Nkurunziza : "Un potentat qui se croit investi d’une mission céleste"
Analyses

Au Burundi, le pouvoir à tout prix

 Décodage Pierre Nkurunziza s’accroche. Le président veut un troisième mandat. Coûte que coûte.

Rebelle hutu devenu chef d’Etat, passionné de football mais aussi prêcheur évangélique, Pierre Nkurunziza, 51ans, a plongé le Burundi dans une violente crise politique en annonçant fin avril vouloir briguer un troisième mandat à l’élection présidentielle du 26 juin, qui a été reportée au 15 juillet. (A la place, ce vendredi, auront lieu les législatives qui avaient d’abord été prévues le 5 juin.)

Selon les ONG, il y a déjà eu plus de 70morts, dont quatre dans la nuit de dimanche à lundi, et au moins 500blessés. Mais rien ne semble l’arrêter. Ni les manifestations de rue ni la tentative de putsch militaire du 13 mai, fomentée par le général Godefroid Niyombare, ex-chef des renseignements et ancien chef d’état-major de l’armée.

L’opposition a beau rappeler que la Constitution ne tolère que deux mandats consécutifs, le chef de l’Etat n’en a cure: il dit qu’en 2005, au sortir de la guerre civile, il n’avait été que «désigné» par le parlement et non pas élu par le peuple. Il n’a donc affronté les urnes qu’une seule fois, en 2010. A présent, il fait sa seconde campagne électorale. Envers et contre tout.

L’élu de Dieu

Comment expliquer cette obstination de Pierre Nkurunziza à se maintenir au pouvoir envers et contre tout? Pour certains, c’est évident : l’homme se croit investi d’une mission céleste. C’est d’ailleurs ce qu’affirme à la presse son porte-parole préféré, Willy Niamitwe : son patron pense être devenu chef d’Etat en 2005 «par la volonté de Dieu». Sa destinée lui aurait même été révélée par des visions dans le maquis, après qu’il eut rejoint, en 1995, la rébellion hutue et survécu miraculeusement à une grave blessure à une jambe.

Ce born-again Christian, chrétien littéralement «né à nouveau», est devenu pasteur évangélique, tout comme sa femme, Denise, dans un pays très majoritairement catholique. Lors des déplacements du président, il n’est pas rare que le couple tienne des sessions de prière, prêchant devant des milliers de compatriotes et lavant même les pieds des pauvres, assure Esdras Ndikumana, de l’Agence France Presse. En tout cas, où qu’il aille, il se fait accompagner de sa chorale religieuse… et de son club de football privé baptisé Hallelujah FC (ce qui signifie évidemment «Alléluia»).

Fou du ballon rond

Le sport, voilà bien un autre sujet de raillerie dans la bouche de ses opposants. Car tous les jours, quoi qu’il arrive, Pierre Nkurunziza s’interrompt en milieu d’après-midi pour jouer un match de football. Un rituel sacré, qu’il célèbre en tant qu’avant-centre. Or le président a pour unique titre universitaire celui de professeur de gymnastique, martèlent ses détracteurs. Dès lors, comment pourrait-il faire autorité? Comment se maintiendrait-il au pouvoir autrement que par la force?

Sa biographie officielle raconte une histoire bien différente. Etudiant brillant, ce jeune Hutu (ethnie majoritaire) voulait devenir officier de l’armée ou alors économiste, mais face aux restrictions imposées par le régime issu de la minorité tutsie, il se serait résolu à étudier l’éducation au sport. Des compétences qu’il utiliserait désormais pour enthousiasmer les jeunes partout dans le pays.

Guerrier intransigeant

Les Burundais n’ont pas oublié que Pierre Nkurunziza s’est vu confier en 2005 les rênes de la République seulement deux ans après que son groupe rebelle eut enfin rendu les armes, conformément aux accords de paix signés en 2000 à Arusha (ceux-là même qui limitent à deux le nombre de mandats présidentiels). Cela avait mis un terme à une longue guerre civile, qui avait fait 300000morts depuis 1993. Mais le leader hutu serait resté très marqué par l’assassinat, en 1972, de son père, Eustache Ngabisha, qui fut gouverneur de deux provinces. Autant de raisons qui l’empêcheraient de lâcher prise?

Ses sympathisants martèlent que le président a surtout relevé un pays détruit par les années de conflit. Il a construit plus de 5000écoles et aurait reçu comme surnom «umuhuza», le «rassembleur». Mais à présent les choses ont bien changé. Depuis sa réélection en 2010, le Burundi est devenu plus pauvre, la jeunesse n’a pas d’horizon et l’enrichissement ostentatoire des élites provoque la colère de la population, hutue comme tutsie. La répression s’est abattue sur les voix contestataires, y compris au sein de son parti. Pierre Nkurunziza a même perdu le soutien de l’Eglise catholique, très influente à travers ses prêtres et ses médias.

Un potentat de plus ?

«Sans conteste, Pierre Nkurunziza est très croyant et il a souvent utilisé sa foi, tout comme le football, pour asseoir sa popularité. Mais de là à affirmer qu’il brigue un troisième mandat pour des raisons religieuses… C’est de la pure spéculation!» estime Aidan Russell, connaisseur du Burundi et professeur assistant en histoire internationale à l’IHEID (Institut de hautes études internationales et du développement) de Genève. «De même, s’il est vrai que le président exagère en prétendant que les Hutus étaient totalement exclus des hautes études sous le régime tutsi, ce n’est tout de même pas le niveau de son Q.I. qui est aujourd’hui en question, mais bien son incapacité à sortir le pays de la pauvreté.»

En fait, «Pierre Nkurunziza fait comme les autres leaders africains: il s’accroche au pouvoir. C’est la tendance générale», déplore le chercheur. D’autant plus qu’au Burundi la découverte de minerais ces dernières années laisse présager de nouvelles rentrées financières. Ce n’est pas le moment de partir. (24 heures)