Burundi : Une série de facteurs aggravants font que la situation s’envenime
Analyses

RFI, 21 juin 2015

Burundi : «la situation économique et sociale» à l'origine de la crise

 La crise au Burundi a été déclenchée par le projet du président Pierre Nkurunziza de se représenter à un troisième mandat alors que la Constitution le lui interdit. Mais cet aspect politique suffit-il à expliquer l'ampleur et la durée de la contestation ? D'autres facteurs, liés aux questions économiques, foncières et aussi à la réconciliation nationale doivent être évoqués pour mieux comprendre la crise actuelle.

Pour en parler, l'invité d'Anthony Lattier est Jean-Benoît Falisse (photo), doctorant à l'université d'Oxford. Il vient de passer quatre ans au Burundi.

RFI : Jean-Benoît Falisse, la crise burundaise a été déclenchée par le refus d’un troisième mandat pour le président Nkurunziza, mais l’aspect politique suffit-il à lui seul à expliquer l’ampleur et la durée de la contestation ?

Jean-Benoît Falisse : Effectivement, on peut penser que la question du troisième mandat est absolument centrale pour comprendre la situation que connaît le Burundi pour l’instant. Maintenant, je pense qu’une série de facteurs aggravants font que la situation s’envenime. Et ces facteurs sont liés à l’économie, à la gestion du passé, à la gestion de la mémoire de la guerre civile, à des questions de corruption également.

Premier facteur, la situation économique et sociale est l’une des plus dégradées sur le continent et en particulier au regard de celle du Rwanda, dont les caractéristiques sont pourtant assez similaires. On a donc deux pays de taille relativement similaire, avec des ressources naturelles assez proches, c'est-à-dire des sols très riches. Des pays qui partent finalement avec un potentiel relativement similaire et des développements économiques extrêmement différents ces vingt dernières années. On voit le Rwanda qui croît à 8 ou 9 % par an, au Burundi on est plus sur 3 à 5 %. Quand on a un taux de croissance de la population situé entre 3 et 3.5 % par an, ça ne laisse pas de place pour une croissance qui bénéficie aux gens.

Et qu’est-ce qui a été fait par le pouvoir depuis la fin de la guerre pour développer l’industrie et l’économie ?

En termes d’industrie, on a toujours extrêmement peu. C’est un pays qui compte traditionnellement sur ses exports de thé et de café, avec une libéralisation du secteur café récemment, mais finalement assez peu de bénéfice direct pour la population.

Le président Pierre Nkurunziza met lui en avant durant cette campagne la construction de routes, d’hôpitaux, d’écoles etc. Qu’en est-il sur le terrain ? Est-ce que cela peut être mis à son crédit ?

Absolument. Et je pense qu’il faut bien reconnaître que depuis la fin de la guerre, on a vu sur le terrain la construction de nombreux centres de santé, d’écoles, de routes, de toute une infrastructure qui s’est remise en place avec l’appui de la Communauté internationale. La question évidemment c’est : à quel point ces infrastructures sont durables sans investissements et sans l’aide internationale, puisque les différents bailleurs qui contribuent à 50 % au budget du pays sont relativement réticents à continuer à s’engager s’il n’y a pas de progrès pour résoudre cette crise.

Pendant ces manifestations il y a beaucoup de jeunes dans les rangs des manifestants, des jeunes sans emploi, des jeunes parfois désœuvrés. Ils rejettent un système qui les empêche de s’épanouir et d’avoir un avenir. Est-ce que c’est comme ça que vous le voyez ?

Effectivement. Il y a une frustration qui est palpable chez toute une série de personnes qui pensent qu’ils ont fait tout ce qu’il fallait faire. Ils ont peut-être fait les études qu’il fallait, ils sont plus éduqués que leurs parents, mais pourtant il n’y a toujours pas d’opportunité d’emploi pour eux. Donc évidemment une frustration qui peut conduire à un sentiment de révolte contre le pouvoir qui est en place. Il y a aussi une crise de la corruption à tous les niveaux, où de plus en plus, certains éléments du pouvoir sont extrêmement corrompus. Les gens se sentent donc vraiment coincés. Sans les bons contacts, sans les bonnes connexions, il est impossible de faire carrière.

Jean-Benoît Falisse, il y a eu plusieurs vagues de déplacés à travers l’histoire mouvementée du Burundi, avec à la clé des problèmes de propriété. Est-ce que la question foncière c’est aussi un facteur qui est important et qui peut peser peut-être sur la crise actuelle ?

Plus que jamais. Je pense que la question foncière est présente depuis déjà très longtemps. Elle n’a toujours pas été résolue, elle n’est pas près d’être résolue. C’est une question qui va vraiment varier de région en région. Mais on a des litiges fonciers extrêmement présents sur tout le territoire et qui minent vraiment les relations entre les personnes dans les communautés. On a des données sur les tribunaux locaux qui montrent que jusqu’à 80 % des conflits sont des conflits fonciers. Donc sont directement liés.

Concernant la réconciliation nationale, vous l’avez évoquée, diriez-vous qu’elle est inachevée ?

Ce qu’on a pu voir au Burundi, c’est quelque part un partage du pouvoir, une paix, mais sans véritable discussion sur la Commission Vérité et Réconciliation – un peu sur les modèles sud-africains – n’a pas vraiment démarré et donc on n’a finalement jamais eu, au niveau des communautés, de discussion franche sur le passé. A l’exception bien entendu de différentes initiatives locales. Mais on n’a pas eu de grands projets à l’échelle nationale pour réfléchir sur ce qui s’est passé pendant la guerre civile, ce qui s’est passé avant et comment est-ce que les communautés peuvent vivre avec ça.

Vous n’avez pas évoqué le facteur ethnique. Est-il pertinent ? D’après vous peut-il aider à comprendre là aussi, ce qu’il se passe aujourd’hui ?

C’est une question un petit peu compliquée. Je pense qu’il ne faudrait pas faire de cette crise une crise ethnique. On est sur une opposition entre différentes parties sur des lignes politiques. Maintenant c’est le Burundi, cette dimension n’est jamais trop loin, et donc je pense qu’il faut être extrêmement prudent face à toutes les récupérations possibles de la crise actuelle en termes ethniques. 

Par Anthony Lattier