HRW : "Les expulsions forcées doivent cesser" au Burundi
Droits de l'Homme

Human Rights Watch - Octobre 16, 2009 - Communiqué de presse

Burundi : Les autorités doivent examiner les demandes d'asile des Rwandais

Le gouvernement doit cesser d’expulser les Rwandais qui demandent le statut de réfugié

 (Bujumbura) – Le gouvernement du Burundi doit examiner immédiatement les cas de quelque 400 demandeurs d'asile rwandais et arrêter de les expulser, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui. Human Rights Watch a également demandé aux autorités rwandaises de cesser les pressions sur le Burundi pour forcer les demandeurs d'asile à retourner au Rwanda.

Le 12 octobre 2009, le Burundi a contraint de nombreux demandeurs d'asile à retourner au Rwanda en leur donnant de fausses informations selon lesquelles leur statut de réfugié avait été refusé. Les autorités burundaises ont, à la demande de Human Rights Watch et d'autres organisations, accepté d'arrêter les expulsions.

« Nous sommes heureux que le Burundi accepte de respecter le droit international et d'examiner les cas de ces demandeurs d'asile rwandais », s’est réjouie Georgette Gagnon, directrice de la division Afrique de Human Rights Watch. « Les expulsions forcées doivent cesser ».

Au cours des derniers mois, des Rwandais sont entrés à Kirundo et Ngozi, deux provinces au nord du Burundi. À la fin de septembre, environ 100 à 400 personnes étaient arrivées au pays. Human Rights Watch s'est entretenu avec plusieurs d’entre elles le 14 octobre, et elles semblaient, à juste titre, craindre d'être persécutées si elles devaient retourner au Rwanda.

Face aux fortes pressions du Rwanda et sans examiner leurs demandes, le ministre de l'Intérieur du Burundi, Edouard Nduwimana, a déclaré le 8 octobre dernier que tous les Rwandais devraient être « rapidement expulsés » du pays.

Le 12 octobre, une délégation du gouvernement burundais composée du conseiller principal du gouverneur de la province de Kirundo et d’un commissaire de police a rencontré de nombreux demandeurs d'asile rwandais à Kirundo et leur a fourni de fausses informations selon lesquelles le Bureau du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) leur avait refusé le statut de réfugié et qu'ils devaient quitter le pays. Ils leur ont indiqué qu'ils seraient expulsés s'ils ne retournaient pas « volontairement ». Beaucoup auraient quitté le Burundi pour le Rwanda le lendemain.

Les autorités de Kirundo ont tenté de forcer 17 autres Rwandais à quitter la province dans l'après-midi du octobre 14, mais la nouvelle agence nationale burundaise pour les réfugiés, l’Office national de protection des réfugiés et apatrides (ONPRA), est intervenue pour arrêter les expulsions. Le 15 octobre, les responsables de cette agence ont déclaré à Human Rights Watch qu’il n’y aurait pas d’expulsions. Cependant, Human Rights Watch a par la suite appris que ces 17 Rwandais restent actuellement introuvables et qu’ils pourraient avoir quitté le pays sous la pression du gouvernement burundais. Human Rights Watch a essayé de joindre au téléphone les responsables de la province de Kirundo pour confirmer cette information, mais sans succès.

La nouvelle agence burundaise pour les réfugiés chargée entre autres de l'évaluation des demandes d’asile a commencé ses activités en avril. En vertu de la législation burundaise, les demandeurs d'asile doivent déposer leurs demandes auprès de l'agence dans un délai de 30 jours suivant leur arrivée au pays, sauf en cas de force majeure (circonstances atténuantes). L'agence ne dispose actuellement que de bureaux à Bujumbura, la capitale. Les demandeurs d'asile à la frontière rwandaise dont beaucoup sont sans ressources doivent donc effectuer plusieurs jours de voyage pour s’y rendre. Les motifs des demandeurs d'asile présentés aux autorités burundaises locales, à savoir la crainte d’un retour au Rwanda, auraient dû en effet leur donner le droit de demander l’asile.

La Convention de 1951 relative au statut des réfugiés signée par le Burundi interdit aux États d'expulser ou de renvoyer les réfugiés dans des endroits où leur vie ou leur liberté serait menacée en raison de leur race, religion, nationalité, appartenance à un groupe social ou à une mouvance politique. Cette interdiction de retour forcé (refoulement) concerne également les demandeurs d'asile.

La Convention de l’Union africaine (ancienne Organisation de l'unité africaine) régissant les aspects propres aux problèmes des réfugiés en Afrique dont le Burundi est également signataire interdit non seulement le refoulement, mais exhorte aussi les États parties à accueillir des réfugiés et à régler leurs cas. Toujours selon cette convention, « l'octroi du droit d'asile aux réfugiés constitue un acte pacifique et humanitaire et ne peut être considéré par aucun État membre comme un acte de nature inamicale ».

Les interviews menées par Human Rights Watch avec plusieurs Rwandais ont révélé des craintes bien fondées chez certains qui redoutaient des persécutions au Rwanda. Un Rwandais interrogé a raconté qu'il avait été acquitté des accusations d'avoir brûlé la maison d'un Tutsi pendant le génocide de 1994 par les juridictions gacaca en 2006. En septembre, cependant, il a été convoqué pour répondre aux mêmes chefs d’accusation, avant d’été reconnu coupable et condamné à 30 ans de prison. Il s’est réfugié au Burundi.

Deux autres personnes ont raconté des histories semblables à Human Rights Watch, c’est-à-dire qu'elles ont été jugées de nouveau pour les mêmes crimes par les juridictions gacaca alors que leurs cas avaient déjà été résolus. Le droit international interdit de juger une personne deux fois d’une infraction pour laquelle elle a été déjà acquittée ou condamnée.

Deux des Rwandais ont indiqué que leurs voisins avaient été enlevés de leur domicile au milieu de la nuit et n'avaient pas été revus depuis lors. Ils ont raconté que ces enlèvements se sont produits dans les secteurs de Matana et Mpanda, deux provinces du sud du Rwanda. Une personne a raconté que son voisin a été enlevé par les forces locales de défense rwandaises, un groupe de résidents de la collectivité qui effectue des patrouilles dans le quartier et qui fait également office de police informelle mais qui n’a pas pouvoir de procéder à des arrestations.

Des autorités administratives et policières burundaises ainsi qu'un journaliste et un militant des droits humains ont raconté à Human Rights Watch deux incidents des corps de jeunes hommes portant des traces de blessures vus dans le fleuve Kanyaru qui sépare le Burundi et le Rwanda. Les médias burundais ont indiqué que les habitants avaient vu jusqu'à cinq corps. La provenance de ces corps reste inconnue, mais leur présence a accentué les craintes des demandeurs d'asile de retourner au Rwanda.

Le Rwanda aurait exercé des pressions politiques sur le Burundi pour que ce pays n’accorde pas de statut de réfugié aux Rwandais. Le 15 octobre, l’ambassadeur du Rwanda au Burundi était en visite dans la province de Kirundo apparemment à cause des expulsions.

« Le Burundi devrait indiquer clairement qu'aucun Rwandais ne sera plus déporté en violation du droit international », a demandé Mme Gagnon. « La nécessité d’entretenir de bonnes relations avec le Rwanda ne peut pas exclure l’obligation du Burundi de protéger les Rwandais qui craignent d’être persécutés chez eux ».