Burundi : combats de rue ou exécutions sommaires ?
Sécurité

@rib News, 02/07/2015 – Source AFP

Le calme était revenu, jeudi matin, dans la capitale burundaise, Bujumbura, au lendemain d’une journée meurtrière au cours de laquelle six personnes au moins ont été tuées par balle dans le quartier de Cibitoke, foyer depuis deux mois de la contestation contre un troisième mandat du président burundais Pierre Nkurunziza.

Le quartier avait été bouclé par les forces de l’ordre la majeure partie de mercredi. La police a en effet affirmé avoir engagé des combats à Cibitoke avec "un groupe armé", qui ont fait un mort dans ses rangs et cinq parmi "les assaillants".

"Exécutions sommaires"

Mais des témoins ont donné une tout autre version des faits, parlant d’exécutions sommaires lors d’une opération de ratissage du quartier par les policiers. Un journaliste de l’AFP qui a pu se rendre sur place en fin d’après-midi a dénombré de son côté six cadavres de civils.

L’incident de mercredi est venu un peu plus alourdir un climat délétère dans ce pays où les résultats des élections législatives et communales de lundi, boycottées par l’opposition et décriées par la communauté internationale, sont toujours attendus. En raison de la grave crise politique actuelle, la communauté internationale comme l’opposition estimaient que les conditions n’étaient pas réunies pour des scrutins "crédibles".

L’officialisation fin avril de la candidature de M. Nkurunziza à un troisième mandat a déclenché un mouvement de contestation populaire qui a été violemment réprimé. Au total, les violences ont fait plus de 70 morts et plus de 140 000 Burundais ont fui dans les pays voisins.

Curieuses pratiques

Déjà non crédibles en raison des conditions dans lesquelles elles se sont déroulées, toute campagne étant impossible aux candidats ne se présentant pas pour le parti présidentiel CNDD-FDD, les élections du 29 juin ont également donné lieu à des pratiques pour le moins hétérodoxes. Un envoyé spécial de l’AFP raconte ainsi ce qu’il a vu lors du dépouillement des votes de Musaga, opération délocalisée au Lycée municipal de Rohero, au centre de Bujumbura.

"Nous avons un problème, comme vous le voyez. Il n’y a […] aucun observateur", confie un président de bureau de vote sous couvert d’anonymat, vite coupé par un autre responsable électoral qui lui demande de ne pas parler de "ces choses".

Mais le directeur du bureau de vote est bel et bien contraint de désigner, parmi ses cinq agents électoraux, deux de ses camarades qui vont signer les procès-verbaux électoraux en tant que témoins - après avoir procédé au dépouillement eux-mêmes !

80 % sont des soldats

Le processus de comptage de voix se poursuit dans un brouhaha indescriptible. Certaines vont au parti au pouvoir (CNDD-FDD), d’autres à la coalition "Espoir des Burundais" ("Amizero y’abarundi") dirigée par le principal opposant politique de Nkurunziza, Agathon Rwasa, qui boycotte pourtant les élections comme le reste de l’opposition.

Au bout de dix minutes, l’opération est terminée : seules 53 personnes sont venues voter dans le bureau, dont l’immense majorité n’étaient même pas inscrites sur les listes. "Heureusement que les soldats (déployés pour la sécurité du scrutin) avaient le droit de voter là où ils se trouvaient, sinon ça aurait été catastrophique car on n’a eu que trois inscrits sur notre liste qui sont venus voter", explique le directeur du bureau. "Les habitants de Musaga ont boycotté massivement les législatives et les communales. Les chiffres sont très impressionnants car plus de 80 % des votants sont des soldats qui n’habitent pas ici", renchérit un autre responsable électoral.

Dans le bureau de vote n°10, le CNDD-FDD est proclamé vainqueur, avec 52,1 % des voix. Un jeune agent lance : "Musaga va être dirigé pendant cinq ans par le CNDD-FDD, qui va recueillir moins de 300 voix sur les 14 500 inscrits de ce quartier. Je ne sais pas comment tout cela va finir."