Analyse d'un coup d'Etat attendu à Bujumbura
Politique

La Libre Belgique, 13 mai 2015

Le coup d'Etat en cours mercredi à Bujumbura était attendu. Depuis des semaines, la capitale burundaise bruissait de rumeurs, en raison de la fuite en avant du président Pierre Nkurunziza, qui refuse, en se présentant à un troisième mandat, de respecter l'Accord de Paix d'Arusha qui a mis fin à la guerre civile (1993-2005), accord dont l'armée se considère comme la gardienne. Pour beaucoup d'habitants de Bujumbura, plus prompts à se révolter que les paysans des collines, cette interruption du processus institutionnel était même la seule issue contre "la violence qui arrive et qui fait peur".

Trois sources différentes nous signalaient, fin avril, que des "frondeurs" (opposés au troisième mandat) du CNDD-FDD, le parti au pouvoir, cherchant un asile pour leur famille en vue de troubles prévisibles, se rendaient dans les chancelleries "demander que les capitales amies soient compréhensives si un coup d'Etat survenait".

Des généraux avaient d'ailleurs déjà écrit en décembre dernier au chef de l'Etat pour lui demander de renoncer à ce troisième mandat déstabilisateur. Une partie d'entre eux avaient été menacés, d'autres "achetés". On ignorait donc, en définitive, de quel côté irait l'armée.

Le révélation, par deux dirigeants du Service national de Renseignement (SNR) - qui se sont confiés à l'avocat belge Bernard Maingain (voir La Libre Belgique du 7 mai) -, des projets de la Présidence, qui n'hésite pas à fomenter des violences et faire vibrer la corde ethnique pour rester au pouvoir, a probablement fait pencher la balance en faveur du coup d'Etat.

Même le nom de son auteur, le général Godefroid Niyombaré, était déjà sur beaucoup de lèvres, en raison de sa grande popularité dans les deux ailes de la nouvelle armée burundaise: celle issue, comme l'officier, du maquis de la guérilla hutue CNDD-FDD, et l'ancienne armée tutsie des dictatures militaires qui se sont succédé au Burundi.

Pas de favoritisme

Agé d'une quarantaine d'années, cet originaire de Bujumbura a fait ses études secondaires au prestigieux Collège St-Esprit. Orphelin de père depuis l'âge de trois ans, Godefroid Niyombaré s'était inscrit à l'université mais avait renoncé, en 1993 (année du putsch militaire tutsi contre le premier Président hutu élu, Melchior Ndadayé), à suivre des études afin de venir en aide matériellement à sa mère, institutrice restée veuve. Mais, deux ans plus tard, le jeune homme gagne le maquis CNDD-FDD.

Il s'y attirera tant d'estime pour ses qualités militaires qu'il fera partie du groupe CNDD-FDD "précurseur" qui, en 2004, préparera, avec les officiers tutsis, la jonction des deux armées, conformément à l'Accord de paix d'Arusha (2000).

D'abord chef du Bureau d'études du nouvel état-major, Niyombaré devient bientôt chef d'état-major général adjoint et, après quelques mois, au nom de l'alternance Hutu/Tutsi, le premier chef d'état-major général hutu du pays, en 2006. Il se fera connaître, indique un de ses proches à La Libre Belgique, "par son opposition à l'ethnisme, au régionalisme et au favoritisme. C'est à la suite d'un conflit avec le ministre de la Défense au sujet d'une nomination régionaliste qu'il quittera ce poste" en 2012.

Sécurité

Il devient alors le principal conseiller à la Sécurité du président Nkurunziza, "un poste où il dérange", explique ce proche, "par son habitude de signaler, deux fois par semaine, ce qui ne va pas dans le pays". On l'éloigne en le nommant ambassadeur à Nairobi (mai 2014). Mais, dès novembre dernier, il est rappelé pour diriger le Service national de Renseignement, le Président ayant été contraint de se séparer de son bras droit, qui occupait ce poste, le sulfureux général Adolphe Nshimirimana, dont le nom est mêlé à toutes les affaires sales du régime.

Il n'y fera pas de vieux os. Le 13 février, le général Niyombaré présente une note d'analyse (qui a ensuite circulé sous le manteau à Bujumbura) de la situation au Burundi, qui conclut: "En tenant compte de tout cela, le SNR conseille que le président Nkurunziza et le CNDD-FDD choisissent un nouveau candidat de poigne, capable de conduire le pays, la population et le CNDD-FDD vers un avenir radieux", ce qui permettrait au chef de l'Etat de sortir "la tête haute".

Le 18 février, le général Niyombaré était limogé.

Depuis lors, nous indique notre source, plusieurs personnes sont venues le trouver secrètement pour lui faire savoir qu'elles avaient été chargées de l'assassiner.

MARIE-FRANCE CROS