Burundi : des discours de haine comme outil de propagande électorale
Société

IRIN, 29 juin 2015

Élections au Burundi : quand les mots deviennent des armes

Bujumbura - Dans une campagne marquée par le harcèlement, l'intimidation et la violence, les discours de haine semblent avoir devenus un outil clé pour attirer le soutien des électeurs au Burundi.

Cela fait maintenant plusieurs mois que ce petit État du centre de l'Afrique est en proie à des tensions politiques, principalement dues à la décision du président Pierre Nkurunziza de briguer un troisième mandat. Bon nombre de personnes considèrent que cette candidature est anticonstitutionnelle.

Touché par l'agitation, le Burundi a été le théâtre d'une tentative de coup d'Etat  au mois de mai et il a assisté à la fuite de dizaines de milliers d'habitants dans les pays voisins. La semaine dernière, Gervais Rufyikiri, deuxième Vice-président du pays, est parti en exil, comme bon nombre de hauts fonctionnaires et législateurs avant lui.

Cela fait un peu moins de dix ans que le Burundi est sorti de la guerre civile qui avait éclaté en 1993 et fait plus de 300 000 victimes. L'élément moteur du conflit était la lutte de pouvoir entre la majorité hutu et la minorité tutsi qui contrôlait le gouvernement et les forces de sécurité.

La plupart des slogans provocateurs et haineux qui agitaient le climat avant les élections de lundi – et le scrutin présidentiel prévu le 15 juillet – remontent à cette époque.

Certains discours sont tout simplement violents. Par exemple, un document de propagande issu du gouvernement circule sur les réseaux sociaux : il présente un aigle – le symbole du CNDD-FDD [Conseil national pour la défense de la démocratie-Forces de défense de la démocratie], le parti au pouvoir – les ailes déployées, les yeux jaunes menaçant et les serres ouvertes, comme s'il fondait sur sa proie. 

« Ne jouez pas avec l'aigle », prévient le texte écrit en rouge, blanc et noir, les couleurs du drapeau national. « Il vous déchiquettera, vous griffera et vous donnera des coups de bec. Personne n'empêchera l'aigle de s'élever au-dessus du peuple ».

Ce document a été publié en début d'année sur la page Facebook d'un haut responsable du CNDD-FDD et il a été partagé sur le site de réseau social par un porte-parole du Président le mois dernier.

Les fidèles de M. Nkurunziza ne sont pas les seuls à se livrer à ce genre de provocations. « Nous tuons l'aigle », criaient des jeunes de Musaga, un district de Bujumbura, au début du mois de mai, tandis que la foule déchiquetait le cadavre d'un corbeau crucifié.

Les personnes qui ont vécu la guerre civile connaissent bien le mot kirundi « kumesa » qui est utilisé pour proférer une menace. Celles qui ont survécu aux enlèvements et aux atrocités commises par les rebelles et les soldats se souviennent des hommes armés qui criaient « mumese ! », la forme impérative du même verbe, qui veut dire « Tuez-le ».

Le mot « kumesa » signifie littéralement savonner ou laver. Pendant la guerre, « laver quelqu'un » était un euphémisme pour dire frapper ou tuer quelqu'un.

Le mot est à nouveau utilisé, notamment par les Imbonerakure, les jeunes du parti au pouvoir, qui sont descendus dans la rue lorsque M. Nkurunziza a déposé sa candidature à un troisième mandat. Des témoins ont également entendu un partisan du gouvernement qui marchait dans les rues de Musaga marmonner : « On va vous laver ».

Les membres du parti au pouvoir utilisent également le mot rwandais « zirye » : ce mot, qui signifie littéralement « manger », a une forte connotation historique. Pendant le génocide rwandais de 1994, les personnes qui tuaient les Tutsis utilisaient l'ordre « inyezi zirye », ce qui veut dire « mangez les insectes ».

Pierre-Claver Mbonimpa, figure des droits de l'homme au Burundi, pense lui aussi que les mots utilisés sont dangereux. Le gouvernement lui-même dit aux jeunes qui assistent à ses rassemblements politiques que les personnes opposées à un troisième mandat devraient être « savonnées ». 

(M. Mbonimpa utilise ce verbe).

Les exemples de menaces exprimées sous forme de métaphores sont pléthores. Un dimanche de mai, des mises en garde présentées sous forme de listes à puces sont apparues sur les lampadaires et les panneaux de signalisation des districts de Bujumbura où des manifestations étaient organisées. 

Quiconque tentant de sortir de son quartier pour aller travailler serait « démasqué », disait l'affiche, car une personne qui ne manifestait pas dans la rue ne valait pas mieux que les partisans de M. Nkurunziza, un Hutu et un ancien leader rebelle.

