Bujumbura reste sourd aux pressions, mais n'a pas les moyens de sa politique
Politique

@rib News, 28/10/2015 – Source AFP

Le pouvoir burundais, qui rejette toute discussion avec l'opposition, semble s'enfermer dans sa tour d'ivoire. Mais après des mois de crise, qui ont mis à mal une économie déjà exsangue, il ne pourra pas tenir longtemps cette ligne "dure", estiment des analystes.

"C'est clair, ce sont les durs des durs du régime qui tiennent le haut du pavé et ils semblent prêts à tout sacrifier, même la paix si chèrement acquise, pour garder tout le pouvoir", analyse sous couvert d'anonymat un politologue burundais, pour qui "ce pays est déjà retombé malheureusement dans une nouvelle guerre civile".

Au moins une vingtaine de personnes ont été tuées dans une série d'affrontements qui ont opposé depuis trois jours les forces de l'ordre à des "criminels armés", à Bujumbura, et pour la première fois au centre du pays, un fief du pouvoir. L'expression officielle "criminels armés" désigne une rébellion naissante issue de la contestation contre la réélection du président Pierre Nkurunziza pour un troisième mandat, jugé anticonstitutionnel par l'opposition.

Sa volonté de garder le pouvoir, malgré les critiques de l'opposition, de la société civile et de la communauté internationale, a plongé son petit pays d'Afrique des Grands Lacs dans une grave crise politique, émaillée de violences meurtrières.

Le Haut commissariat des droits de l'homme de l'ONU s'était alarmé vendredi de la "rapide dégradation" de la situation au Burundi, rapportant qu'au moins 198 personnes y ont été tuées depuis fin avril, dont 63 sur les trois dernières semaines.

"Malgré des violences croissantes et les pressions internationales pour une reprise du dialogue, le pouvoir ne veut rien entendre et pour montrer sa détermination, il a lancé des mandats d'arrêt contre tous ses opposants", souligne le même analyste.

Des lettres du procureur burundais demandant l'extradition d'une quarantaine de leaders d'opposition et de figures de la société civile en exil, à la tête de la contestation, ont "fuité" dans la presse depuis une semaine.

Face à la gravité de la situation, l'Union européenne (UE) a réagi lundi en appelant les autorités burundaises à des "consultations" sur les atteintes à la démocratie dans le pays, une procédure susceptible de conduire à la suspension de l'aide européenne.

L'UE est le premier donateur au Burundi. La Belgique, ancienne puissance coloniale et premier donateur bilatéral, les Pays-Bas et l'Allemagne ont déjà suspendu une partie de leur aide.

- 'Une sorte de paranoïa' -

"Nous sommes disposés à améliorer les rapports avec l'UE, qui est un partenaire important pour le Burundi, (...). Mais dans tous les cas, une partie ne peut pas imposer à l'autre sa façon de voir les choses", a réagi le chef de la diplomatie burundaise, Alain Aimé Nyamitwe.

Mais fait inhabituel cette fois-ci, même l'Union africaine envisage des sanctions. Et pour de nombreux observateurs, le pouvoir n'a pas les moyens de ses intentions.

"Aujourd'hui, le pouvoir est en proie à une sorte de paranoïa, il pense que le monde entier s'est ligué contre lui, et il est entré dans une logique de confrontation. Mais ce pouvoir n'a pas du tout les moyens économiques de sa politique", juge un autre analyste, également sous couvert d'anonymat.

Après une décennie de guerre civile (1993-2003) qui a ruiné son économie, le Burundi est aujourd'hui classé pays le plus pauvre du monde avec un PIB par habitant de 315 dollars (285 euros) en 2015 selon le FMI, qui prévoit en outre croissance négative (-7,2%) pour cette année.

"Depuis fin avril, l'économie burundaise est pratiquement à l'arrêt, les recettes internes sont en chute libre, - elles ont été amputées de près de 40% -, et l'aide est distillée au compte-gouttes alors que plus de 50% du budget vient de là", pointe ce même analyste. "Si l'UE coupe son aide, ça sera l'asphyxie, le pouvoir ne pourra pas tenir longtemps!".

Un haut cadre de la présidence burundaise a reconnu auprès de l'AFP "la gravité de la situation", mais il estime qu'il y a "des choses non négociables, notamment notre victoire aux élections générales de (juin et juillet) 2015". "Le peuple burundais a tranché, que l'opposition attende 2020", a-t-il martelé.

En attendant, l'armée est déterminée à étouffer "le plus vite possible et par tous les moyens" la rébellion, comme elle l'avait fait "après les élections contestées de 2010", a assuré un haut gradé, sous couvert d'anonymat. "Ce sera ensuite le moment de lâcher du lest", a-t-il concédé.

Mais aujourd'hui "la donne n'est plus la même", s'alarme un diplomate en poste au Burundi, qui craint que "cette fois, le Burundi ne replonge dans un conflit plus violent que tout ce qu'il a connu".