe »

 Professeur de droit à l’université d’Anvers et spécialiste de l’Afrique des Grands Lacs, Filip Reyntjens estime que la décision de la Cour constitutionnelle de valider la candidature du président burundais Pierre Nkurunziza à un troisième mandat « ne tient pas debout ».

Cette candidature dénoncée par l’opposition est à l’origine de manifestations qui secouent la capitale Bujumbura depuis une dizaine de jours. M. Reyntjens met en garde contre les risques de régionalisation du conflit.

La Cour constitutionnelle a choisi de valider la candidature de Pierre Nkurunziza à un troisième mandat présidentiel. Que vaut cette décision ?

Cet arrêt de la Cour constitutionnelle ne tient pas la route. Sur le fond, la décision rendue par les six juges – le vice-président Sylvère Nimpagaritse a choisi de démissionner et de fuir au Rwanda – repose sur une contradiction et sur une interprétation très contestable de la Constitution de 2005. Après s’être référés à l’accord d’Arusha, datant de 2000, comme « source d’inspiration incontestable », ils choisissent de s’en affranchir totalement. Or tant ce texte que la Constitution stipulent très clairement que le président ne peut prétendre exercer plus de deux mandats. L’interprétation qui est ensuite faite des articles 96 et 302 de la Constitution de 2005 autour desquels se cristallise le débat pour juger de la constitutionnalité de la candidature de M. Nkurunziza est intenable. Mais ces divergences sur le fonds peuvent apparaître secondaires avec ce que nous savons des conditions dans lesquelles a été rendu cet avis. La décision a été prise sous contrainte voire sous menaces de mort. Quatre juges sur sept estimaient qu’un troisième mandat était contraire à la Constitution au début des discussions. Leur revirement ne peut s’expliquer que par les pressions qu’ils ont subies et qui ont conduit au départ de M. Nimpagaritse.

Jusqu’où la crise peut-elle aller ?

Nous ne savons pas encore si la contestation va s’étendre. La mobilisation est importante mais elle n’est pas encore fatale pour le pouvoir. L’attitude de la police sera déterminante. Si les affrontements dégénèrent et provoquent des centaines de morts, la situation pourrait devenir rapidement insurrectionnelle et justifier une intervention de l’armée. C’est un scénario qu’il ne faut pas exclure. Ce qui est sûr c’est que le CNDD-FDD, parti au pouvoir, a choisi une voie qui laisse peu de place à un retour en arrière. Le meilleur scénario aurait été qu’il choisisse un autre candidat que Pierre Nkurunziza. Il aurait conservé une large probabilité de remporter la présidentielle de juin prochain sans provoquer la crise actuelle. Au lieu de cela, le pays est à nouveau face à un risque d’embrasement et le parti s’est scindé en deux, entre les pro et les anti-Nkurunziza.

Dans les différents scénarios que vous explorez, vous évoquez un risque de mobilisation en villes et dans les campagnes de la jeunesse du parti contre l’opposition. Y a-t-il un risque de confrontation ethnique ?

Jusqu’à présent, rien ne permet de valider ce scénario. Et il faut faire attention à ne pas agiter le spectre d’un conflit ethnique. Le conflit actuel est politique. Des Hutus et des Tutsis sont présents dans les deux camps. Les mesures prises dans le cadre de l’accord d’Arusha pour garantir le droit des minorités ont pour l’instant permis de gérer correctement le contentieux ethnique. Ce qui se joue à Bujumbura est une lutte pour conserver le pouvoir et les privilèges qui vont avec. Derrière Pierre Nkurunziza, il y a une cour qui a beaucoup à perdre s’il ne se maintient pas au pouvoir. Certains, parce qu’ils sont compromis dans des scandales de corruption, s’exposeraient à de lourdes peines de prison. Plusieurs généraux sont dans ce cas. Ce sont eux qui pratiquent la politique du pire, avec des risques de dérapages énormes. Mais il s’agit de sauver leur peau.

Le Rwanda voisin s’inquiète néanmoins d’un risque de débordement du conflit ?

Le ministre des affaires étrangères du Rwanda a en effet exprimé officiellement sa préoccupation sur la situation au Burundi en évoquant la nécessité d’une médiation régionale ou internationale. C’est une façon de préparer les esprits à une possible intervention de ses propres troupes au Burundi si les Tutsis devaient être la cible de violences, possibilité que le président Kagamé a déjà évoqué. L’attitude des groupes rebelles du FDLR (Forces démocratiques de libération du Rwanda) [hostiles à Paul Kagamé] et restées en République démocratique du Congo (RDC) constitue aussi une source d’inquiétude pour Kigali. Et par là même, une source possible d’extension du conflit.

Comment prévenir cet engrenage ?

Une médiation régionale devrait être rapidement mise sur pied pour faire retomber la tension. Et il faut envisager des sanctions contre tous ceux qui jouent contre la paix.

Propos recueillis par Laurence Caramel