Le verbe kirundi utilisé était « gukorerako ». Il signifie battre, punir et aussi tuer. Pendant la guerre civile, les combattants utilisaient le même mot pour proférer une menace et donner un ordre. En ce moment, on l'entend beaucoup dans les rues de Bujumbura.

Les représentants de l'opposition ont dit que la crise actuelle ne s'articulait pas autour d'une opposition ethnique.

Au début du mois de mai, Charles Nditije, juché sur une tribune de fortune, s'est adressé aux jeunes du district agité de Nyakabiga : « Quand je dis nous, je parle de tout le monde, de tous les Tutsis et de tous les Hutus, de tous les manifestants. De tous ceux qui s'opposent à un troisième mandat. Mais il y a des Hutus qui sont contre eux, alors ils prétendent que c'est un combat contre les Hutus pour regagner du soutien ».

Lors d'un rassemblement organisé par le CNDD-FDD à Ngozi, la ville natale de M. Nkurunziza, Persille Mwidogo, première Vice-présidente du Sénat, a affirmé que le parti au pouvoir ne tiendrait jamais des propos de nature à créer des divisions. Elle a expliqué à IRIN que le respect des citoyens était primordial au sein de son parti.

Mme Mwidogo a ri quand IRIN lui a demandé si le verbe « kumesa », qui veut dire laver, était utilisé pour encourager la division et la violence. « Ce sont juste des jeunes qui s'amusent », a-t-elle dit. « C'est quasiment impossible de contrôler leurs comportements, mais nous essayons de les cadrer. C'est seulement pour répondre aux provocations ».

Deux semaines et demie après le début des manifestations, les radios indépendantes burundaises ont été réduites au silence. Après la tentative de coup d’État d'un général dissident, les manifestants ont mis le feu à la radio pro-gouvernementale Rema FM.

En représailles, le gouvernement a lancé des opérations contre les médias privés qui ont subi des attaques armées et des incendies. Les journalistes qui avaient pris soin de collecter des preuves sur les discours à caractère prétendument haineux et les conservaient dans ces bâtiments ont tout perdu.

Les médias privés étant réduits au silence, les médias sociaux – comme les blogs, WhatsApp et Facebook – ont pris une nouvelle importance : ils sont devenus les seuls à pouvoir diffuser des informations.

Seulement deux pour cent de la population burundaise a accès à Internet, mais le pays a une forte tradition orale, si bien que les informations qui parviennent à une petite minorité se propagent grâce au bouche à oreille.

Il y a désormais de nombreux sites de propagande sur Internet, des groupes de discussions en ligne et des blogs individuels – certains anonymes, d'autres faux – qui diffusent de fausses informations sur les deux camps, y compris pour dénigrer les représentants politiques, les dirigeants de la société civile et les journalistes indépendants.

Burundi 24, par exemple, mentionne une adresse à Paris. Sur la page d'accueil du blog, on trouve des informations diffamatoires et des affirmations sans fondement destinées à dénigrer le parti au pouvoir, le CNDD-FDD.

Burundi Forum, un site Internet pro-gouvernemental qui a été conçu pour ressembler à un site d'information classique, propose un article sur Pacifique Nininahazwe, président du Forum pour la Conscience et le Développement (FOCODE) et figure de proue de la campagne contre le troisième mandat de M. Nkurunziza. L'article commence par ces mots : « Trop de sang a coulé au Burundi sous l'instigation de cet homme ».

« Au départ, la question ethnique n'était pas au centre de la crise, il s'agissait juste d'un affrontement d'idées », a dit à IRIN un membre des Imbonerakure, à Bujumbura. « Aujourd'hui, les gens utilisent les manifestations pour dissimuler leurs objectifs ethniques », a-t-il expliqué, avant d'ajouter que des individus brûlent des voitures pour la simple raison qu'elles appartiennent à des Hutus.

Les Imbonerakure ont été diabolisés eux aussi. Avant la création du CNDD-FDD, le mot « imbonerakure » servait à désigner un arbre blanc que l'on pouvait voir de loin. Ce terme est devenu lourd de sens, il est désormais synonyme de violence.

Les manifestants affirment régulièrement que la police tire à balles réelles. Le soir, les personnes qui entrent dans les quartiers où vivent des opposants de M. Nkurunziza pour se livrer à des actes d'intimidation interdits sont sûrement des Imbonerakure, disent-ils.

Mais des membres des Imbonerakure, comme Pascal Bigirimana, soutiennent que leur organisation est un groupe politique légitime, constitué de fidèles du parti âgés de moins de 35 ans. « M. Bigirimana, qui vit dans le district de Kanyosha à Bujumbura, a souligné qu'il n'y avait « pas eu de mauvais comportement » et a rejeté les allégations de violence, les qualifiant de « clichés ».

Il est chaque jour plus difficile de différencier la fiction de la réalité à Bujumbura.

Jessica Hatcher a réalisé son reportage avec le soutien de Humanity United