Mgr Jean-Louis Nahimana : «La violence prend le dessus au Burundi»
Société

RFI, 28 octobre 2015

 Au Burundi, les actes de violence se multiplient, six mois après le début de la crise politique. L'attaque dans la nuit de lundi à mardi du bâtiment de Bujumbura où habite Mgr Jean-Louis Nahimana (photo), le président de la Commission vérité et réconciliation du Burundi, en est l'illustration.

En ligne du Burundi, l'ancien vicaire général de l'archidiocèse de Bujumbura répond aux questions de Christophe Boisbouvier et n'hésite pas à défendre une troisième voie entre le pouvoir et l'opposition.

RFI : Monseigneur Jean-Louis Nahimana, le Haut commissariat des droits des l’Homme de l’Onu dénonce une rapide dégradation de la situation au Burundi depuis quelques semaines. Est-ce que vous confirmez ?

Monseigneur Jean-Louis Nahimana : Oui, tout est parti des manifestations anti-troisième mandat et on espérait que nos différents protagonistes politiques allaient se mettre ensemble. Mais malheureusement on assiste à un bras de fer, qui malheureusement, dégénère dans la violence.

Depuis la fin du mois d’avril il y a eu au moins 198 personnes tuées, selon le Haut commissariat de l’Onu, et depuis trois semaines 63 personnes tuées. Est-ce que cela veut dire que la situation se dégrade de plus en plus ?

Oui. A voir comment les choses se passent maintenant, il y a lieu de dire que vraiment la situation s’empire. Mais tout de même, je dois préciser que dans la capitale, Bujumbura, il y a quelques communes qui ont organisé vraiment une forte résistance contre le gouvernement. Mais ailleurs dans le pays la situation semble être calme, en tout cas pour le moment.

Le Haut commissariat aux Nations unies s’alarme, notamment du fait que le 13 octobre dans le quartier de Ngagara, à Bujumbura, neuf civils ont été sommairement exécutés par les forces de police, après que trois policiers eurent été attaqués par des jeunes non identifiés.

Oui, malheureusement cette situation est vraie… c’est moi-même qui ai présidé les funérailles de ces personnes, membres d’une même famille. Donc de plus en plus, vraiment, la violence prend le dessus dans notre pays.

Et parmi les membres de cette famille il y avait un confrère caméraman de la Télévision nationale.

Exactement, oui. Christophe Nkezabahizi, qui a été assassiné avec sa femme, ses deux enfants et une parente à lui qu’il hébergeait dans sa maison.

Et est-ce que les responsables de ce crime sont aujourd’hui poursuivis ?

Le gouvernement a tout de suite mis sur pied une commission d’enquête.

Il faut dire que le secrétaire général de l’Onu, Ban Ki-moon, a réclamé lui-même une enquête sur la mort de ces neuf civils et de deux policiers. Mais, au-delà de cette commission d’enquête, est-ce qu’un jour les coupables seront arrêtés et jugés ?

Nous l’espérons bien ! Le procureur général de la République du Burundi lui-même avait mis sur pied une commission ad hoc. Donc nous attendons les résultats et nous espérons que les responsables de ces crimes pourront être jugés et condamnés.

Même si ce sont des policiers ?

Même si ce sont des policiers. Je crois que personne n’est au-dessus de la loi. Donc nous attendons que la justice soit faite.

Et vous, Monseigneur Nahimana, est-ce que vous vous sentez menacé ?

Personnellement, non. Pas plus que les autres Burundais.

Mais le bâtiment dans lequel vous habitez n’a-t-il pas été attaqué dans la nuit de lundi à mardi ?

Effectivement, il y a eu une attaque inhabituelle dans le quartier. On était habitués à entendre des coups de feu dans le quartier. Moi j’habite entre le quartier de Kamenge et le quartier de Cibitoke qui est un des quartiers les plus troublés. Mais hier, malheureusement, on s’est rendu compte que les tirs étaient dirigés contre notre maison. Et il y a eu même beaucoup de dégâts. Il y a une chambre qui a été complètement pulvérisée. Il y a eu une déflagration d’une grenade qui a explosé à l’intérieur de la maison. Jusqu’à présent il n’y a pas encore eu d’enquête.

C’est un bâtiment où habitent des prêtres de l’église catholique, c’est cela ?

Oui, nous sommes quatre prêtres. Mais dans le même bâtiment il y a une radio communautaire pour les jeunes et ensemble nous avons enduré la situation.

Il y a quelques semaines le pouvoir a lancé des mandats d’arrêt internationaux contre la quasi-totalité des dirigeants du CNERAD, l’opposition en exil. Dans ces conditions est-ce que le dialogue est encore possible ?

Ce que je propose c’est que les mandats d’arrêt soient consécutifs à une enquête judiciaire qui montre les vraies responsabilités des uns et des autres.

C'est-à-dire que les mandats d’arrêt ne soient pas lancés de façon précipitée ?

C’est ça. Si les choses se font dans la précipitation ça peut aussi compromettre les chances de dialogue. Mais si ces mandats d’arrêt ont été lancés après enquête judiciaire, je pense qu’il faut aussi respecter l’indépendance et l’autonomie de la justice.

Dans un dialogue il faut être deux. Quels efforts demandez-vous aux deux camps : le pouvoir et l’opposition ?

D’abord je voudrais dire qu’aujourd’hui la violence s’aggrave de plus en plus. Elle a tendance à occulter qu’il y a une troisième voie, peut-être celle de la majorité qui ne veut pas de la violence et effectivement, la majorité du peuple burundais refuse qu’on lui impose la violence.

Que répondez-vous à ceux qui disent que votre Commission Vérité et Réconciliation est née de la volonté du pouvoir et n’a pas fait grand-chose depuis sa création il y a dix mois ?

Je crois que c’est de bonne guerre. Sinon, la commission que nous dirigeons est née plutôt de la volonté populaire… Les différents protagonistes ont décidé de tourner la page de la violence en proposant un nouveau projet de société. Et pour justement y arriver, il fallait d’abord passer par l’établissement de la vérité, de la lumière sur le passé douloureux de notre pays. Alors à ceux qui ont des doutes, je leur dirais que la Commission Vérité et Réconciliation n’est pas l’apanage d’un petit groupe de onze commissaires qui ont été mis en place. La commission est là pour créer un espace qui puisse aider les Burundais à libérer la parole. Mais cette vérité et la volonté de réconciliation viendront des Burundais eux-mêmes.

Par Christophe Boisbouvier