Burundi : Des allusions au génocide de part et d'autre échauffent les esprits
Analyses

ICI.Radio-Canada, 9 décembre 2015

Burundi : une crise politique sur fond de tensions ethniques

Ce pays voisin du Rwanda est secoué par des manifestations et des assassinats politiques depuis le printemps. Des allusions au génocide de part et d'autre échauffent les esprits.

L'auteure Pascasie Minani, la chercheuse Katrin Wittig et le ressortissant d'origine burundaise Amilcar Ryumeko expliquent à Catherine Perrin les enjeux d'une crise politique en voie de déraper. 

La crise a débuté lors de l'annonce du président Pierre Nkurunziza de briguer un troisième mandat, alors que la constitution du Burundi interdit qu'un dirigeant en exerce plus de deux. Il a été réélu en juillet, mais la crise se poursuit. On dénombre plus de 200 morts et 200 000 exilés. 

Frustrations accumulées 

« La crise est fondamentalement politique », précise Katrin Wittig. Doctorante en sciences politiques à l'Université de Montréal, elle étudie les questions liées aux processus de paix et à la promotion du développement et de la démocratie dans les pays affectés par la guerre. « On a vraiment vu dans les rues les Hutus, les Tutsis et les Batwas manifester ensemble. J'ai eu la chance de discuter avec ces manifestants et j'ai été impressionnée par le fait que le troisième mandat était un prétexte pour les manifestants. Leurs revendications allaient beaucoup plus loin. Il s'agit de frustrations accumulées pendant 10 ans de régime. Ils ont cité des scandales de corruption, des exécutions extrajudiciaires... On voit que les deux camps, que ce soit l'opposition ou le gouvernement, essaient d'instrumentaliser la question ethnique, qui reste très sensible dans cette région et dans ce pays. » 

Risquer le pire 

Selon Amilcar Ryumeko, le respect absolu de la constitution est crucial, puisque garant de démocratie dans ce pays qui porte encore les marques de la guerre civile. Il s'inquiète des avertissements formulés par des hauts fonctionnaires des Nations unies suite à des propos du président du sénat burundais, lesquels évoquaient le génocide de 1994 : « Pas plus tard qu'hier, le conseiller spécial pour la prévention du génocide des Nations unies [Adam Dieng] a mentionné que si on ne fait pas attention à ce qui se passe au Burundi, on risque le pire. Le 9 novembre dernier, ce même conseiller, ainsi que le haut-commissaire des Nations unies aux droits de l'homme [Zeid Ra'ad Zeid Al-Hussein] et le secrétaire général adjoint aux affaires politiques [Jeffrey D. Feltman] ont tous déclaré que si on ne fait pas attention, le Burundi est en train de tomber dans l'abîme. » 

Références inappropriées 

Doctorante en sciences politiques à l'Université d'Ottawa et auteure du livre Femmes en politique au Burundi : leur nombre, leur influence, Pascasie Minani estime que la constitution burundaise permettait tout à fait au résident Nkurunziza de briguer un troisième mandat. Elle dénonce par ailleurs les mises en garde contre un éventuel génocide. « Ces gens sont sous l'influence de la Belgique et de la France, et ces deux pays ont leurs intérêts économiques à défendre au Burundi », affirme-t-elle, ajoutant que les parts égales de Hutus et de Tutsis dans l'armée et dans la police protègent le Burundi contre les dérives. « On peut choisir de traduire ou d'interpréter un mot prononcé par une autorité parce qu'on est contre, pour diaboliser cette autorité, mais je ne comprends pas comment quelqu'un qui est éduqué peut utiliser le mot « génocide » dans un contexte burundais. »