La guerre civile au Burundi, une effroyable réalité : qui en est responsable ?
Opinion

@rib News, 13/12/2015

Burundi : La guerre civile tant redoutée

Par  Ernest Banga

 Le Burundi connaît une grave crise politico-sécuritaire depuis la déclaration de la candidature de Pierre Nkurunziza au 3ème mandat présidentiel le 26 avril 2015 en violation de la Constitution et de l’Accord d'Arusha.

Contre des manifestations pacifiques, le pouvoir avait opposé une répression violente ayant fait plusieurs dizaines de morts, de nombreux blessés, des arrestations suivies souvent de tortures horribles et de l’emprisonnement de centaines de personnes.

Nkurunziza a, contre vents et marées,  organisé (ses) élections sans observateurs indépendants, hormis ceux des Nations Unies. L'opposition, la société civile, la Communauté Est Africaine, l'Union Africaine, l'Union Européenne, les Etats-Unis, les Nations Unies, etc. ont tous jugé les élections non crédibles. Nkurunziza a poursuivi son cheminement vers le précipice en mettant en place des institutions relevant de la prestidigitation politique. Au fur et à mesure que Nkurunziza et sa portion congrue du CNDD-FDD, ont organisé leur fuite en avant, des voix autorisées ont exprimé leur inquiétude quant au risque d'une guerre civile.

La guerre civile, une effroyable réalité.

Depuis plusieurs semaines, des affrontements entre la police et des groupes armés sont quasi quotidiens dans certains quartiers de Bujumbura. De nombreuses  arrestations suivies dans certains cas de tortures et des  exécutions extra judiciaires ont été documentées par les organisations de défense des droits de l'homme[1]. Des représailles meurtrières sont aussi  opérées par les forces de sécurité de Nkurunziza comme ce fut le cas lors du massacre à Ngagara  le 13 octobre, dans un bar à Kanyosha le 7 novembre, et plus récemment le 9 décembre dans le quartier de Cibitoke où respectivement onze, dix et sept personnes ont été sommairement abattues. Des affrontements sont aussi signalés dans des localités de Bujumbura rural, de Rumonge et de Ruyigi. Plus de trois cents mille burundais vivent dans des camps de réfugiés dans des conditions insoutenables, où ils sont victimes du choléra et d’autres maladies diarrhéiques.

Depuis l'aube du 11 décembre, la crise a pris de nouvelles dimensions. Quatre camps militaires ont été concomitamment attaqués, trois dans la ville de Bujumbura et un camp militaire sur les hauteurs de la capitale. Des combats violents ont opposés l'armée à des hommes armés pendant plusieurs heures. Tous les habitants étaient cloitrés chez eux pendant toute la journée du vendredi 11 décembre 2015. Seuls les policiers et les militaires circulaient, et des coups de feu ont continué à retentir dans différents quartiers de la ville. De nombreuses personnes ont été par la suite tuées dans la même journée du 11/12/2015 dans les quartiers dits contestataires. Les jeunes de l’opposition ou supposés tels ont été particulièrement ciblés. D'après des témoins, la plupart des victimes ont été tuées par balle, les bras liés dans le dos. Certains auraient même été égorgés. Le nombre de victimes ne sera probablement pas connu mais serait entre cent et deux cents. Ce déchaînement de violence et d'horreur peut être expliqué par l'ire des policiers, miliciens et soldats de Nkurunziza qui se sont sentis  humiliés par l'audace des combattants qui ont non seulement pu pénétrer dans trois camps de la capitale mais qui auraient aussi réussi à se servir dans l'arsenal militaire.

Responsabilités de la crise.

Le premier responsable de cette crise est, sans aucun doute, Nkurunziza. Il a d'abord plongé le pays dans une crise socio-économique sans précédent pendant les dix années de présidence. La pauvreté et la corruption ont pris une progression rapidement ascendante et parallèle. Le désespoir a atteint le maximum dans les cœurs de la jeunesse quand, en violation de la constitution et de l’Accord d'Arusha, Nkurunziza s'est fait investir candidat du CNDD-FDD à la présidentielle le 25 avril 2015. Qui plus est, il a manqué l’occasion d’apaiser les esprits par un discours rassurant  après sa forfaiture appelée cyniquement élection.  Au lieu de cela, il a cherché à satisfaire son petit esprit de vengeance. Il a mobilisé les miliciens Imbonerakure, les a habillés en policiers et leur  a demandé de traquer tous ceux qui avaient manifesté contre le 3ème mandat ou qui avaient  applaudi la tentative de putsch du 13 mai 2015. La chasse aux sorcières a également frappé l'armée, la police et l'administration. Des soldats ou policiers supposés être contre le 3ème mandat ont été arrêtés, humiliés, torturés, parfois tués. D'autres ont été radiés de l'armée sans raison valable. Les militaires soupçonnés d’avoir de la sympathie pour l’opposition étaient les plus visés. Certains ont préféré prendre la fuite avec armes et bagages.

Le deuxième responsable, est "la communauté internationale".

C'est la Communauté Economique Est Africaine (EAC), l'Union Africaine, les Etats-Unis, l'Union Européenne et l'ONU. Nkurunziza est un putschiste, son coup d'Etat constitutionnel est même plus meurtrier que les coups d'Etat militaires.  Mais il est toujours   traité avec égards. Seules la Belgique, la Hollande et l'Allemagne ont pris des sanctions  notables et sans tergiverser. Les Etats-Unis n’ont jusqu'à présent pris que des sanctions symboliques. Quant à l'Union Européenne, elle reste hésitante. Les dernières négociations de Bruxelles avec le régime de Nkurunziza ont été une reconnaissance implicite du pouvoir de Bujumbura et l’occasion de lui tendre la perche. L’a-t-il saisie quand on voit la suite immédiate de ces rencontres ?

