Burundi: à Musaga, la vie s'organise autour de la contestation anti-président
Société

@rib News, 24/05/2015 – Source AFP

"Ici, ça fait bien longtemps qu'on n'a pas vu l'administrateur" (maire) du quartier, rigole Olivier, jeune manifestant opposé à un troisième mandat du président burundais Pierre Nkurunziza. "Avant, il passait chaque matin avec des policiers à l’arrière de sa camionnette. Maintenant il rase les murs!"

A Musaga, quartier du sud de Bujumbura, un des épicentres du mouvement anti-Nkurunziza, la vie s'organise autour des manifestations et de leurs meneurs locaux.

Alors que la contestation populaire a pris racine dans les quartiers, l'administration officielle n'y a plus droit de cité, et une administration parallèle s'est installée, aux mains d'un groupe informel composé de cadres de partis d'opposition, de la société civile, et de simples militants qui ont fait leurs preuves sur les barricades.

"Ce sont ces chefs qui se réunissent et organisent les rondes de nuit, qui gèrent l'alimentation des manifestants, qui règlent les questions de discipline", explique "JC", 45 ans, très au fait de tous les secrets de Musaga.

Ils dirigent leurs troupes d'une "invisible" main de fer et "imposent des règles strictes", confie-t-il.

Des rondes ont lieu toute la nuit pour veiller à la sécurité. "C'est pour veiller à ce que nos ennemis ne nous surprennent en plein sommeil et nous tuent", selon Thierry, fonctionnaire.

Les "ennemis", ce sont les policiers, principaux instruments de la répression, et surtout les Imbonerakure, membres de la ligue des jeunes du parti au pouvoir que l'ONU qualifie désormais de milice.

Quadragénaires accomplis ou jeunes dans la force de l'âge, tout le monde doit participer à ces rondes, sous peine de "s'exposer à des sanctions". Quelques femmes "volontaires" y prennent part.

- 'Chacun doit obéir' -

La peur est diffuse mais très vive, surtout de nuit. On dit craindre les disparitions ou les arrestations. "Nous savons qu'ils peuvent venir nous tuer la nuit", lance une jeune fille.

Le matin, le quotidien reprend. Les uns vont en centre-ville "gagner leur vie", d'autres se rassemblent et attendent les consignes du jour.

"Les chefs nous donnent les objectifs, où on va ériger les barricades, par où on va passer, (...) puis on se met en marche", raconte un protestataire.

Après des heures de face-à-face avec les policiers, souvent ponctuées de violences - tirs à balles réelles contre jets de pierre -, les manifestants disparaissent comme par enchantement. "Ils vont manger, des gens leur ont préparé le repas", explique un policier tout sourire d'être "tranquille pendant deux heures au moins".

Une partie des manifestants rentrent chez eux, d'autres se retrouvent dans une cantine improvisée, avec riz et haricots au menu. "Moi, je participe en aidant à préparer la nourriture pour les manifestants, et j'en suis très fier", proclame Claude, la vingtaine.

"La nourriture est collectée dans le quartier, à travers la ville. Tous ceux qui sont contre le troisième mandat contribuent à leur façon", se félicite JC.

C'est le cas de ce chef d'entreprise d'une cinquantaine d'années, habitant des beaux quartiers. "Nkurunziza est en train de ruiner ce pays, s'il fait cinq ans supplémentaires, ça sera une catastrophe. Je ne peux plus aller sur les barricades, mais je peux contribuer avec de l'argent", explique-t-il fièrement. Depuis deux semaines, il mobilise dans son quartier et y réussit "pas mal".

Charles, lui, est partout sur les barricades. Sifflet à la bouche, ce leader donne le la et harangue les foules. "La discipline est importante pour la réussite de notre mouvement, chacun doit obéir", tranche ce trentenaire, suivi au doigt et à l’œil.

Pour lui, l'emprise des anti-troisième mandat sur Musaga n'a "rien à voir" avec la balkanisation des années de 93-98, quand les milices ethniques faisaient régner leur loi dans les quartiers.

"Aujourd'hui, notre mouvement n'a aucune connotation ethnique, il y a ici à Musaga des Hutu et des Tutsi", dit-il en montrant les gens qui l'entourent.

Le pouvoir a dénoncé à plusieurs reprises une contestation animée uniquement par des membres de l'ethnie minoritaire tutsi. Ils disent ça "parce qu'ils n'ont pas d'arguments, et pour tenter de récupérer des voix dans la communauté hutu. Mais personne n'est dupe. Tous ensemble, Hutu et Tutsi, nous allons chasser Nkurunziza".