Les Burundais appelés à élire lundi leurs députés dans un climat délétère
Politique

@rib News, 25/06/2015 – Source AFP

Quelque 4,8 millions de Burundais élisent lundi leurs députés et conseillers communaux, des scrutins controversés maintenus par le pouvoir en dépit de la pire crise politique que connaît le pays depuis dix ans, provoquée par la candidature du président Nkurunziza à un troisième mandat lors de la présidentielle mi-juillet.

Manifestations interdites et réprimées, parfois à balles réelles, médias privés réduits au silence, journalistes cachés ou en exil, atmosphère de peur et d'intimidation généralisée, notamment de la part des Imbonerakure, les jeunes du parti au pouvoir, qualifiés de "milice" par l'ONU: le climat actuel rend impossible des scrutins crédibles, estime la communauté internationale.

Mais, malgré un isolement croissant, les autorités burundaises refusent de céder une nouvelle fois aux appels de l'ONU, de l'Union européenne (UE), de l'Union africaine (UA), ou de la Communauté est-africaine (EAC) et de repousser à nouveau les élections.

Alors que la répression systématique de la police a réussi à faire cesser les manifestations, quasi-quotidiennes entre fin avril et mi-juin, contre la candidature de Pierre Nkurunziza, la violence est encore montée d'un cran durant la semaine écoulée, marquée par une série d'attaques à la grenade visant civils ou policiers et faisant au total 4 morts et une quarantaine de blessés.

Des tirs nourris continuent aussi d'être entendus toutes les nuits dans les quartiers contestataires. Et l'ombre de militaires mutins ayant pris le maquis depuis l'échec d'un coup d'Etat à la mi-mai, ainsi que celle d'opposants notoires exilés dans les pays voisins, alimentent les craintes de possibles attaques à l'approche du scrutin.

Moins de dix ans après la fin de la guerre civile qui fit 300.000 morts entre 1993 et 2006, la crise actuelle a ravivé les craintes d'une reprise des violences à grande échelle au Burundi, dont l'histoire post-coloniale est marquée par les massacres entre Hutu et Tutsi.

- Opposition phagocytée -

Le scrutin met face-à-face d'un côté un parti présidentiel omniprésent jusque sur la moindre colline, structuré et doté de moyens conséquents, et de l'autre une opposition marginalisée depuis cinq ans par son boycott des élections générales de 2010.

Les principaux partis d'opposition - notamment l'Uprona, principal parti tutsi et les FNL, issues de la plus ancienne rébellion hutu - ont été phagocytés ces dernières années par des alliés du pouvoir. Cette manœuvre baptisée "nyakurization" (de "nyakuri" qui signifie "véritable" en kirundi, NDLR) consiste pour les autorités à faire émerger au sein d'une formation une aile dissidente, qui prend ensuite le contrôle du parti puis se rallie au pouvoir.

Les électeurs doivent choisir 100 députés dans 18 circonscriptions. S'y ajouteront 3 députés de l'ethnie twa (pygmées), ultra-minoritaire et éventuellement d'autres cooptés au sein des partis élus en vue de respecter les équilibres prévus par la Constitution qui impose que l'Assemblée compte 60% de Hutu et 40% de Tutsi.

Enjeu de ces législatives pour le CNDD-FDD du président Nkurunziza, qui bénéfice traditionnellement d'un large soutien au sein des populations rurales hutu : obtenir plus de 2/3 des sièges au Parlement, majorité nécessaire à l'adoption des lois et devant permettre au parti de garder le contrôle total des institutions.

"C'est un but auquel (les hiérarques du CNDD-FDD) tiennent beaucoup", assure Thierry Vircoulon de l'International Crisis Group (ICG).

- Garder le contrôle -

Comme en 2010, le CNDD-FDD mise sur l'absence de l'opposition, qui menace toujours de boycotter le scrutin, et sur le soutien de nouveaux alliés gagnés en jouant sur l'appât du gain et l'attrait du pouvoir, selon Christian Thibon, universitaire français et spécialiste du Burundi.

Enjeu pour l'opposition: ne pas disparaître du jeu politique. Mais ses chances, alors qu'elle n'a pu véritablement faire campagne, apparaissent minces voire inexistantes, selon les observateurs.

"Dans l'état actuel de la campagne électorale, je pense que leurs chances sont globalement nulles", explique Thierry Vircoulon, les seules formations ayant pu faire campagne, outre le CNDD-FDD, étant les ailes de l'Uprona et des FNL ralliées au pouvoir.

Les quotas ethniques institutionnels ne devraient pas empêcher le CNDD-FDD - parti issu d'une rébellion hutu - d'atteindre son objectif, grâce à des candidats tutsi, mais aussi aux partis "nyakurisés", particulièrement l'Uprona.

Les observateurs mettent également en avant les risques de fraude, avec une Commission électorale composée exclusivement de personnalités favorables au pouvoir, depuis que deux de ses membres ont fait défection en mai et quitté le pays.

Un très mauvais score pourrait marquer "le point final de la marginalisation, entamée en 2010, de l'opposition" qui "pourrait disparaître au niveau institutionnel", estime Thierry Vircoulon: "ce serait la fin de la démocratie parlementaire au Burundi".

Si elle est écartée des institutions par les élections, l'opposition risque de "réapparaître sous d'autres formes, violentes", s'inquiète Christian Thibon.