Des cadavres et des ruines : vestiges d'une journée sanglante à Cibitoke
Sécurité

@rib News, 02/07/2015 – Source AFP

 Portail défoncé, murs criblés d'impacts de balles, maisonnettes pillées, calcinées, à demi-effondrées: dans le quartier Cibitoke à Bujumbura, le petit lotissement où vivait la famille Hakizimana, dont trois membres ont été tués par la police, ressemble à un champ de bataille.

Dans la cour devant leur maison, Panta-Léon Hakizimana et ses deux jumeaux d'une vingtaine d'années, Franck et Fleury, gisent l'un près de l'autre sous des draps (photo), dans des flaques de sang séché grouillant de grosses mouches noires. La main du père dépasse, crispée dans la mort, le poignet ceint d'un bracelet gravé au nom du Christ.

Tous trois ont été abattus par des policiers mercredi, lors d'une opération de "ratissage" de l'arrondissement de Cibitoke, après qu'un policier eut été tué durant une patrouille. La police dit être tombée durant ce "ratissage" sur un groupe "lourdement armé"; les habitants accusent les policiers d'expédition punitive.

"C'était des innocents", assure Emmanuel, un voisin, devant les trois cadavres. La soeur de Panta-Léon jette un oeil sous les draps en gémissant doucement. Elle s'assied à côté d'une photo de famille encadrée, prise dans un studio de photographe. Les deux jumeaux y posent devant un fond de plage tropicale en compagnie de leur mère et leur frère cadet, qui vivent tous deux en Belgique.

La plupart des voisins interrogés, dont beaucoup ont reçu la visite violente de la police, disent n'avoir pas vu ce qui s'est passé chez les Hakizimana. Le quartier a retenti de tirs, parfois nourris, tout au long de la journée et chacun s'était enfermé chez soi. L'un d'eux pourtant affirme avoir entendu la famille Hakizimana crier qu'elle sortait les bras en l'air.

Les policiers "sont entrés dans les parcelles, ils ont défoncé les portes des maisons et fait sortir les gens, avant de les voler", explique Emmanuel. Chez lui, "ils ont pris tous les éléments de valeur", des draps, des téléphones portables, le téléviseur...

Dans le salon des trois victimes, deux télécommandes reposent sur la table du salon et des DVD sur une commode. Mais le meuble TV est vide.

- 'On aurait cru la guerre' -

"On nous dit de rester chez nous, de ne pas sortir" pour éviter d'être pris pour cible par la police, qui depuis deux mois réprime violemment - parfois à balles réelles - un mouvement de contestation populaire contre la candidature du président Pierre Nkurunziza à un troisième mandat que ses adversaires estiment anticonstitutionnel, explique Dorine, 21 ans, une amie des jumeaux.

"Eux étaient restés chez eux, ils ne sont pas sortis, ne faisaient rien de mal, mais la police est entrée et les a tués", ajoute-t-elle.

Dans le quartier, certains estiment que le père et ses deux fils ont été purement et simplement exécutés par la police, sans témoin direct pour l'affirmer. Les trois corps sont couchés sur le ventre, aucune blessure n'est visible à l'arrière de leur corps. Au moins deux ont apparemment été touchés à la tête. A quelques centimètres à peine de chacun des corps des jumeaux, une douille est visible. Plusieurs traces laissent penser que les corps ont pu être retournés.

Une source proche de la police a indiqué que les policiers agissaient "sur renseignement" en entrant dans ce lotissement où vivait, selon des proches, un responsable local du Mouvement pour la Solidarité et la Démocratie (MSD). Ce parti d'opposition, bête noire de M. Nkurunziza, est accusé par le pouvoir d'inciter à l'insurrection et son fondateur, Alexis Sinduhije, est en exil.

Ce voisin militant pourrait être celui que la police cherchait en entrant. Lui avait préféré prendre la fuite quand les policiers sont entrés dans le quartier, mais les Hakizimana sont restés, disant ne rien avoir à se reprocher, selon des voisins.

Un peu plus loin, dans la même rue, un autre corps, lui aussi couvert d'un drap, gît sur le dos: un jeune homme. "Il a été abattu par la police, dans une ruelle derrière. Les gens l'ont amené ici pour qu'on le voie et que quelqu'un s'occupe de le ramasser, pour éviter que les chiens le dévorent aussi", explique une jeune femme, devant chez qui le cadavre a été déposé.

La Croix-Rouge a été appelée, mais elle ne s'occupe que des blessés, pas de ramasser les corps, a-t-elle expliqué. Deux autres corps dans cette même rue ont été emmenés par des proches, selon des habitants.

Mercredi, toute la journée ici, "on aurait cru qu'il y avait la guerre, et pourtant il n'y a pas de guerre" au Burundi, constate, amer, un habitant du quartier.