Burundi : une journée à attendre les électeurs
Politique

RFI22-07-2015

Le président burundais Pierre Nkurunziza s'acheminait mardi vers un troisième mandat controversé, au terme d'une élection marquée par des violences, le boycott de l'opposition et une participation en berne. Le dépouillement a commencé, mais les résultats ne sont pas attendus avant jeudi.

L'élection présidentielle s'est déroulée dans le calme au Burundi, mais dans une ambiance empreinte de méfiance et d'inquiétude.[Photo : Un agent électoral ouvre une urne pour le dépouillement des bulletins de vote de la présidentielle, à Bujumbura, le 21 juillet 2015.]

La nuit précédent l'élection, plusieurs grenades avaient explosé et de nombreux tirs ont longuement retenti à Bujumbura. Un policier et un civil ont été tués. Et dans de nombreux bureaux de vote mardi, les gens effaçaient l'encre de leur doigt à la sortie de l'isoloir par peur de représailles de la part des partisans du boycott.

Le dépouillement a commencé dans l'essentiel des bureaux à 16h (14h TU), heure de clôture officielle du vote. Le président de la Commission électorale nationale indépendante a indiqué mardi que les résultats ne seraient pas proclamés avant 48 heures. Après la très large victoire, sans surprise, du parti au pouvoir, le CNDD-FDD, aux législatives et communales du 29 juin, déjà boycottées par l'opposition, celle de Pierre Nkurunziza à la présidentielle fait peu de doute.

La journée a été marquée par une abstention forte, même si on ne connaît pas le taux de participation officiel. RFI s’est rendu dans plusieurs centres de vote du pays et a pu constater sur le terrain qu'il n'y avait pas foule dans les bureaux de vote.

Désaffection sans surprise dans les régions contestataires

Province Bururi, Lycée Mutana, une demi-heure avant la fermeture des bureaux. 49 électeurs se sont déplacés sur 348 inscrits. « Depuis ce matin jusqu’à cette heure-ci, avoir de tels chiffres, ce n’est pas du tout bon », se désole un agent électoral.

RFI : « Vous pensez que c’est lié à la question du troisième mandat ? » Réponse : « Je pense… »

Province Mwaro, Ecole primaire Nyamatovu. Ici, lors des précédents scrutins, on a compté 32 votants sur trois bureaux de vote. Cette fois, on atteint la centaine, mais sur plus de 900 inscrits. « Il y a une petite amélioration, mais ce n'est pas beaucoup », regrette-t-on. Encore une fois, pour expliquer cette désaffection, on pointe le troisième mandat controversé.

Il est 17h30 et l'ambiance est détendue dans la province Bujumbura Rural, commune Kanyosha. Le dépouillement est terminé. Dans ce centre de vote, la participation n'excède pas 30%. Sans surprise, dans ces bureaux de vote, c'est l'opposant Agathon Rwasa qui l'emporte dans ce qui a toujours été connu comme son fief, loin devant le parti au pouvoir.

Dans les régions loyalistes, on attend encore les électeurs

Dans la province de Rutana, une province considérée comme acquise au parti au pouvoir, dans le centre de vote de l'école primaire de Gitaba, le taux de participation atteint les 60% à une heure et demie de la fermeture du bureau. C'est loin d'être une habitude dans ce centre de vote qui à la mi-journée lors des précédents scrutins avait les urnes pleines. « Aux dernières élections, même à 16h30, il y avait une longue file ici, mais aujourd’hui, il n’y avait pas grand monde, indique un homme dans le bureau de vote. Je n’ai pas d’explication précise à cela, mais le constat aujourd’hui c’est qu’il n’y a pas la foule. »

Une électrice se présente, seule, dans le bureau voisin. Un autre agent électoral se perd en conjectures. « Nous pensons que la plupart des votants sont dans les champs, mais qu’ils vont venir cette après-midi. Nous pensons qu’ils vont venir au moment d’aller au marché parce qu’il y a un petit marché vers 15h. »

L'un des mandataires du parti au pouvoir, venu observer le scrutin, a une tout autre explication. « Ces paysans sont fainéants puisque nous voyons bel et bien qu’ils ne viennent pas», lance-t-il.

RFI : « Vous ne pensez pas qu’ils sont opposés au troisième mandat ? » « Non, ils sont pour ces élections, répète-t-il. Ils sont d’accord et nous espérons qu’ils vont venir parce qu’il reste encore du temps. »

Une heure avant la fermeture, des centres de vote voisins n'affichent pas de meilleurs scores. Les présidents des bureaux de vote attendent, eux aussi, l'ultime sursaut.

Une forte participation pour le pouvoir

Pour le pouvoir il n'y a pas d’échec, au contraire les autorités estiment que l'élection a été un succès. Willy Nyamitwe, le conseiller en communication du chef de l'Etat, pense que la participation pourrait atteindre les 80% : « C'est un bilan positif au regard du taux de participation. », selon Willy NyamitweConseiller en communication du chef de l'Etat burundais

La présidentielle au Burundi objet de toutes les critiques

Quelque 3,8 millions d'électeurs burundais étaient appelés aux urnes ce mardi pour l'élection présidentielle. Du côté de la communauté internationale, cette élection est vivement critiquée.

Dans le concert des réactions internationales à l’élection présidentielle au Burundi, c'est Washington qui frappe le plus fort. John Kirby, le porte-parole du département d'Etat américain, a estimé que la situation actuelle au Burundi ne permet pas « la tenue d'élections crédibles ».

Selon Washington, la légitimité du processus électoral burundais a été entachée ces derniers mois par le « harcèlement de l'opposition et de la société civile », la « fermeture de plusieurs médias », ou encore « l’intimidation des électeurs ». Dans une telle situation, le scrutin présidentiel ne fera que « discréditer davantage » le gouvernement de Bujumbura, selon les Etats-Unis.

Ce matin, les mots étaient moins forts du côté de Bruxelles, l'ancienne puissance coloniale. Didier Reynders, le ministre belge des Affaires étrangères, a regretté la tenue de l'élection présidentielle. La Belgique, qui est un partenaire économique important du Burundi, a rappelé que la coopération entre les deux pays sera réexaminée.

Enfin, Ban Ki-moon, le secrétaire général de l'ONU, s'est lui exprimé avant même l'ouverture des bureaux de vote. Il a appelé toutes les parties au calme et a demandé aux autorités burundaises de garantir la sécurité et la tenue pacifique de l'élection.