Burundi : silence dans les campagnes, "bombe à retardement" de la crise
Politique

@rib News, 01/06/2015 – Source AFP

La fronde populaire à Bujumbura contre le président Pierre Nkurunziza ne doit pas masquer l'attentisme qui prévaut dans les collines de l'intérieur du Burundi, où se joue aussi l'avenir politique du pays et où pourrait facilement renaître les vieux démons de l'ethnisme, selon les experts.

Alors que la capitale vit depuis plus d'un mois au rythme des manifestations contre un éventuel troisième mandat du président et que le camp présidentiel ne parvient pas à étouffer la contestation, les campagnes restent en apparence plutôt silencieuses et se sont peu mobilisées jusqu'à présent.

Des manifestations ont été signalées dans la banlieue rurale de la capitale, ainsi que dans le sud, dans la province de Bururi notamment. Comme à Bujumbura, la répression policière y a été dure - avec au moins trois manifestants tués - pour tenter d'étouffer dans l'oeuf une contestation qui, si elle prenait en province, serait désastreuse pour le pouvoir.

En l'absence de tout média indépendant, très peu d'informations circulent sur ce qui se passe dans les collines. Et à l'inverse, les populations rurales sont mal informées des évènements dans la capitale, la seule RTNB publique ne relayant que le message présidentiel dans les campagnes, dans un pays où la radio est le média incontournable.

Le fait marquant, par contraste avec la très forte protestation en zone urbaine, "c'est effectivement l'attentisme de la paysannerie hutu", observe Christian Thibon, universitaire et spécialiste de la région. "Il y a la peur de la reprise de la guerre. Face à l'inconnu, Nkurunziza semble apparaitre comme un moindre mal", avance-t-il.

Ce contraste recoupe une opposition relativement classique dans la géopolitique burundaise entre l'Imbo, la plaine littorale du lac Tanganyka, et l'intérieur montagneux du pays.

Il traduit également l'indéniable popularité dont bénéficie toujours dans les campagnes Nkurunziza et le parti-présidentiel, CNDD-FDD, directement né de l'ancienne rébellion hutu du même nom.

Car pour la paysannerie des collines, le CNDD-FDD reste l'organisation qui les a protégés des violences de l'armée tutsi pendant la guerre civile (1993-2006), et le président Nkurunziza celui qui a permis le retour à la paix et à la sécurité.

- Un quasi parti/Etat -

Dans la géographie électorale post-guerre civile, le CNDD-FDD tire l'essentiel de sa légitimité populaire de ce Burundi profond et paysan, très majoritairement hutu.

Traditionnellement, sa popularité y est moindre dans le sud, ainsi qu'à Bujumbura rural, fief des FNL, l'autre grande guérilla hutu pendant la guerre, dont le leader Agathon Rwasa est aujourd'hui le principal opposant du pays.

En revanche, autre héritage des années de guerre, "le CNDD-FDD règne toujours en maître dans ses bastions du nord", notamment Bubanza, Cibitoke, et Ngozi, estime un analyste local, sous couvert d'anonymat.

Le CNDD a durement combattu pendant le conflit dans ces provinces, y mettant en place une administration parallèle et un maillage serré de la population, sur lequel il s'appuie encore aujourd'hui.

"Le parti y contrôle encore toute l'administration, la police, avec le soutien des Imbonerakure (sa ligue de jeunesse), jusque sur la moindre colline", souligne le même analyste, qui évoque une véritable "chape de plomb".

Et pourtant, après dix ans de pouvoir, "la popularité du CNDD-FDD dans les provinces est indéniablement écornée", observe cette source, citant un sondage d'opinion réalisé fin 2014 avec l'appui du réseau Afro Baromètre, faisant état d'une érosion d'environ 10% en deux ans des intentions de vote en faveur du parti au pouvoir.

"De façon surprenante, même dans les campagnes entièrement acquises au CNDD-FDD, des jeunes, sans pour autant remettre en cause leur fidélité au parti, évoquent ouvertement le départ du président Nkurunziza", s'étonne-t-il.

Fait nouveau, le CNDD-FDD a trouvé un adversaire à sa mesure dans les campagnes: l'Eglise catholique, qui a clairement pris position contre le troisième mandat. "C'est un fait majeur, l'Eglise a enfoncé le clou", souligne M. Thibon. "Et face à un CNDD-FDD structuré en parti-Etat, elle est la seule à pouvoir répliquer jusque sur la moindre colline".

Les campagnes "sont plus divisées qu'il n'y parait", juge Thierry Vircoulon, d'International Crise Group, qui prévient: "l'intérieur du pays, c'est la bombe à retardement".

"Car si le feu prend en province, il peut y avoir très vite deux camps qui s'entretuent. Nous sommes aujourd'hui dans un conflit clairement politique. Mais dans le monde rural, à la moindre provocation, la confrontation peut prendre rapidement une tournure ethnique", explique M. Vircoulon.

"De fait, plus le conflit politique actuel va durer, plus le risque de régression ethnique sous-jacent est grand", abonde M. Thibon, qui observe déjà les signes d'une "radicalisation" du pouvoir. Ceci alors que l'ethnisme affleure toujours dans les discours du CNDD-FDD.