Burundi : De l’opportunité d’un gouvernement en exil
Opinion

@rib News, 08/09/2015

BURUNDI : QUID D’UN GOUVERNEMENT ALTERNATIF EN EXIL ?

Par Albanel Simpemuka

Depuis le 26 août 2015, date de la forclusion du deuxième mandat du Président Pierre Nkurunziza, l’opposition burundaise principalement regroupée au sein du Conseil National pour le Respect de l’Accord d’Arusha pour la Paix et la Réconciliation au Burundi ainsi que de la Constitution en vue d’un Etat de Droit - CNARED, a déclaré publiquement qu’elle ne reconnaissait ni Nkurunziza comme chef de l’Etat, ni le gouvernement qu’il a mis en place. Depuis lors certains journalistes ont prétendu que « Le Cnared prépare son gouvernement parallèle en exil [1]. » Outre le caractère non encore confirmé par les principaux intéressés, il convient de s’interroger sur la légalité et l’opportunité d’une telle institution.

Ce que dit la Constitution du Burundi et les problèmes en présence

Le premier réflexe du CNARED qui fait de la légalité son cheval de bataille sera certainement de consulter la Constitution. Celle-ci, en son article 121 stipule que :

« En cas d’absence ou d’empêchement temporaire du Président de la République, le Premier Vice-Président assure la gestion des affaires courantes et à défaut de ce dernier, le Deuxième Vice-Président.

En cas de vacance pour cause de démission, de décès ou de toute autre cause de cessation définitive de ses fonctions, l’intérim est assuré par le Président de l’Assemblée Nationale ou, si ce dernier est à son tour empêché d’exercer ses fonctions, par les Vice-Présidents de la République et le Gouvernement agissant collégialement.

La vacance est constatée par la Cour Constitutionnelle saisie par les Vice-Présidents de la République et le Gouvernement agissant collégialement.

L’autorité intérimaire ne peut pas former un nouveau Gouvernement.

Les Vice-Présidents de la République et le Gouvernement sont réputés démissionnaires et ne peuvent qu’assurer simplement l’expédition des affaires courantes jusqu’à la formation d’un nouveau Gouvernement.

Le scrutin pour l’élection du nouveau Président de la République a lieu, sauf cas de force majeure constaté par la Cour Constitutionnelle, dans un délai qui ne doit pas être inférieur à un mois et supérieur à trois mois depuis la constatation de la vacance.

L’autorité intérimaire nomme une commission électorale nationale indépendante chargée d’organiser un nouveau scrutin présidentiel conformément à la loi en vigueur. »

Le premier problème est de savoir comment la Constitution « lit la situation actuelle » : absence ou empêchement temporaire ? Démission ou décès ou autre cause de cessation définitive de ses fonctions ? Dans les circonstances actuelles, il s’agit d’une «  toute autre cause de cessation définitive de ses fonctions » : l’expiration de ses mandats constitutionnels.

La deuxième difficulté  est celle de la saisine  de la Cour constitutionnelles : les Vice-Présidents de la République et le Gouvernement actuels peuvent-ils, agissant collégialement, saisir la Cour constitutionnelle aux fins de constater la vacance du poste de Président de la République ? Auraient-ils accepté d’être nommés par un Président inexistant ou peuvent-ils déclarer inexistant celui à qui ils doivent leur nomination ? Ou alors, quels vice-présidents et quel gouvernement sont habilités à saisir la Cour constitutionnelle ? Nommés illégalement par un Président inconstitutionnel, quelle légalité peut être la leur ? A la limite l’on pourrait considérer que les vice-Présidents et le gouvernement de Nkurunziza II sont les seuls habilités à saisir la Cour. Allons donc les chercher !

Le troisième casse-tête est celui de cette Cour et du constat de vacance. L’actuelle Cour peut-elle raisonnablement constater la vacance du pouvoir de Nkurunziza ? Peut-elle scier l’arbre sur lequel elle est assise en récusant l’autorité qui l’a nommée et qui ne manquerait pas de lui infliger la sanction capitale ?  Allons donc chercher une cour constitutionnelle qui va proclamer la vacance de la Présidence !

Quatrième quadrature du cercle : l’interdiction au Président intérimaire de former un gouvernement. Oui, c’est écrit noir sur blanc : « L’autorité intérimaire ne peut pas former un nouveau Gouvernement. » Cela veut dire qu’elle devra raccompagner l’équipe actuelle, retrouver et remettre en place le dernier gouvernement de Nkurunziza II pour gérer l’intérim pendant un à trois mois. Allons donc le chercher, ce gouvernement !

Enfin, le Président de l’Assemblée nationale sous Nkurunziza II, Pie Ntavyohanyuma, qui est présenté comme le prétendant légitime pour piloter cet intérim, a-t-il encore quelque légalité institutionnelle ? Son mandat n’est pas fini comme celui de Nkurunziza ? Lamartine : « O temps, suspends ton vol/ Et vous, heures propices suspendez votre cours. » Allons donc chercher la machine à suspendre le temps, sinon à le faire reculer !

De l’opportunité d’un gouvernement en exil

Ceux qui appellent de leurs vœux la formation d’un gouvernement en exil invoquent la nécessité de présenter au monde un représentant légitime du Burundi ; étant donné que Nkurunziza n’est pas reconnu. Il s’agit donc de combler, en urgence, le vide institutionnel et augmenter l’efficacité du CNARED. Certains parmi les partisans de ce projet espèrent une reconnaissance rapide de ce gouvernement par les pays anti troisième mandat, et comptent ainsi drainer les aides refusées par les bailleurs de fonds au gouvernement de Nkurunziza. Les plus optimistes iraient jusqu’à demander l’aide pour un coup de force contre Nkurunziza, afin d’éviter les affrontements sanglants d’une guerre civile. Comme si ce coup de force n’allait pas susciter de réaction dans le camp de Nkurunziza. 

Les adversaires de la formation d’un gouvernement en exil font observer que celui-ci serait illégal et constituerait un paradoxe de la part du CNARED, dont le cri de ralliement est précisément le respect de la Constitution. Ils appréhendent le potentiel de friction que constituerait la formation de ce gouvernement : chaque parti ou organisation membre serait porté à jouer des coudes pour se positionner dans ce gouvernement. Déceptions, rancœurs, division et démissions accompagneraient probablement cette formation, sans que des gages du départ de Nkurunziza soient acquis a priori. Ils s’interrogent aussi sur l’origine des ressources nécessaires à l’installation et au fonctionnement de cette institution. Certains font remarquer que beaucoup de pays reconnaissent les Etats et non les gouvernements. Enfin, ils considèrent que ceux qui veulent contribuer au rétablissement de la légalité constitutionnelle au Burundi peuvent reconnaître le CNARED comme interlocuteur international valable et pousser, par des actes forts, le gouvernement  de Nkurunziza à négocier son départ sans effusion de sang.

Il apparaît donc que la formation d’un gouvernement burundais intérimaire en exil serait illégale et devrait être combattue comme un oubli coupable du légalisme où le CNARED prend sa source. Et que la mise en place d’un Président par intérim se heurte à des difficultés aussi bien juridiques que pratiques. Gageons que les dirigeants du CNARED sauront résoudre cette équation à n inconnus !


[1] Voir Thierry Ndayishimiye sur : http://www.journalarc-en-ciel.com/cnared.html