10 ONG locales suspendues pour cause d'"insurrection" contre le pouvoir au Burundi
Droits de l'Homme

PANA, 24 novembre 2015

Bujumbura, Burundi - Une ordonnance du ministère de l’Intérieur et de la Formation patriotique, numéro 530/1597 du 23 novembre 2015, frappe d’une suspension "provisoire" d'activités et du gel des avoirs bancaires, dix Organisations de la société sans but lucratif pour leur rôle présumé dans l’animation d’un mouvement dit "insurrectionnel» qui a été déclenché, fin avril dernier, par l’officialisation de la candidature du chef de l’Etat burundais, Pierre Nkurunziza, pour un troisième mandat à la tête du pays, jugé inconstitutionnel et contraire à l’Accord d’août 2000, à Arusha, en Tanzanie, sur la paix et la réconciliation nationale, par ses opposants.

Les organisations en cause sont: le Forum pour le Renforcement de la Société Civile (Forsc), le Forum pour la Conscience et le Développement(Focode), Action des Chrétiens pour l’abolition de la Torture (Acat), Association Burundaise pour la Protection des Droits Humains et des Personnes détenues (Aprodh), Parole et Action pour le Réveil des Consciences et l’Evolution des Mentalités (Parcem), Amicale des Militaires en Non Activité (Amina), Fontaine de la Bonne gouvernance pour un Développement Intégré, Synegie des Partenaires pour la Promotion des droits de la Femme (Sppdf), Réseau des Citoyens Probes(Rcp) et "Maison Shalom".

Certaines organisations visées appartiennent à des personnalités très connues du mouvement associatif national comme dans le cas de l’Aprodh qui est présidée par le doyen d’âge des défenseurs des droits humains, Pierre Claver Mbonimpa, actuellement en convalescence en Belgique après avoir échappé à une tentative d’assassinat non revendiqué, au mois d’août dernier, à Bujumbura.

L’autre célébrité est la responsable de la « Maison Shalom », Sœur Marguerite Barankitse, connue encore sous le sobriquet affectueux de « Maman national aux 10.000 enfants » qui sont autant d’orphelins qu’elle a récupérés pendant le guerre civile de 1993 à 2006 au Burundi.

D’autres activistes très connus en ligne de mire du ministère de l’Intérieur et de la Justice sont Vital Nshimirimana, le responsable du Forsc qui coiffe 143 organisations membres ou encore Pacifique Nininahazwe, à la tête du Focode et dont l’activité phare était jusque-là de décerner des prix annuels au « meilleur citoyen » burundais qui se distingue dans divers domaines économique, politique, social et culturel du pays.

Pour punir ces différentes organisations de la société civile, membres de la campagne "Halte au 3e mandat", l’ordonnance se réfère, entre autres, au rapport d’une commission du ministère public chargée, elle, de faire la lumière sur le "mouvement insurrectionnel" qui a été déclenché le 26 avril 2015, au "dossier répressif Rmpg 696/MA et compte tenu de l’impérieuse nécessité de préserver l’ordre et la sécurité sur tout le territoire national".

Le rapport a été rendu public au mois d’octobre dernier et définit le mouvement insurrectionnel comme un "mouvement collectif qui s’extériorise, soit par des actes portant atteinte aux pouvoirs et aux institutions établis, soit par des agressions contre les personnes, la dévastation ou le pillage" en se basant sur l’article 607 de la loi n°1/05 du 22 avril 2009 portant révision du Code Pénal du Burundi.

Les mis en cause, quant à eux, continuent à défendre, depuis leur exil à l’étranger le droit que leur reconnaît la loi d’avoir simplement exercé la liberté de manifester et d’opinion lors du mouvement de contestation dans la rue du troisième mandat des mois d’avril à juin dernier qui a occasionné au moins une centaine de morts et des dégâts matériels estimés dans le rapport du ministère public à plus de 53 milliards de francs burundais (près de 31 millions de dollars américains).

Les organisations de la société civile en cause gardent la latitude d’attaque en justice la décision du ministère de l’Intérieur mais sans conviction et espoirs d’avoir gain de cause, disent certains des responsables concernés.

Aux côtés de ces organisations dites de la société civile, le rapport met également en cause dans le mouvement insurrectionnel six des principaux partis politiques de l’opposition et leurs leaders qui sont pour le moment en exil à l’étranger et sur lesquels pèsent des mandats d’arrêts internationaux.

Se sont entres autres, Alexis Sinduhije, Me François Nyamoya, Mme Peggy Kagwire, du mouvement pour la solidarité et la démocratie (Msd), Charles Nditije, de l’unité pour le progrès national (Uprona, ex-parti unique), Léonce Ngendakumana, Frédéric Bamvuginyumvira et Jean Minani, du Front pour la démocratie au Burundi (Frodebu), Chauvineau Mugwengezo, de l’Union pour la paix et la développement(Upd) dont le président, Zed Ferouzi, a été assassiné le 15 mai dernier à Bujumbura dans des circonstances aujourd’hui encore non élucidées.

L’enquête laisse également entendre que d’autres hommes politiques, comme les anciens chefs d’Etat, Sylvestre Ntibantunganya et Domitien Ndayizeye, ont encore contribué "énormément" à l’insurrection.

Par ailleurs, l’enquête dit avoir constaté que tout se passait en concertation étroite entre ceux qui préparaient le coup d’Etat militaire manqué de mai dernier et les « insurgés » de la société civile et de l’opposition.

Tout ce monde n’est pas éligible, aux yeux du pouvoir, au dialogue inter burundais qui est censé trouver des solutions à la crise persistante au Burundi, pendant que la Communauté internationale au chevet du Burundi pousse plutôt dans le sens de mettre de côté les rancœurs et ouvrir des pourparlers de paix sincères et inclusifs de toutes les sensibilités politiques du pays qui ont des revendications à faire valoir.