Des manifestations à risque au Burundi
Analyses

Le Devoir, 27 mai 2015

 La capitale burundaise, Bujumbura, est secouée depuis le 26 avril par des manifestations qui ont fait une trentaine de morts jusqu’ici. Au coeur de la contestation : la volonté du président, Pierre Nkurunziza, de poser sa candidature pour un troisième mandat.

Qui sont les acteurs de ces affrontements ? Quels sont les risques que ceux-ci dégénèrent en conflit ethnique et régional ? Explications de Katrin Wittig, doctorante en science politique et spécialiste du Burundi au CERIUM.

Qui sont les groupes d’opposition ? Et de son côté, malgré la contestation, de quel soutien le président jouit-il depuis son arrivée au pouvoir en 2005 ?

Le camp de la contestation contre la candidature du président Nkurunziza à un troisième mandat est un rassemblement hétérogène de différentes forces politiques. Il regroupe des membres de la société civile, des partis d’opposition et même des membres du parti au pouvoir.

Malgré le lancement il y a plusieurs mois de la campagne « Halte au troisième mandat » initiée par la société civile, les modalités des manifestations actuelles n’avaient pas été planifiées en détail par ses leaders. De plus, les mandats d’arrêt lancés dès les premières heures des manifestations, les menaces de mort ainsi que l’assassinat du chef d’un parti d’opposition le 23 mai ont conduit la majorité des leaders de la société civile et de l’opposition à se cacher, ce qui rend plus difficile à présent l’organisation de la contestation.

On estime que, de son côté, le président jouit d’une grande popularité en particulier parmi la population rurale. « Pita », comme on le surnomme, affiche l’image d’un président proche du peuple, se rendant souvent dans les campagnes et mangeant avec les paysans. Cette image contraste avec celle de ses prédécesseurs. Une partie de la population continue aussi de porter au crédit du président et de son parti la fin en 2008 de la guerre civile, qui a ravagé le pays durant plus d’une dizaine d’années.

Par contre, le soutien populaire réel du président est difficile à quantifier. Il y a notamment eu de multiples accusations d’intimidation portées contre certains membres de la ligue des jeunes affiliés à son parti.

La guerre civile a longtemps opposé Hutus et Tutsis au Burundi. Y a-t-il un risque que le présent affrontement prenne un tournant ethnique ?

Il faut d’abord souligner que la contestation actuelle transcende les clivages ethniques puisque l’on retrouve à la fois des Hutus, des Tutsis et des Twas parmi les manifestants. Mais la résurgence des tensions ethniques est un risque. La carte ethnique est souvent utilisée par les différents acteurs.

Le parti au pouvoir continue de suggérer que les manifestations ne se produisent que dans les quartiers traditionnellement tutsis, alors qu’en réalité, ces quartiers sont aujourd’hui beaucoup plus diversifiés qu’ils ne l’étaient lors de la guerre civile. Les membres de l’opposition affirment de leur côté que le parti au pouvoir se prépare à perpétrer un génocide ethnique.

Les mobilisations actuelles sont essentiellement portées par la nouvelle génération qui estime ne pas bénéficier des retombées de la paix promises par le parti au pouvoir. Leur slogan, « Sindumuja » (« Je ne suis pas un esclave »), cristallise la déception à l’encontre d’un régime qui s’était pourtant engagé à éliminer l’injustice et l’inégalité de la société burundaise, dévastée par quatre décennies de régimes autoritaires suivies par une longue et sanglante guerre civile.

Les troubles pourraient-ils être alimentés ou se répandre dans les pays voisins ?

Considérant que l’histoire de chacun des pays de la région des Grands Lacs est étroitement liée l’une à l’autre, le risque que la crise se régionalise est réel. Le régime actuel a été accusé d’entretenir des liens avec les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), ce qui constitue une source de tensions avec le voisin rwandais. L’exode d’au moins 110 000 réfugiés burundais en République démocratique du Congo, au Rwanda et en Tanzanie pose également un risque pour la stabilité de la région.

Jean-Frédéric Légaré-Tremblay