Une carte pour recenser les violences civiles au Burundi
Droits de l'Homme

Le Monde, 10.11.2015

La carte en ligne 2015Burundi Crowdmap, qui tente, jour après jour, de visualiser les violences civiles au Burundi depuis avril 2015 est née… d’une initiative personnelle. En mars, l’Américaine Sandra M. (son identité a été modifiée) arrive à Bujumbura pour travailler dans une ONG.

Cette jeune femme, qui est passée par l’Europe pour étudier la géopolitique, est d’emblée saisie par la tension urbaine de la capitale burundaise. « Le président en exercice, Pierre Nkurunziza, venait d’annoncer sa volonté de se représenter pour un troisième mandat, et les manifestations suivies d’arrestations se multipliaient dans la ville, se rappelle-t-elle. Les violences étaient relatées dans les médias locaux, mais il était difficile d’avoir une vision d’ensemble. »

Sandra M. se souvient alors d’un MOOC (cours en ligne ouvert et massif) suivi sur le site américain Techchange.org, qui lui avait fait découvrir la plate-forme collaborative Ushahidi (« preuve », en swahili). « Je me suis rappelé qu’il n’était pas nécessaire de savoir coder pour mettre en ligne une version simplifiée de la carte, explique-t-elle. Je voulais créer un lieu où la population puisse témoigner et suivre la situation dans l’ensemble du pays. Je me suis lancée. »

Le pouls d’une situation en quelques clics

Six mois plus tard, 2015Burundi Crowdmap affiche quotidiennement des actualités classées selon différents critères : « violences sexistes » « enlèvements » « tortures » ou encore « barricades », « manifestations pacifiques ». Ces informations, vérifiées ou non vérifiées, s’égrènent au fil des heures, permettant à tout internaute de prendre en quelques clics le pouls d’une situation nationale extrêmement critique : « Grenade lancée dans le quartier Mutakura », « Convoi funéraire tombe dans une embuscade de police », « ONG fouillée et employé arrêté à Ruyigi »… Le flux d’informations obtenues est tel qu’il a retenu l’attention discrète de différents acteurs internationaux. Depuis juillet, des Burundi Conflict Mapping Brief, rapports réguliers qui résument et analysent les données du site, sont envoyés à la demande. La carte numérique a même été une source d’inspiration pour une pétition en ligne, Stand with Burundi, à laquelle des bénévoles de l’Union africaine ont participé.

Sandra M. reconnaît que ces retours extérieurs « donnent à l’initiative une autre dimension ». Pour autant, elle regrette que le projet initial ne soit qu’« à moitié » abouti. « Je n’ai pas réussi à mettre en place une participation réelle de la foule, dit-elle. Je n’ai eu ni les moyens humains, ni les ressources matérielles pour faire connaître le site auprès de la population. Dans un contexte si violent, il est de plus extrêmement compliqué d’inciter des personnes à témoigner en toute confiance. » De fait, la carte s’enrichit, non pas en recevant des rapports de citoyens, mais en allant chercher « des témoignages provenant de sources fiables telles que des journalistes connus s’exprimant sur Twitter ou sur Facebook ou encore des articles publiés sur Iwacu, le site d’information indépendant trilingue (français, kirundi et anglais) », précise la créatrice.

Une plate-forme gérée au Canada

Dans un contexte assez chaotique, l’histoire de 2015Burundi Crowdmap vient de connaître un nouveau rebondissement. Sandra M. a décidé de passer la main pour gérer la plate-forme. « Ma situation s’est compliquée lorsque j’ai dû quitter, en mai, le Burundi pour des raisons de sécurité », explique-t-elle. C’est à cette date, en désespoir de cause, que la jeune femme a ajouté sur la page d’accueil du site un appel aux bonnes volontés… Ce message a été entendu outre-Atlantique par l’ONG PeaceGeeks. Le passage de témoin s’est effectué pendant l’été, et désormais, c’est au Canada que la plate-forme est gérée.

« Notre ONG assiste techniquement des associations humanitaires partout dans le monde, et nous intervenons également en urgence », explique sa dirigeante, Renée Black. « Nous avons découvert en ligne le message de Sandra et avons mobilisé notre structure : cinq bénévoles dans différents pays publient actuellement des informations sur la carte burundaise », explique-t-elle.

Renée Black a essayé, ces dernières semaines, de mettre en place une collecte d’informations provenant directement de citoyens. Mais elle vient d’y renoncer. « Nous voulions nous appuyer sur une association très implantée, mais ses dirigeants ont été menacés et viennent de quitter le pays. Nous sommes cependant en contact étroit avec eux, poursuit-elle. Nous leur envoyons d’ailleurs les rapports de synthèses du site pour validation avant de les envoyer à une quelconque organisation. »

Cette action s’inscrit dans le cadre du Digital Humanitarians Network, un réseau de pompiers numériques humanitaires, fondé en 2012 aux Etats-Unis, et dont Renée Black est un membre actif.

Par Laure Belot