Refroidissement des relations entre la Belgique et le Burundi
Diplomatie

Le Soir, 14 octobre 2015

Brouille entre le Burundi et la Belgique

Le carnet de Colette Braeckman

Vétéran de la carrière diplomatique, ayant été en poste dans plusieurs pays africains dont l’Ouganda et le Rwanda, l’ambassadeur belge à Bujumbura Marc Gedopt est un diplomate chevronné, habitué à peser ses mots pour ne pas heurter les susceptibilités locales. Par le biais d’une note verbale, le gouvernement burundais a cependant annoncé le retrait de son agrément et demandé son remplacement, en raison de la « dégradation de la confiance » entre les deux pays.

Cette décision, assez inhabituelle, a sans doute été motivée moins par les propos de l’ambassadeur (actuellement en vacances au Canada) que par plusieurs décisions adoptées à Bruxelles afin de faire pression sur les autorités burundaises : suspension de projets de formation de la police et de l’armée, et, tout récemment, suspension du financement d’un projet qui faisait la fierté de la coopération belge au Burundi, le projet « pavage », par lequel des centaines de jeunes, souvent issus des groupes armés, étaient réinsérés dans la vie civile et participaient à l’amélioration des routes secondaires dans la capitale. Ce projet dit « à haute intensité de main d’œuvre » déjà mis en œuvre avec succès au Rwanda, était en passe d’essaimer à Bukavu, la capitale du Sud Kivu voisin.

En plus de la manifestation de cette mauvaise humeur diplomatique, il semble que les autorités burundaises aient, sinon encouragé, du moins laissé se dérouler sans encombre une manifestation qui a rassemblé plusieurs centaines de jeunes devant l’ambassade de Belgique, criant des slogans hostiles et brandissant des pancartes peu lisibles. De l’avis de plusieurs témoins sur place, ces jeunes seraient membres des Imbonerakure, la Ligue de la jeunesse du parti du président, jeunes sportifs au départ mais de plus en plus politisés et accusés de s’être livrés à de nombreuses intimidations et violences durant la campagne qui a mené à l’élection du président Nkurunziza, dont le troisième mandat à la tête de l’Etat est contesté par l’opposition et mis en cause par les partenaires traditionnels du Rwanda, dont la Belgique, l’un des principaux bailleurs de fonds.

Les autorités belges ont réagi avec prudence à la demande de remplacement de l’ambassadeur Gedopt, qui était de toutes manières visé par le prochain « mouvement » diplomatique de 2016 : tant Didier Reynders que Rudi Demotte, ministre-président de la Fédération Wallonie Bruxelles, ont dénoncé le « geste inamical » du Burundi dont l’ambassadeur a été convoqué au Ministère des Affaires étrangères.

Au-delà de cet épisode diplomatique, la brouille entre deux partenaires aussi fidèles que le Burundi et la Belgique illustre la dérive du pays depuis qu’en avril dernier, le parti au pouvoir, CNDD-FDD, a choisi de reconduire le président sortant Pierre Nkurunziza pour un troisième mandat, non conforme aux accords de paix d’Arusha. Conclus sous l’autorité morale des présidents Mandela et Nyerere, (Tanzanie) ces accords complexes, répondant aux appréhensions des Hutus comme des Tutsis, représentaient depuis quinze ans le socle de la paix civile et de la réconciliation au Burundi. Depuis la décision du parti au pouvoir d’imposer son candidat coûte que coûte, le Burundi a entamé une véritable descente aux enfers : manifestations violentes dans la capitale, tentative de putsch militaire, répression de la presse et exil de la plupart des journalistes influents, exode de plus de 100.000 réfugiés, vers le Rwanda, la Tanzanie, le Kivu. La violence, qui fait chaque nuit des morts dans les quartiers populaires, a aussi emporté le général Nshiymirimana,chef des renseignements et numero deux du régime et failli coûter la vie au chef d’état major le général Prime Nyaongabo.

Désormais nul n’est plus à l’abri de la violence, ni les partis d’opposition qui ont formé une coalition encore fragile, le Cnared, ni le pouvoir miné par des dissensions internes et des trahisons. La suspension des coopérations étrangères, en en particulier le refroidissement des relations avec la Belgique pourrait accélérer la dégradation d’une économie fragile et dépendante. En outre, si elles sont tendues avec les Occidentaux, dont les Etats unis, les relations du Burundi avec le Rwanda deviennent exécrables : Kigali accuse son voisin de recruter des FDLR (Forces démocratiques pour la libération du Rwanda, descendants des génocidaires de 1994) et surtout, dénonçant la présence sur le sol rwandais de personnalités politiques, de journalistes et de militaires déserteurs, Bujumbura accuse Kigali d’encourager des manœuvres de déstabilisation du régime.

Principale bénéficiaire des accords d’Arusha, qui avaient permis de mixer ex-rebelles et troupes gouvernementales, l’armée burundaise veille à ne pas trop afficher ses divisions. Mais elle s’affronte de plus en plus souvent à la police et craint une réduction drastique de ses budgets assurés par l’aide internationale. Une implosion de l’armée mènerait inexorablement à la guerre civile et la question qui hante les esprits est de moins en moins « comment » mais « quand » ?