Les consultations de Bruxelles offre une "légitimité" au pouvoir de Bujumbura
Opinion

Le Pays, 03/12/2015

Dialogue UE/Burundi : La grande farce

Le régime de Pierre Nkurunziza a rendez-vous avec ses partenaires de l’Union européenne (UE), le 8 décembre 2015 à Bruxelles. Ce sera pour le pouvoir burundais, une occasion de présenter sa défense face aux accusations de violations des droits de l’Homme, des principes démocratiques et des règles de l’Etat de droit, qui pèsent sur lui. Il devra proposer une feuille de route dans le sens de résorber les problèmes.

Seulement, on peut bien se poser des questions sur la démarche, la méthode utilisée par l’UE. Certes, cette procédure est conforme aux dispositions de l’Accord de Cotonou entre l’UE et les pays de l’entité Afrique, Caraïbes et Pacifique (ACP). Mais, sa pertinence est sujette à caution, surtout dans le cas d’espèce. Il y a matière à douter de la bonne foi de l’UE à préserver et défendre effectivement les droits humains, les principes démocratiques, les règles de l’Etat de droit au Burundi de Pierre Nkurunziza.

Nkurunziza devrait être traité comme un pestiféré

En effet, l’UE est, dans son ensemble, restée passive quand les nuages s’amoncelaient sous le ciel burundais. En d’autres termes, elle n’a pas été suffisamment proactive et ferme pour faire comprendre à Nkurunziza son refus catégorique de toute violation de la Constitution de son pays et de l’Accord d’Arusha. Ainsi, le maître de Bujumbura s’est adjugé un mandat au prix des larmes et du sang de bien de ses compatriotes, au nez et à la barbe de la communauté internationale dont les hauts faits d’armes auront été quelques discours de réprobation sans conséquence, du reste.

Bien des Burundais ont dû prendre les armes, probablement dans une sorte de désespoir, pour s’opposer à la machine oppressive du régime. Bien des populations dans ce pays, ont payé de leur vie leur attachement aux valeurs démocratiques. Certaines vivent encore dans l’angoisse perpétuelle et d’autres n’ont eu la vie sauve qu’en prenant le douloureux chemin de l’exil forcé.

Certes, des thuriféraires du régime du pasteur-président sont aussi tombés pendant ces heures sombres de l’histoire du Burundi. Et l’opposition armée est indexée pour ce qui est de ces crimes. Mais, on ne doit pas perdre de vue le fait que toutes ces violences n’ont pu éclater qu’à cause d’un seul homme, de sa boulimie du pouvoir, de son dédain pour son pays et son peuple, de sa haine de la démocratie. Et cet homme-là n’est nul autre que Pierre Nkurunziza.

Il ne faut donc pas se tromper de cible ni d’adversaire. Le premier et principal coupable de ces violations des droits de l’Homme et de ces atteintes aux standards démocratiques est bel et bien Nkurunziza. Il porte l’entière responsabilité de la crise qui secoue son pays et devrait être traité comme un pestiféré.

Ceci dit, on voit bien qu’on n’avait pas besoin de dialoguer avec Bujumbura pour voir s’il mérite des sanctions ou non. Ces sanctions devaient être un minimum syndical et ce, dès les premières heures de la crise. Mieux, l’UE devait déployer une batterie de mesures dissuasives pour que le dictateur burundais comprenne qu’il n’est pas dans son intérêt de s’engager dans cette voie de déni de la démocratie, parce qu’elle est sans issue.

Une telle fermeté de l’UE présentée comme le principal partenaire, bailleur de fonds du Burundi aurait certainement fait son effet et on aurait peut-être pu faire l’économie de bien des pertes en vies humaines, de bien des déplacements de populations, pour ne citer que cela.

Toute solution qui n’inclurait pas le départ de Nkurunziza du pouvoir serait une arnaque

En tout état de cause, cette décision des pays membres de l’UE, grands chantres de la gouvernance vertueuse des Etats, de s’asseoir à la même table qu’un négationniste patenté de la démocratie comme le dictateur de Bujumbura, achève de convaincre que les peuples opprimés ne peuvent que compter sur leurs propres forces. Vouloir écouter un dictateur avant de voir s’il faut le sanctionner, relève bel et bien d’une fuite de responsabilité.

Ces négociations sont une manière pour les Européens de se donner bonne conscience et de paraître aux yeux des naïfs, comme de fervents défenseurs de la démocratie partout et pour tous. Cette mollesse apparente de l’UE vis-à-vis du pouvoir burundais pourrait se justifier par sa volonté de ne pas se faire doubler dans ce pays, par la concurrence chinoise, voire russe, de plus en plus en verve sur le continent africain. Une fois de plus, la promotion des intérêts mercantilistes prend le pas sur la défense des valeurs.

En tout cas, les Burundais n’attendent pas, a priori, grand-chose de ce dialogue qui ressemble à bien des égards, à de la diversion, à une grande farce. Nkurunziza, lui, se frotte visiblement les mains. Il devra recouvrer à l’occasion une sorte de légitimité puisque le partenaire le plus important de son pays a encore l’amabilité de l’écouter après et malgré tous les crimes de son régime. Il aura certainement à cœur de se saisir de cette perche tendue pour proposer des « mesurettes » lui permettant de calmer la tension dans le pays, l’essentiel pour lui étant de conserver son fauteuil.

Or, c’est là que le bât blesse. Toute solution qui n’inclurait pas le départ pur et simple de Nkurunziza du pouvoir serait une arnaque et une injure à l’endroit du peuple burundais. Ce serait une façon de dire aux Burundais qu’ils ne méritent pas la démocratie, qu’ils doivent s’estimer heureux d’avoir un satrape comme Nkurunziza qui préside aux destinées de leur pays. Evidemment qu’une telle solution serait de nature à entretenir le brasier de la crise.

Cette sorte de séance de rattrapage de l’UE vis-à-vis du Burundi, bien loin de l’objectif de départ qui devait être la mise à l’écart sans autre forme de procès du dictateur burundais, conforte ainsi Nkurunziza dans sa posture. C’est comme si l’UE, et par-delà la communauté internationale, s’était résolue à faire contre mauvaise fortune bon cœur. Cette façon de prendre des gants vis-à-vis d’un dictateur qui s’est illustré par sa cruauté contre son propre peuple, est de la non-assistance à peuple en danger. Il est grand temps que la communauté internationale mette fin à cette hypocrisie si elle veut que ce monde soit vraiment paisible et humain.

En tout cas, il y a lieu de revoir sa copie en ce qui concerne son rôle aux côtés du peuple burundais opprimé. Et comme le dit l’adage, « il n’est jamais tard pour bien faire ». A l’UE de surprendre agréablement en faisant enfin preuve d’intransigeance vis-à-vis des fossoyeurs de la démocratie burundaise, lors de ce dialogue. Cela est indispensable pour soigner sa propre image de promotrice des règles et principes de l’Etat de droit démocratique.