Burundi : Quand la diaspora importe du savoir et des valeurs
Diaspora

@rib News, 13/10/2009

Les migrants apportent une pierre à la reconstruction du Burundi

Le Courrier -  Samedi 10 Octobre 2009

DOMINIQUE HARTMANN

«J'avais le sentiment d'être un doctorant de seconde zone.» Ce que Jean Ndimubandi évoque, c'est son séjour en Belgique et en France, où il s'est perfectionné à la fin de ses études d'agronomie à Bujumbura. D'autres souffriront même d'«être éjecté par le système européen» et de n'avoir pour perspective, malgré leurs formations, que des métiers de plongeur ou d'ouvrier.

Cette insatisfaction, doublée du désir de participer à la reconstruction de son pays, a récemment ramené l'ingénieur agronome au Burundi. Et l'Organisation internationale des migrations (OIM) y a contribué. Son programme Migration pour le développement en Afrique (MIDA) s'efforce de contrer la fuite des cerveaux qui affecte certains pays en établissant des liens durables entre la diaspora et son pays d'origine.

«On ne peut pas empêcher les gens de partir, mais on peut tenter de mettre à profit leur savoir, acquis notamment au contact de technologies de pointe», explique Bernard Ndayirorere, coordinateur au Burundi du programme MIDA pour l'Afrique des Grands Lacs. L'OIM assiste les candidats à une installation définitive à raison de 300 euros par mois durant six mois et finance les billets d'avion et l'envoi d'effets personnels. Cette aide est accordée uniquement si un emploi est garanti.

«Avec la crise (la guerre civile, ndlr), la fuite des cerveaux a été importante et les universités peinent à former la relève.» Et le MIDA vise à renforcer les capacités des institutions de ces pays. Le programme a été lancé en 2002 en collaboration avec les ministères du travail du Rwanda, du Burundi et de la République démocratique du Congo. Il est financé par la Belgique, ancienne puissance coloniale ou tutélaire dans ces trois pays.

Il propose à des centres de formation professionnelle, hôpitaux, ONG, structures gouvernementales ou académiques, un soutien ponctuel apporté par des experts résidant notamment dans les pays de l'Union européenne. Il se concentre prioritairement sur les secteurs de la santé, de l'éducation et du développement rural.

Selon Bernard Ndayirorere, le programme s'intéresse avant tout aux compétences de la diaspora: il s'adresse donc à toute personne qualifiée installée légalement à l'étranger, qu'elle soit de profession libérale ou manuelle. Mais dans les faits, «ce sont surtout les universités qui ont bénéficié jusqu'ici de la démarche. Et les demandes ne sont pas toutes satisfaites.» Depuis son lancement, le programme a organisé 131 missions ponctuelles ou de courte durée.

Le journaliste Antoine Kaburahe, qui a fui le Burundi en 1997 pour s'installer en Belgique, a fonctionné comme expert dans plusieurs médias: «Cette expérience m'a permis de me reconnecter à la réalité burundaise, de tâter le terrain.» Le terrain d'un pays dévasté, où son métier motive une prudence supplémentaire: «Au Burundi, la plupart des journalistes ont été emprisonnés ou menacés une fois ou l'autre au cours des dernières années. Dans le meilleur des cas...»

Aujourd'hui, il est rédacteur en chef du journal Iwacu qu'il a fondé en 2007. Son intégration semble optimale. Pourtant, pour faire revenir sa famille de Belgique, il préfère prendre du temps, comme bien d'autres Burundais.

Huit personnes sont revenues définitivement au Burundi depuis sa mise en ouvre, dont trois travaillent à la Faculté des sciences agronomiques de Bujumbura. Jean Ndimubandi, aujourd'hui chef du département de socio-économie rurale à la Faculté des Sciences agronomiques, est l'une d'elles. Lorsqu'il a quitté le Burundi en 1991, à la fin de ses études, c'était pour poursuivre sa formation à Bruxelles et Montpellier notamment. Depuis 2006, il s'est vu confier plusieurs missions par le MIDA. Il participe notamment à une étude chargé d'investiguer les créneaux porteurs d'emploi dans le monde rural.

Malgré son intérêt professionnel, il est sur la réserve. Le pays est encore très troublé, ses infrastructures dévastées et le changement de vie serait conséquent. Aujourd'hui revenu, il se dit heureux d'avoir franchi le pas et de travailler à la politique agricole de son pays. Ses projets privés complètent son revenu. Pour lui, la satisfaction professionnelle compense la difficulté d'adaptation et des choix parfois douloureux: il a laissé derrière lui sa femme et ses enfants et retrouve une société bien plus fermée que celle qu'il a connue en exil.

Aujourd'hui vice-doyenne de la même faculté, Hassan Nusura a elle aussi tenté le retour, après bien des hésitations. Son envie de mettre à disposition son savoir et de revenir au pays la tiraille: «Mon mari était déjà revenu, avec son seul courage, sans aide. Mais moi, j'avais peur.» De la guerre civile, d'abord, du délabrement général aussi. «Surtout quand on revient d'Europe.» Elle poursuit: «En quittant la Belgique, je perdais mon réseau professionnel, et il allait me falloir du temps pour le recréer», explique-t-elle. Or, au Burundi, un enseignant gagne quelques 300 euros par mois et la plupart ont donc recours à des projets annexes.

«Le soutien financier de l'OIM rassure. Il permet aussi de racheter du mobilier, des vêtements: car ici, les apparences comptent beaucoup», sourit-elle, et note: «Ce n'est pas une surprise dans un pays dont l'économie dépend essentiellement de l'agriculture mais notre faculté a été très soutenue.» Ces rapatriés-là suscitent aussi des réactions mêlées.

«Des soupçons peuvent peser sur nos implications politiques», explique Jean Ndimubandi. «Est-ce le CNDD-FDD (Conseil National pour la Défense de la Démocratie –Forces de Défense de la Démocratie) – aujourd'hui au pouvoir dans le pays –, qui nous a rappelé, a-t-il soutenu financièrement le mouvement,?»

Hassan Nusura a aussi perçu de l'envie quant à son parcours: «J'ai pu gravir des échelons, je n'ai pas vu s'interrompre brutalement mon parcours professionnel. Aujourd'hui, en cours, je suis face à des gens plus âgés que moi qui n'ont pas eu cette chance.»

 Ces Burundais portent aussi un regard différent sur leur pays d'origine et ses traditions. D'innombrables cérémonies rythment la vie sociale – enterrements, levées de deuils, mariages – et étranglent financièrement bien des familles. Car chacun, quel que soit le degré de proximité avec le voisin concerné, est supposé apporter son obole. Face à cette coutume très contraignante, Jean Ndimubandi a osé prendre une distance par exemple: s'il continuera à soutenir ses proches, il sera bien plus circonspect à l'égard du groupe entier. La diaspora importe bien plus que du savoir, elle importe aussi un renouvellement des valeurs.