Pas de réinhumation, ni rapatriement pour Mwambutsa, la Suisse entretient le suspens
Société

Jeune Afrique, 15 juin 2015

Entre la Suisse et le Burundi, que faire de la dépouille de l’ex-roi Mwambutsa IV?

 Le sort de la dépouille de l’ex-roi du Burundi est toujours incertain, suspendu à une décision de la justice suisse. Une partie de la famille espère la voir rapatrier au Burundi, l’autre souhaite que Mwambutsa IV (photo) repose en Suisse.

Depuis 2012, la maison royale plaide auprès des autorités suisses pour le retour au pays de la dépouille de Mwambutsa IV. Un rapatriement que le souverain excluait dans son testament. C’est une nouvelle veillée funèbre se joue entre Genève et Bujumbura depuis bientôt trois ans.

Déjà en butte à des tracasseries juridiques afin de pouvoir postuler à un troisième mandat présidentiel, Pierre Nkurunziza se retrouve également au coeur d’une procédure administrative dont il se serait bien passé : celle relative au rapatriement de la dépouille du roi Mwambutsa IV Bangiricenge, enterré près de Genève, à Meyrin, où il est décédé en 1977.

Une simple formalité, pensait le chef de l’État lorsqu’il a sollicité auprès des autorités suisses, en avril 2012, le retour au Burundi du corps de l’avant-dernier monarque de la dynastie Ganwa qui a régné sur le pays pendant plus de trois siècles. Pierre Nkurunziza avait pourtant l’accord de SAR la princesse Rosa Paula Iribagiza, 81 ans, fille aînée et dernier enfant encore en vie du défunt mwani.

À quelques mois du cinquantième anniversaire de l’indépendance (célébré le 1er juillet), le président voyait là une bonne occasion de sceller la réconciliation du pays avec lui-même, en offrant à Mwambutsa IV des funérailles nationales.

Éparpillés

Beau symbole d’unité que le retour à sa terre de ce roi monté sur le trône à l’âge de 3 ans, en décembre 1915. Il le quittera en juillet 1966, chahuté par l’armée et destitué par son deuxième fils, Charles (Ntare V), alors âgé de 19 ans – lui-même déposé, quelques mois plus tard, lors du coup d’État qui aboutit à l’instauration de la République. Mwambutsa IV prit le chemin de l’exil en 1967 et s’installa près de Genève, où il vécut jusqu’à sa mort.

Loin des siens et d’un pays sur lequel il régna cinquante et un ans. D’abord sous les régimes coloniaux allemand, puis belge (à partir de 1919) et, après qu’il eut créé un Parlement et organisé les premières élections multiethniques, en tant que premier chef d’État du Burundi indépendant. Le pays lui a pris ses deux fils. L’aîné, né de son union avec Thérèse Kanyonga (dont il divorça en 1946), le prince héritier Louis Rwagasore, fut assassiné sur ordre des Belges en 1961 en raison de son combat pour l’indépendance.

Quant au cadet (qu’il eut avec sa seconde épouse, Baramparaye), Charles Ndizeye, éphémère roi Ntare V de juillet à novembre 1966, il fut tué lors des massacres d’avril 1972. Un destin aussi tragique pour la dynastie Ganwa que méconnu des Burundais d’aujourd’hui, dont les deux tiers n’étaient pas nés à l’époque. Éparpillés en Europe, les membres de la famille royale durent attendre 2003 pour se voir réhabilités par le président Pierre Buyoya qui, en toute fin de mandat, les réinscrivit sur la liste civile de l’État, au nom de « l’union sacrée » du pays.

Après trente ans d’exil, Rosa Paula est rentrée à Bujumbura en 2004 et, l’année suivante, a été élue députée sous l’étiquette du Conseil national pour la défense de la démocratie-Forces de défense de la démocratie (CNDD-FDD), le parti présidentiel. Mandat qu’elle a honoré jusqu’en 2010, date où elle est devenue héritière de la maison royale, à la suite du décès de la reine mère, Baramparaye, à Gitega, l’ancienne capitale royale.

Respect

Parti depuis longtemps déjà, Mwambutsa IV n’a pu apprécier, depuis les rives du Léman, l’hommage rendu par la République burundaise, « avec les honneurs » (mais dans un désintérêt général), à sa deuxième épouse, qui vivait à Gitega depuis 1966. Le monarque a emporté avec lui « l’image d’un pays qui l’a chassé, qui a assassiné ses enfants et dispersé sa famille », confirme la princesse Louise Muhirwa, sa petite-fille, rencontrée à Bujumbura.

Au point de ne jamais vouloir y rentrer, même pour s’y faire enterrer, ce qu’il a « expressément » exclu dans son testament. C’est justement ce document que brandit la princesse Esther Kamatari, nièce du roi, pour demander à la justice suisse de faire respecter les dernières volontés de son oncle, « plutôt que de spéculer sur les enjeux d’une quelconque réconciliation nationale », comme elle l’a rappelé dans un droit de réponse envoyé à la presse helvétique.

Après avoir vu disparaître son père, le prince Ignace (décédé en 1964 dans des circonstances jamais élucidées), et son frère Godefroid (mort à Kigali, au Rwanda, en 2005), la princesse Esther n’est pas prête à abandonner le corps de son oncle à un régime auquel elle s’est opposée lors des scrutins de 2005. Et qu’elle semble mépriser autant que la branche de la famille rentrée à Bujumbura l’encense.

Chambre froide

Les deux camps familiaux s’opposent donc au civil et au pénal devant la justice suisse, qui a autorisé l’exhumation de Mwambutsa IV dès le mois de mai 2012, avant de geler le rapatriement dans la foulée… Et, depuis près de trois ans, les restes de l’ancien souverain attendent donc dans une chambre froide des pompes funèbres genevoises. Dernier épisode en date : la justice suisse s’est opposé à la réinhumation le 11 juin. Sans pour autant ordonner le rapatriement.

« Il ne s’agit pas juste de mon grand-père. Le roi fait partie de l’Histoire et de son peuple. Le symbole dépasse largement la famille », a déclaré à la barre la princesse Anne-Marie Ndenzako, autre petite-fille du monarque, favorable au rapatriement du corps. « Le Burundi n’a pas besoin de la dépouille de son roi pour faire la paix. Personne n’en est le propriétaire ! » rétorque la princesse Esther, que l’avocat des autorités burundaises qualifie d' »ambitieuse » et d' »intrigante ». La demi-soeur de la princesse Rosa Paula, Colette Uwimana, qui s’occupait de la concession au cimetière de Meyrin et a donc autorisé l’exhumation en 2012, a été relaxée mi-janvier par le tribunal pénal de première instance, où elle comparaissait pour « atteinte à la paix des morts » sur plainte de la princesse Esther et de nombreuses ONG burundaises.

Fin février, la justice suisse a rejeté la demande de l’État burundais, qui peut encore saisir le tribunal fédéral. Plus que quelques semaines, donc, avant de connaître la destination finale de la dépouille du bon roi Mwambutsa, qui ne sera certainement pas mécontent de pouvoir à nouveau se retourner dans sa tombe. Que ce soit à Meyrin, à Bujumbura ou à Gitega.

Par Olivier Caslin