Burundi : Les jeunes ignorés des politiques publiques...
Opinion

Le Point, 22/07/2015

Burundi : la jeunesse au cœur de la crise

Par Eric Ndayikengurutse* et Samuel Pommeret**

TRIBUNE. Manipulés ou ignorés, les jeunes et le sort qui leur est fait sont la partie immergée du conflit politique et social autour du troisième mandat.

Depuis plus de deux mois, le Burundi s'enfonce dans la crise. La cause est connue : la volonté du président sortant de se représenter pour un troisième mandat en dépit de la Constitution et des accords de paix d'Arusha, mais nul ne connaît l'issue de ce conflit politique et social majeur. Au cœur de cette crise, une figure centrale émerge : celle du « jeune Burundais ». [Photo :Un jeune protestataire avec le visage noirci par la fumée des barricades à Musaga, près de Bujumbura le 6 mai 2015.]

Il a plusieurs visages : celui de la victime de la répression policière ou du jeune Imbonerakure, militant du parti présidentiel, celui du chômeur des quartiers populaires ou du militant de la société civile mobilisé contre le « troisième mandat », celui de l'intellectuel engagé ou du réfugié, mais, en tout état de cause, il est partout présent… et pourtant si absent.

Les jeunes ignorés des politiques publiques...

Au-delà de « l'étincelle du troisième mandat », c'est bien sûr du terreau du chômage de masse et de l'absence de perspective pour la jeunesse que la contestation a germé.
Dans ce pays post-conflit, 66 % de la population a moins de 25 ans et 65 % de la population active est constituée de jeunes âgés de 20 à 24 ans. Ils sont omniprésents, et pourtant largement ignorés par les politiques publiques.

La croissance, proche de 5 % ces dernières années, reste instable et exclusive. En offrant insuffisamment d'emploi, elle ne permet pas la résorption de la pauvreté et les primodemandeurs d'emploi constituent 60 % des sans-emploi. De très nombreuses disparités existent entre les secteurs économiques : le secteur primaire emploie 90 %  de la population active alors que le secteur tertiaire n'emploie que 8 % de la main-d'œuvre. Aussi, le secteur privé informel est-il le premier employeur du pays.

Les femmes sont particulièrement touchées, avec un taux de chômage plus élevé, un accès plus difficile à certains secteurs de l'économie et une plus grande difficulté pour accéder à des postes de décision.

... et engagés dans les réseaux de résistance de la société civile

Pour les jeunes Burundais, la précarité est la norme et le manque de perspective le lot commun. En situation de dépendance financière, en proie à toutes les tensions, ils sont potentiellement à la merci de manipulations de la part des acteurs politiques, qui les poussent à la violence en échange de gratifications financières. Les Imbonerakure (« les visionnaires ») du parti CNDD-FDD en sont un témoignage. La crise révèle aussi une autre jeunesse engagée dans les organisations de la société civile et dans les réseaux mobilisés contre le troisième mandat.

Connectée, les yeux rivés sur d'autres mouvements africains (comme les « Y'en a marre » sénégalais, le « Balai citoyen » burkinabé ou « Filimbi » en République démocratique du Congo), elle est entrée dans le débat citoyen, avec, au-delà du refus du troisième mandat, la volonté d'ouvrir de nouveaux espaces de débats sur les questions de démocratie et, plus largement, sur l'avenir de leur pays. Deux jeunesses burundaises bien différentes, mais deux jeunesses « engluées » dans la même réalité.

Au-delà de la crise, construire une paix durable et une démocratie réelle passera obligatoirement par la promotion de l'emploi et l'éveil citoyen des jeunes à travers l'éducation au dialogue, aux valeurs démocratiques et à la résolution pacifique des conflits. L'implication effective des jeunes dans la conception et la mise en œuvre des politiques publiques est indispensable pour relever ces défis. Cela vaut pour les autorités burundaises, mais aussi pour les partenaires techniques et financiers. Ils doivent prioriser les besoins des jeunes dans les appuis qu'ils apportent au Burundi. Sans cet engagement indispensable, on peut craindre que le Burundi ne puisse tourner la page de la violence.

Eric Ndayikengurutse* et Samuel Pommeret**

* Coordinateur national du Réseau des organisations des jeunes en action pour la paix, la réconciliation et le développement au Burundi.

** Chargé de mission Grands Lacs au CCFD-Terre Solidaire.