La désignation du Président Museveni comme médiateur dans le conflit burundais par l'Union Africaine et l'EAC, relève d’une stratégie du pourrissement. D'abord le Président Museveni n'a pas de temps à consacrer au problème du Burundi. Il prépare des élections générales dans son pays et par conséquent n’a pas de temps  à consacrer au conflit entre Burundais. De surcroît, le Président Museveni qui est au pouvoir depuis  29 ans et qui ne  dit toujours pas combien de mandats  il lui reste, ne peut pas concilier, dans le respect de la loi et de l’Accord d’Arusha,  un pair qui n'a fait que 10 ans au pouvoir et une opposition qui lui conteste un 3ème mandat.  Sinon comment expliquer cette lenteur volontaire qu’il met à faire démarrer les négociations ?  Si l’Union africaine a pris conscience de ce risque de blocage, comme en témoigne la tentative d’introduire dans le jeu le Président béninois Yayi Boni, pourquoi  ne prend-elle pas une décision conséquente, en demandant au Président Museveni de se dessaisir du dossier au bénéfice d’un autre médiateur plus disponible ?

Une voie de sortie : Les négociations.

Depuis 2010, l'opposition n'a jamais cessé de demander que les Burundais se retrouvent autour d'une table pour discuter. Et depuis la crise du 3ème mandat, la communauté internationale lui a emboîté le pas. Mais Nkurunziza et ses partisans ont une foi inébranlable en leur force brutale. La sécurité a beau se dégrader, l'économie a beau s'effondrer, ils espèrent relever la barre grâce à la férocité,  la ruse et la brutalité. Il s'agit d'une grave erreur : les jeunes burundais sont désespérés. Ils n'ont plus grand chose à perdre; ils sont prêts à se sacrifier pour que plus jamais un régime prédateur et dictatorial ne soit accepté au Burundi. Quant à l'opposition, sa cohésion est loin d'être totale. Certains leaders semblent avoir d'autres objectifs que ceux de la défense de la Constitution et de l’Accord d'Arusha. Ceux-ci s’engagent dans la déstabilisation de la seule organisation qui incarne l’espoir du peuple, soit par myopie intellectuelle soit par l’attraction des gains propres à satisfaire leurs intérêts personnels. D'autres, non moins égoïstes et probablement au service de certains lobbies étrangers, souhaitent une internationalisation du conflit  avec l'espoir d'une intervention extérieure qui viendrait les installer au pouvoir. Notre pays a ses spécificités et il est malhabile de vouloir calquer des solutions copiées sur d'autres  même si des similitudes sont nombreuses. La solution durable ne sera trouvée qu'autour d'une table de négociations. Mais, il faudra que les Burundais eux-mêmes sachent ce qu’ils veulent ensemble et pour leur peuple et qu’on trouve un médiateur qui a un ascendant notable, puisé à une éthique politique exemplaire et internationalement reconnue, loin des arrangements sous-régionaux stériles. Même si chaque parti politique est supposé avoir son propre programme, les bases de gestion démocratique et solidaire de l'Etat doivent être intégrées dans chaque projet afin de pouvoir poser la fondation susceptible de bannir à jamais les régimes prédateurs, oppressifs et sectaires. La prédation dans un pays aussi pauvre que le Burundi engendre la misère, l'oppression, le sectarisme et l'injustice. La misère et l'injustice créent le désespoir et la révolte violente.

L’unité du peuple, une nécessité pour mettre fin à un pouvoir de terreur.

De nombreux burundais attendent le salut de l'extérieur, mais les foyers de crise sont très nombreux : Syrie, Libye, Centrafrique, Nigeria, Cameroun, Soudan du Sud, Somalie, etc. Rien n'indique que notre pays soit une priorité. Il faut donc que le peuple burundais compte d'abord sur ses propres forces. Les Hutu, les Tutsi et les Twa doivent rejeter les sirènes et les séquelles de la division quelle qu’en soit l’origine. Seule l’unité viendra à bout de la dictature sanguinaire actuelle. Certes, des vies humaines sont fauchées, des souffrances innommables sont infligées aux populations par ceux-là même qui étaient  chargés de créer les conditions de leur bonheur. Mais cela est le prix à payer pour la liberté. Jean Ziegler, tiers-mondiste suisse, l'exprime ainsi: "Sur terre aucune liberté ne s'obtient sans souffrance et sang versé. Là réside une des lois les plus secrètes, les plus constantes de l'histoire humaine. Mais aucune liberté ne se gagne sans amour agissant, sans une solidarité entre les peuples[2]." La solidarité des autres peuples est très importante, mais elle ne viendra qu'appuyer les propres sacrifices de notre peuple. Ce dernier aura, j'en suis convaincu, le dernier mot; et s'il refuse les divisions basées  sur l’ethnie, la religion ou la région ce sera plus tôt que tard.


[1] http://www.ishr.ch/news/la-situation-des-droits-de-lhomme-se-deteriore-au-burundi

https://www.fidh.org/fr/plaidoyer-international/nations-unies/conseil-des-droits-de-l-homme/burundi-les-ong-appellent-a-une-session-speciale-du-conseil-des

[2] Jean Ziegler, Les Rebelles ; Ed Le Seuil, Paris 1983.