Burundi : Les réactions internationales sont-elles à la hauteur de la crise ? |
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@rib News, 27/11/2015 « Je crains que le Burundi ne fasse pas partie de la priorité du moment » Quelle est la volonté réelle de la communauté internationale à contraindre Nkurunziza de plier bagages ou d’accepter des négociations directes avec l’opposition ? Comment un pays comme le Burundi a-t-il pu être élu en octobre dernier au Conseil des droits de l’Homme des Nations Unies ? Les dernières sanctions américaines visant de hauts responsables de sécurité, vont-elles produire un effet positif dans la résolution de la crise burundaise ? Pour trouver une réponse à ces questions, notre confrère Jérôme Bigirimana s’est entretenu avec le Pr Eric David (photo), Professeur émérite à l’Université libre de Bruxelles (ULB) et qui a également enseigné le Droit pénal international à l’Université nationale du Burundi (Chaire UNESCO, 2004-2014) – Interview. Professeur, on voit que l’ONU tarde parfois à répondre à une situation interpellante. Combien de morts faudrait-il normalement compter pour que l'ONU envoie des casques bleus dans un pays au bord de la catastrophe comme le Burundi ? C’est non le nombre de morts mais la volonté politique du Conseil de sécurité qui importe. Les violations des droits humains les plus élémentaires sont assimilées à une menace contre la paix et la sécurité internationales et justifient à ce titre l’envoi d’une opération de maintien de la paix. Encore faut-il que le Conseil de sécurité le décide. Or, ce type de mission coûte très cher et ce sont les 5 membres permanents du Conseil de sécurité (Chine, Etats-Unis, France, Royaume-Uni, Russie) qui en sont les principaux bailleurs de fonds - contrepartie légitime de leur statut de membre permanent. Il faut donc qu’ils aient la volonté politique d’agir et que leur souci de mettre fin aux violations des droits humains prime leurs réticences économiques habituelles. C’est une des raisons pour lesquelles la MINUAR en 1993-1994 était largement sous-dimensionnée en hommes avec les conséquences que vous connaissez au moment du génocide (avril-juillet 1994). Sur ce point, je ne peux que vous renvoyer en faisant fi de toute modestie à l’ouvrage que je viens d’écrire. [NdlR : "Le génocide au Rwanda - Les enquêtes officielles menées en Belgique, en France, à l’ONU et à l’OUA", Paris, L’Harmattan, 82 p.). Les membres permanents n’agissent qu’en fonction de leurs intérêts immédiats et je crains que le Burundi ne fasse pas partie de leurs priorités du moment à défaut de pressions sérieuses de l’opinion publique. Comment le Burundi a pu être élu membre du Conseil des droits de l'Homme des Nations-Unies alors que c'est un mauvais élève en matière de respect des droits de l’homme ? La désignation des Etats membres d’organes tels que le Conseil des droits de l’homme se fait sur la base de critères de représentation géographique équitable où le respect des droits humains par les Etats qui participent au vote n’est pas la priorité des priorités bien que l’acte constitutif de ce Conseil eût prévu que ses 47 membres devaient avoir réellement contribué à la promotion des droits de l’homme et observé « les normes les plus strictes en matière de promotion et de défense des droits de l’homme » (selon les termes de la résolution adoptée par l’Assemblée Générale des Nations Unies (AGNU) qui a créé le Conseil en 2006 pour remplacer l’ancienne Commission des droits de l’homme jugée trop peu conforme à ce critère - A/Rés. 60/251, § 7). Le caractère secret du scrutin devait permettre (en principe …) aux Etats de voter en leur âme et conscience pour des Etats qu’ils jugent vraiment respectueux des droits de l’homme mais, il n’en est rien et les défauts de l’ex-Commission se retrouvent dans le Conseil. Ainsi, l’Arabie saoudite, championne connue du respect des droits humains en est membre … Théoriquement, l’AGNU peut suspendre, à la majorité des deux tiers, le droit d’un Etat membre du Conseil de siéger si cet Etat a commis « des violations flagrantes et systématiques des droits de l’homme », mais cela n'est jamais arrivé qu’en 2011 pour la Libye qui a été réintégrée après la chute de Khadafi. Le gouvernement américain vient de prendre des sanctions contre quatre hauts responsables de sécurité et de défense (deux pro-Nkurunziza et 2 hauts gradés impliqués dans le putsch manqué du 15 mai). Que signifient ces sanctions pour vous et quel effet peuvent-ils produire dans la résolution de la crise burundaise ? Des sanctions peuvent produire de l’effet : la fin de l’apartheid en Afrique du Sud a résulté, notamment, des sanctions prises contre cet Etat mais celles-ci ne sont pas toujours efficaces. Quand les hommes s’accrochent au pouvoir, il n’y a guère que la force qui puisse les en déloger, la force ou des pressions personnelles des proches de leur entourage. Les hommes d’Etat sont souvent comme des enfants qui refusent de prêter leurs jouets à leurs petits camarades … Mais, ces sanctions visent notamment un ministre de la Sécurité publique toujours en fonction. Cela ne complique-t-il pas davantage le début effectif des négociations ou c’est l’effet contraire ? L’efficacité d’une sanction est toujours relative car elle dépend à la fois de son effectivité et de la sensibilité du ministre concerné à ce type de mesure. Je ne connais pas assez la réalité burundaise pour prévoir l’effet des sanctions sur les personnes concernées. Selon vous, face aux sanctions occidentales (UE, USA), le régime de Bujumbura peut-il tenir longtemps en trouvant d'autres partenaires comme les pays arabes ou vers les BRICS ? Probablement si ces autres partenaires ne s’associent pas au mouvement général des sanctions. A votre avis, sur quelle force compte Nkurunziza pour aussi longtemps s’entêter à rester au pouvoir, en balayant d’un revers de la main tous les conseils, puis les menaces de sanctions de la part des grandes puissances de ce monde ? Je suis incompétent pour répondre, mais il est possible que l’entêtement de son dirigeant lui permette de faire fi des sanctions et des conséquences dont le peuple burundais risque de faire les frais. Si Nkurunziza peut s’appuyer sur les forces armées de son pays, cela devrait lui permettre comme à toute autorité autoproclamée de rester indifférent aux pressions dont il est l’objet. L’amour du pouvoir est un puissant agent de résistance, mais l’Histoire enseigne que la durée de cet accrochage aussi stupide qu’obstiné au pouvoir est toujours limitée dans le temps … Propos recueillis par Jérôme Bigirimana |