Burundi : la communauté internationale a "le devoir moral d’ingérence"
Opinion

La Libre Belgique, 23 juin 2015

Il faut sauver le peuple burundais en danger

Une opinion de Julien Nahayo, ambassadeur e.r.

Compte tenu de l’obstination de Nkurunziza d’arracher son nouveau mandat quel qu’en soit le prix, y compris un éventuel génocide, la communauté internationale doit trouver rapidement des mécanismes d’interventions au Burundi.

Depuis des mois, voire des années pour certains, les partenaires du Burundi se penchent sur le triste sort qui lui est réservé par le régime dictatorial de Bujumbura. Tous essayent, par des contacts diplomatiques, via des résolutions parlementaires ou toutes autres voies appropriées, de donner des conseils, formuler des mises en garde, demander aux dirigeants burundais d’avoir des comportements dignes de la bonne gouvernance, etc. Mais le président Nkurunziza et son entourage restent sourds à toutes ces démarches.

La nature du régime actuel

"Pourquoi tant d’attention de la communauté internationale ?", se demandent ceux qui ne sont pas au fait du drame que vit le Burundi depuis des années, et qui prend une allure de catastrophe nationale aujourd’hui.

La liste des crimes perpétrés par le régime de Bujumbura depuis longtemps est très longue : accusations mensongères contre des opposants politiques, suivies aussitôt d’arrestations arbitraires; assassinats des leaders politiques d’opposition et exils pour les plus "chanceux"; enlèvements, emprisonnements sans jugements et tortures des citoyens dont le seul crime est d’avoir une voix discordante par rapport à la propagande du pouvoir; persécutions des journalistes avec l’objectif de les réduire au silence; menaces et exactions contre la société civile et les organisations de défense des droits de l’homme; maltraitances diverses envers les membres du parti au pouvoir qui osent donner de sages conseils, etc.

Tous ces méfaits se commettent dans un environnement délétère où la corruption, jamais égalée au Burundi, est devenue un mode de gouvernement. Pour ceux qui douteraient de l’objectivité de ce tableau bien sombre, qu’ils prennent la peine de relire les articles déjà publiés dans la presse belge et étrangère, ou de consulter les rapports, généralement fiables, des ONG telles qu’Amnesty International, Human Rights Watch, International Crisis Group et bien d’autres. Ils me croiront s’ils se réfèrent au passé, mais s’ils considèrent la situation actuelle, ils diront que la réalité est bien plus grave.

Un mandat présidentiel de trop

En effet, depuis que le président Nkurunziza a pris la décision de tous les dangers pour imposer sa candidature à un 3e mandat qui lui permettrait d’occuper encore le fauteuil présidentiel pendant les cinq prochaines années, il est devenu autiste à l’égard de tous ceux qui lui disent, nombreux, et y compris dans son propre parti politique (CNDD-FDD), que sa décision viole à la fois la Constitution du Burundi, et l’accord d’Arusha, socle de la paix et de la réconciliation nationale dans notre pays.

Comme on pouvait s’y attendre, cette décision illégale et anticonstitutionnelle a suscité un mouvement citoyen de résistance pacifique, d’une ampleur jamais connue au Burundi. Par contre, la réaction du régime, caractérisée par une violence aveugle à grande échelle, en a surpris plus d’un. Qui aurait en effet pensé qu’une police, se targuant à tort d’être républicaine, se serait livrée à une répression sanglante contre de jeunes manifestants sans défense, accusés désormais d’être des putschistes pour pouvoir les mater sans pitié ?

Cette violence disproportionnée, commanditée par des politiciens tapis dans l’ombre, est exécutée par une police chauffée à blanc par ses commanditaires. Elle a déjà causé des pertes irréparables. Peu professionnelle, la police burundaise est secondée par la milice Imbonerakure, plus agressive encore, et généralement chargée d’exécuter de basses besognes (enlèvements clandestins, le plus souvent nocturnes; tortures inhumaines et dégradantes, assassinats à huis clos, facilités par la destruction de toutes les radios libres du pays qui étaient la voix des sans voix).

Cette brutalité à grande échelle a déjà provoqué des dizaines de morts et des centaines de blessés parmi les défenseurs de la démocratie et de la légalité constitutionnelle. Plus de cent mille citoyens ont fui dans les pays voisins du Burundi et vivent dans des conditions inhumaines qui révulsent le cœur.

Ceux qui ne sont pas encore morts et à qui on a refusé l’exil peuplent par milliers les prisons macabres du pays, dont l’état sinistre avait déjà indigné le célèbre Nelson Mandela, lors de sa visite au Burundi il y a quelques années, dans le cadre des négociations interburundaises qui ont accouché de l’accord d’Arusha, aujourd’hui bafoué par Nkurunziza.

Je peux continuer à égrener les conséquences de la fureur présidentielle, mais les cas cités témoignent assez de l’ampleur du drame burundais actuel.

Le devoir moral d’ingérence

Nous connaissons tous le temps de réaction de la communauté internationale qui est habituellement long. Et pour cause. Toute décision découle des conciliabules lents et obligatoires, de telle manière que les solutions préconisées arrivent souvent trop tard.

Or, dans le cas actuel du Burundi et compte tenu de l’obstination de Nkurunziza d’arracher son nouveau mandat quel qu’en soit le prix, y compris un éventuel génocide, la communauté internationale doit forcer l’allure et trouver rapidement des mécanismes d’intervention. A ce stade, l’attitude jusqu’ici exemplaire de la Belgique devrait inspirer les autres pays dans le monde.

Le danger est d’autant plus imminent que le président burundais serait convaincu qu’en dirigeant une 3e fois son pays, il ne ferait qu’accomplir la volonté divine. Nous connaissons la détermination inflexible de ceux qui croient agir sous le dictat de la volonté de leur dieu, et qui provoquent des exodes de populations désespérées, en partie vers l’Europe. Il faut absolument l’empêcher d’instaurer au Burundi "une démocratie de droit divin".

Dans ces conditions, il n’y a pas de temps à perdre. Il faut que tous les pays démocratiques partenaires du Burundi prennent des décisions immédiates : dénoncer plus qu’à l’accoutumée le 3e mandat de Nkurunziza; annoncer sans fard que les résultats des élections organisées sans les partis d’opposition, ainsi que le gouvernement qui en sera issu, ne seront pas reconnus par eux; suspendre dès maintenant la coopération avec le Burundi; bloquer immédiatement les avoirs des personnes reconnues coupables de violences et leur priver de visas de voyages; convaincre le Conseil de sécurité des Nations unies pour l’envoi rapide au Burundi d’une force d’intervention afin de prévenir la naissance, par désespoir, des rébellions généralisées, avec le risque d’une déstabilisation régionale.

Cette force d’intervention pourra en plus prévenir un génocide, rendu probable par les tentatives irresponsables du pouvoir actuel de réveiller les démons de l’ethnisme, pour le moment en sommeil.